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Mise au point
Jean-Louis Panné   Jan Karski. Le ''roman'' et l'histoire
Pascal Galodé Editions 2010 /  17.90 € - 117.25 ffr. / 187 pages
ISBN : 978-2-355-93099-7
FORMAT : 15cm x 21cm

L'auteur du compte rendu : Pascal Cauchy est chargé d'enseignement à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Il a étudié l'histoire et l'historiographie de l'Union soviétique et le militantisme au sein du Parti Communiste français. Il collabore à plusieurs revues de sciences sociales (Vingtième siècle, Revue d'histoire, Communisme). Il est conseiller éditorial auprès de maisons d'éditions françaises.
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Jean-Louis Panné est en colère. Le roman que Yannick Haenel a construit autour de Jan Karski (pseudonyme de Jan Kozielewski), personnage essentiel de l’histoire de la Résistance polonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, l’a irrité au plus haut point. Non que M. Panné, promoteur de la réédition française des mémoires de Karski, dénie tout droit à la fiction littéraire de se construire sur l’histoire à partir d’événements avérés, mais il refuse tout net à Yannick Haenel d’entretenir dans son récit une ambiguïté malsaine, entre le produit d’une inspiration légitime et le roman à thèse qui s’appuierait sur des données volontairement falsifiées.

La polémique qu’a suscitée le roman Jan Karski paru en 2009 est ici rappelée dans ses grandes lignes. Mais Jean-Louis Panné ne propose pas de se surimposer à ce que d’autres, comme Claude Lanzmann et des historiens, ont dit ou écrit sur le travail de Y. Haenel. Le livre Jan Karski. Le «roman» et l’histoire est une sévère mise au point fondée sur une grande connaissance de l’histoire polonaise doublée d’une vraie passion pour Jan Karski.

Pour construire sa réponse, Jean-Louis Panné a opéré un montage de textes qui permet à la fois un éclairage sur l’action de Karski pendant et après la guerre et d’opérer une critique politique, au bon sens du terme, du roman de Y. Haenel. De quoi s’agit-il ? Jan Karski est un haut responsable de l’Armia Krajowa, l’Armée clandestine polonaise agissant sous l’autorité du gouvernement polonais de Londres. A ce titre, il opère plusieurs et périlleuses missions de renseignement sur la situation en Pologne occupée, à savoir le Gouvernement général et le Wartheland, territoires sous la domination implacable des nazis, et même exceptionnelle par sa férocité. Son activité s’étend également à la partie orientale qui fut pendant près de deux ans sous domination soviétique. Il doit rendre compte de la situation d’un territoire coupé du reste du monde et d’une population rendue muette par l’occupant.

Très vite, dès septembre 1939, deux faits s’imposent, l’occupation allemande est d’une nature inédite par sa violence à l’égard des Polonais, deuxièmement, la mise en place immédiate d’une politique antisémite dans un pays qui compte près de 2 millions de Juifs aboutit rapidement à élimination de cette population de la société polonaise, élimination qui devient extermination organisée dans le courant de l’année 1941. Reste, en toile de fond, la question soviétique, la réalité de l’annexion orientale, et la présence d’une résistance communiste qui se soustrait à l’autorité du gouvernement de Londres. C’est de tout cela et de la terrible évolution de la situation, en particulier de l’extermination des Juifs, que rend compte Karski lors de sa dernière mission en Occident peu après l’été 1942, durant lequel il a pu se rendre dans le Ghetto de Varsovie à deux reprises. Identifié par les Allemands, Karski ne pourra plus revenir en Pologne.

C’est la réception par les Alliées de ce témoignage de première main sur la réalité de l’Holocauste et le scepticisme qui l’accompagne, qui fait la polémique. Jan Karski a rencontré, à l’initiative du gouvernement polonais, les plus hauts dirigeants britanniques et surtout américains. Roosevelt demande à le recevoir en entretien et en présence de l’ambassadeur de Pologne. La clé du roman de Haenel tient sur la présomption du désintérêt pour l’extermination des Juifs polonais de la part des Alliés et de Roosevelt lui-même qui manifeste un bâillement d’ennui, écoutant un Karski trop volubile et peu crédible aux yeux de ses interlocuteurs, par les outrances des faits qu’il rapporte.

