Bernard Coppens Les Mensonges de Waterloo Jourdan Editeur 2009 / 23 € - 150.65 ffr. / 544 pages ISBN : 978-2-87466-040-5 FORMAT : 14cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Antoine Picardat est agrégé dhistoire et diplômé en études stratégiques. Il a enseigné en lycée, en université, aux IEP de Paris et de Lille, et été analyste de politique internationale au ministère de la défense. Il est actuellement élève-administrateur territorial à lInstitut national des Études territoriales à Strasbourg.
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Voilà un livre qui pourrait faire du bruit dans le landerneau des cercles napoléoniens et de lhistoire militaire ! Lauteur, Bernard Coppens, travaille depuis plus de vingt ans sur la période 1789-1815 et est reconnu comme un historien sérieux, même si les thèses quil défend suscitent souvent dâpres débats, qui ont lieu désormais sur les forums internet.
Dans Les Mensonges de Waterloo, Bernard Coppens entend démontrer que le récit canonique de la campagne de 1815, celui que lon trouve peu ou prou dans tous les ouvrages abordant le sujet, est truffé de mensonges. Que ces mensonges sont luvre de Napoléon lui-même. Quils ont été repris, renforcés, vulgarisés, consciemment ou pas, par des générations dhistoriens, notamment par Thiers, tout au long du XIXe siècle. La version définitive a été luvre dHenri Houssaye, dans son impressionnant 1815, immense succès de librairie à partir de 1895.
Selon ce récit, la défaite de Napoléon est due à la conjonction de coups du sort et de lincompétence de ses lieutenants. Coup du sort, par exemple, le déluge qui sabat laprès-midi du 17 juin et qui retarde le lendemain le début de la bataille, permettant aux Prussiens dintervenir avant que les Anglo-alliés ne soient battus. Incompétence de Ney, qui est timoré le 16 juin aux Quatre Bras, mais fait nimporte quoi le 18 à Waterloo ; de Grouchy, qui traîne à poursuivre les Prussiens le 17 et ne marche pas au canon le 18 ; de Soult, qui nest pas à la hauteur de sa tâche de major-général (chef détat major) ; de Reille et de Drouet dErlon, qui lancent leurs troupes à lassaut en dépit du bon sens ; etc. Le génie de Napoléon, son activité, son sens stratégique, son coup dil, sa capacité à prévoir, sont intacts. Mais ils sont finalement vaincus par des circonstances par trop défavorables ; ainsi, un peu tout de même, que par des ennemis déterminés et qui manuvrent et se battent bien.
Selon Bernard Coppens, cette version est largement fausse. Il entreprend de la démontrer dans son ouvrage, et le résultat est franchement convaincant. Pour cela il procède en véritable historien, étudiant et confrontant les récits donnés par les nombreux témoins. Il sintéresse notamment aux versions successives livrées par Napoléon lui-même. Il aboutit à deux séries de conclusions : sur les faits eux-mêmes dune part, sur les manipulations de lhistoire de lautre.
Concernant les faits, Bernard Coppens démontre que Napoléon a commis plusieurs erreurs directes, graves, qui ont été déterminantes dans lissue de cette campagne éclair. Curieusement, il ne revient pas sur léternel débat de la pertinence de détacher Grouchy à la poursuite des Prussiens et sur le fait de savoir si le maréchal aurait dû ou pas marcher au canon, le 18 juin à midi. Il pointe des erreurs encore plus graves. Selon lui, Napoléon a, notamment, mal lu la carte du futur champ de bataille, il na pas non plus pris la peine de reconnaître le terrain. Il a donc lancé son armée à lassaut dune position dont il ignorait lessentiel. Il ne connaissait ainsi pas lexistence du château de Hougoumont, sur lequel le IIe sest usé inutilement toute la journée. Il ne savait pas que les plis du terrain protégeaient linfanterie anglaise du feu de son artillerie.
Plus grave que tout, Napoléon était persuadé de sêtre débarrassé des Prussiens le 16 juin, en les battant à Ligny (dans ce cas, pourquoi envoyer Grouchy sur leurs talons avec autant de troupes ? Quelle erreur !). Il na donc pris aucune précaution pour anticiper leur arrivée, le 18 juin, sur le champ de bataille de Waterloo. Leur irruption la donc pris totalement au dépourvu. Elle a aussi précipité leffondrement de larmée, qui, après avoir déployé des trésors de bravoure et de dévouement, sest vue tournée, sest crue trahie et a senti que son chef avait failli.
Depuis près de deux siècles, le débat sur létat de santé de Napoléon pendant la campagne a fait rage parmi les historiens. Selon Bernard Coppens, il était victime dune crise dhémorroïdes, ajoutée à une profonde fatigue, quil traînait depuis la Russie, et qui fait furieusement penser à une dépression. Ces affections expliqueraient largement son apathie, son inactivité physique et morale, totalement contraires à sa manière dêtre habituelle en campagne, et au final, les erreurs dun homme qui a subi les événements, au lieu de les dominer.
Seulement, il ne sagit pas dun homme ordinaire, mais de Napoléon. Celui qui a, pendant près de vingt ans, plié le monde à sa volonté. Celui que ses contemporains, déjà, considéraient comme le dieu de la guerre, le plus grand stratège de lhistoire. Il ne pouvait donc être responsable de cette déroute. En homme politique, travaillant à limage que la postérité garderait de lui, il a donc donné, en trois fois, sa version de la campagne, manipulant lhistoire, pour jeter les bases de la légende. On le savait depuis longtemps, mais Bernard Coppens affirme que la manipulation est allée bien plus loin quon ne le pensait. Par admiration, par intérêt, par manque de sens critique, les historiens ont accepté la parole du grand homme et ont transformé son récit en vérité. Ils ont répandu des torrents dencre en analyses et en querelles sur les fautes des uns ou des autres, mais nont plus guère discuté les grandes lignes du récit napoléonien.
Très convaincant sur le fond, le livre de Bernard Coppens présente des faiblesses de forme. Tout dabord, un certain parti pris anti-napoléonien, alors quun ton plus neutre et factuel aurait renforcé largumentation. Ensuite, lensemble est parfois un peu décousu. Les chapitres senchaînent sans articulations et sans que le plan densemble n'apparaisse nettement. Un peu comme sils avaient été écrits séparément, puis assemblés au dernier moment. Du coup, on trouve beaucoup de répétitions. Les informations ou les discussions sont toutes placées sur le même plan, alors quune hiérarchisation plus nette aurait été souhaitable. Par exemple, un assez long chapitre est consacré au «mot de Cambronne». Cest très intéressant, mais par rapport aux erreurs et mensonges de Napoléon, il sagit dune manipulation de second ordre. Or, cette hiérarchie nest pas assez affirmée dans le livre. Enfin, la cartographie est insuffisante, surtout pour un sujet comme celui-là.
Malgré ces critiques, il faut répéter que cet ouvrage avance des hypothèses qui méritent dêtre prises au sérieux, car elles renouvellent en profondeur la vision de la campagne de 1815. Il y a cent ans, il aurait provoqué une tempête et son auteur aurait sans doute dû se battre en duel contre ses détracteurs. Sans en arriver là, il sera intéressant de voir quelles réactions il suscitera aujourdhui.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 06/10/2009 ) Imprimer
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