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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Une histoire en prise avec des thèmes contemporains et d’actualité | | | Paul-André Rosental Catherine Omnès Les Maladies professionnelles, genèse d'une question sociale (XIXe-XXe siècles) - RHMC 56-1 Belin 2009 / 25 € - 163.75 ffr. / 256 pages ISBN : 978-2-7011-5105-2 FORMAT : 16 x 24 cm Imprimer
La santé au travail, sujet plus que jamais dactualité, est encore embryonnaire au point de vue des recherches historiques. Son émergence et sa constitution encore relativement récente soulignent la complexité des enjeux dun thème sensible dans lopinion et au sein des pouvoirs publics. Le numéro spécial de la RHMC consacré à la partie émergée de liceberg, les maladies professionnelles, sinterroge demblée sur les raisons du relatif silence dont souffre cette question depuis les cinquante dernières années, soulignant en creux lécho quelle rencontre aujourdhui en France.
Lhistoire de la santé au travail est en effet, comme le soulignent C. Omnès et P-A Rosental dans lintroduction, une question sociale au croisement dune histoire sociale des individus et des savoirs et parce quelle permet dexplorer de nouvelles pistes en histoire du travail, du syndicalisme, des entreprises ou bien encore de limmigration. Elle a été stimulée depuis une vingtaine dannées par lapparition de nouvelles sensibilités au risque collectif, à la protection de lenvironnement mais aussi par une attention relativement récente à la «souffrance au travail», portée en particulier par la critique des effets pervers du modèle libéral ainsi que par les mutations profondes du travail induites par la mondialisation. La publicité offerte aux victimes des maladies professionnelles grâce aux procès liés à lamiante en France a été un des éléments clés de cette sensibilisation de lopinion. LUnion Européenne a en particulier beaucoup uvré en faveur de la santé au travail. Mais son action a été partiellement occultée pour des raisons idéologiques, par des historiens accordant une place centrale à la défense de lemploi ou au productivisme. Par ailleurs, il est évident que la défense de la santé au travail a pu, dans les luttes syndicales, occuper une place essentielle et récemment réévaluée au regard de visions classistes des organisations syndicales. Aussi les auteurs insistent-ils sur la nécessité de repenser largement les relations entre la société civile et les organisations syndicales dans lhistoire des maladies professionnelles, comme la largement démontré le rôle des associations de victimes dans le cas de lamiante.
Lidée de centrer lexamen sur les maladies professionnelles doit beaucoup au travail pionnier dAlain Cottereau qui, il y a presque 30 ans, coordonnait un numéro spécial du Mouvement Social consacré à lusure au travail. Dans son sillage, sest développée létude dune véritable démographie du vieillissement face au travail et à lusure des salariés face au travail en y intégrant ses dimensions psychiques. Aujourdhui, la santé au travail sest enrichie dune approche encore plus sociale, dans le sillage de lhistoire de la santé publique et de celle des trajectoires sociales dans le monde du travail. Parallèlement, lhistoire de la santé ouvrière sest également nourrie de lhistoire des institutions qui a permis de confronter, grâce à louverture vers le droit et les autres sciences sociales, les pratiques au cadre réglementaire.
Ce numéro spécial a choisi une démarche diachronique superposant trois angles dapproches afin de mieux comprendre lévolution de la santé au travail depuis lémergence du concept à la fin du XIXe siècle, jusquaux années les plus récentes. Dans une première partie («Les risques au travail»), Caroline Moriceau examine la mutation des perceptions du risque au travail dans le cadre de la France industrielle du XIXe siècle finissant. Elle examine très subtilement les forces à luvre dans ce processus : les hygiénistes mais également les ouvriers permettent de forger la notion complexe de risque professionnel, non dépourvue dambiguïté tant les intérêts des employeurs et des salariés ne sont ni univoques ni convergents. Julien Vincent réfléchit ensuite sur la santé des ouvrières britanniques du Staffordshire travaillant dans lindustrie anglaise de la céramique à la même époque. Là encore, létude des discours des différents acteurs (chimistes du Home Office, statisticiens, inspectrices féminines, manufacturiers, médecins
) permettent de redéfinir les contours dune inquiétude générale à propos de la civilisation industrielle et des modes de consommation britanniques. Catherine Omnès, dans une perspective plus contemporaine, sinterroge enfin sur le retard de la prévention des risques au travail dans les entreprises, qui ne simpose quà la fin du XXe siècle. Elle insiste sur la lenteur des processus de reconnaissance des pathologies professionnelles, accrue par lapparition tardive des symptômes parfois longtemps après lexposition. Un autre élément dexplication réside dans la force des représentations consistant à valoriser certains risques (la machine) au détriment dautres dangers plus traditionnels, comme les chutes, les coupures ou les intoxications. À ce tableau, il convient dajouter les arguments comptables dun État tendant à ajuster les dépenses de réparation à ses moyens financiers, et donc peu enclin à reconnaître de nouvelles pathologies professionnelles. Mais largument central de sa démonstration consiste en la mise en évidence dun lobby patronal français très fort, qui par lintermédiaire de différents corps institutionnels comme la Chambre de Commerce de Paris ou le Conseil supérieur du Travail ou dorganisations patronales comme lUIMM, a tout mis en uvre pour retarder, limiter ou ajourner tout projet de loi tendant à alourdir les coûts pour les employeurs. Par ailleurs, la mobilisation, somme toute assez timide, des travailleurs a pu contribuer à la lenteur du processus dinstitutionnalisation de la prévention des risques professionnels.
Au-delà, C. Omnès identifie trois temps dans ce processus. Le «temps de la réforme sociale» (fin XIXe s. début XXe s.) est le premier moment au cours duquel sont mises en place les premières bases des systèmes de surveillance de santé. Dans un second temps, autour des années 1940, sopère le passage dune médecine dusine à une médecine du travail et laffirmation dune logique de prévention, parallèlement à la généralisation des systèmes de sécurité sociale un peu partout en Europe. Enfin, dans les années 1970 vient le temps de linstitutionnalisation de cette prévention répondant à la demande des États et des instances communautaires. Cette dernière étape se caractérise en France par la loi du 6 décembre 1976, qui impose une conception nouvelle de la sécurité au travail la sécurité intégrée - et lextension des missions et des moyens de la médecine du travail. Lauteur rappelle cependant que ce cheminement, même dans la dernière étape ne sest pas fait sans obstacles et que la mise en pratique dune réelle sécurité au travail est encore inégale selon les secteurs, les cultures professionnelles, lorganisation et les moyens financiers qui lui sont accordés.
La deuxième partie («La silicose, un cas exemplaire») se concentre sur le cas de la silicose et de la famille des pneumoconioses, en multipliant les aires géographiques (France, Belgique et Japon). Avec beaucoup de clarté, P-A Rosental et J-C Devinck établissent les raisons de la lente reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle, qui naboutit quaprès la Seconde Guerre mondiale. E. Gerkeens analyse ensuite les modalités de la résistance patronale à la reconnaissance de la silicose des ouvriers belges durant lentre-deux-guerres. B. Thomann apporte enfin une contribution intéressante en analysant le cas japonais. La reconnaissance et la prise en charge de la silicose et des pneumoconioses font écho aux exemples précédents : les connaissances se font plus précises à la fin du XIXe s. et mettent laccent sur les maladies infectieuses telles que la tuberculose, et il faut attendre les années 1920 pour quelle suscite lintérêt des spécialistes et 1930 pour que cette pathologie soit officiellement reconnue comme maladie professionnelle. Cette reconnaissance doit, une fois encore, beaucoup aux mouvements ouvriers et à ladhésion du Japon à lOIT en 1919. Plus surprenante est la mise en évidence par B. Thomann du rôle moteur de lAssociation des mines japonaises principal organe patronal du secteur dans la diffusion des savoirs sur les émissions de poussières, ses conséquences et les moyens de les prévenir. Contrairement à lattitude du patronat français à la même époque, les compagnies minières japonaises faisaient de la rationalisation du travail dans les mines et le développement dune meilleure organisation une priorité, reléguant la question de la silicose comme maladie professionnelle au second plan, dautant que les enjeux financiers étaient assez limités. Après la Seconde Guerre mondiale, progressivement la reconnaissance du diagnostic de la silicose induit une indemnisation des individus de plus en plus étendue, conduisant en 1960 au vote de la loi sur les pneumoconioses donnant droit à une prise en charge à vie.
La troisième partie («La mesure du mal») porte sur la difficulté à circonscrire la notion de maladie professionnelle. N. Hatzfeld retrace lépopée des affections péri-articulaires entre 1919 et 1972 et souligne les difficultés de lappréhension par les autorités administratives dun mal perçu comme pouvant ouvrir la boîte de Pandore de compensations financières sans fin. O. Hardy-Hémery examine ensuite les dangers de lamiante-ciment, dont lusage ne fut interdit en France quen 1997, et quEternit, le principal acteur de la filière en France, a nié durant des années. Elle met en évidence la correspondance dun produit parfaitement adapté au contexte de reconstruction des deux après-guerres, avec la négation de ses bien réels dangers - mais fort longs à se manifester - ajoutée à la complicité dun groupe industriel et des pouvoirs publics qui ont su faire accepter un «usage contrôlé de lamiante» jusquen 1994. Elle souligne enfin le rôle déterminant des associations de victimes dans la reconnaissance des responsabilités des industriels et pour les indemnisations. D. Rosner et G. Markowitz apportent en dernier lieu un témoignage éclairant sur leur expérience dhistoriens convoquée au cours de procès aux États-Unis où les responsabilités des entreprises dans la connaissance de la nocivité de certains produits sont examinés.
En définitive ce numéro dresse un panorama passionnant sur un thème sensible, encore en chantier, démontrant la vivacité dune histoire en prise avec des thèmes contemporains et dactualité. Il souligne également la permanence de freins internes et externes dans les prises de conscience face à des maladies dune nature aux causes finalement tant sociales quéconomiques ou techniques, façon de rappeler le rôle citoyen de la démarche historique
Claire Barillé ( Mis en ligne le 23/02/2010 ) Imprimer | | |
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