De tout cela, Jean-Louis Panné fait table rase. La position de Jan Karski, la qualité de son témoignage, les logiques des Alliés sont à replacer dans le contexte mouvant de l’hiver 42-43. La première partie de livre est la reprise de la préface à la réédition de Mon témoignage devant le monde… en 2004, ouvrage dont l’écriture recèle une histoire singulièrement déformée par Haenel mais rapportée ici avec précision. Avec un souci de l’exactitude, M. Panné retrace l’itinéraire de Karski, explique le rôle particulier de l’Armée de l’intérieure, si différente des mouvements de Résistance dans les autres pays occupés. Surtout, il analyse avec minutie les mécanismes et les aléas de l’émission et de la réception du tout premier témoignage officiel sur l’extermination des Juifs en Pologne. Loin de la caricature sur la supposée indifférence de Roosevelt et des Alliés, l’analyse proposée ici s’appuie sur une lecture fine et rigoureuse de nombreux documents. Trois extraits sont donnés dans une deuxième partie du livre, dont le récit de la rencontre avec le Président américain, rapporté dès 1947 par l’ambassadeur polonais Jan Ciechanowski. De la lecture de tout cela, on comprend mieux les mécanismes de l’incrédulité : énormité des choses rapportées, difficultés à concevoir la situation spécifique de la Pologne, et surtout les enjeux de la guerre elle-même qui portent en priorité sur le combat militaire contre l’Allemagne (sans oublier la guerre en Asie) et, déjà, sur les relations présentes et futures avec l’Union soviétique. Mais de l’incrédulité à l’indifférence, il y un gouffre. Et c’est bien là que réside le nœud de la polémique autour du roman de Yannick Haenel, que Jean-Louis Panné défait dans un style vif et agréable pour redonner au personnage de Karski sa pleine dimension historique.

Pourtant, la parole de Karski fut entendue. Il apporta son concours à Thomas Mann et Alexis Tolstoï pour leur ouvrage Terror in Europe. The Fate of the Jews. Il rencontra Koestler. La BBC lui donne la parole et l’émission Les Français parlent aux Français du 8 juillet 1943 rapporte par voix françaises interposées son témoignage ; la retranscription de l’émission est reproduite dans le livre de Jean-Louis Panné (il serait intéressant, d’ailleurs, de faire l’inventaire des émissions de la BBC dans lesquelles le témoignage de Karski est repris).

Malgré tout, Jan Karski a subi une double désillusion, un double drame, celui de ne pas avoir été totalement entendu, de l’échec à rendre compte de la juste dimension de la catastrophe qui s’abat sur les juifs et de n’avoir pas pu montrer l’importance du nouveau péril communiste que la partie orientale de la Pologne avait déjà subi. Au croisement de ce destin deux fois infernal, il y a le massacre des Juifs de Jedwabne, le 10 juillet 1941, par la part non juive de la population, juste après le départ des Soviétiques et l’arrivée des Allemands. Avec un ton mesuré mais ferme, Jean-Louis Panné rappelle la polémique qu’avait suscitée le livre de Jan T. Gross, Les Voisins, dont la thèse, ici vigoureusement contestée, est de conclure à la dimension antisémite de la Pologne occupée et rendue ainsi complice active des nazis. En rappelant également le mauvais accueil fait en France au film de Wajda, Katyn, Jean-Louis Panné dresse le panorama, et le procès, d’un climat intellectuel propice à un relativisme historique qui ne dit pas son nom et qui renvoie dos à dos Allemagne nazie et Alliés (p.28).

De tout cela, M. Panné dégage les options politiques ou les présupposés idéologiques, comme on voudra, du livre de Yannick Haenel. Le drame de Jan Karski, messager de l’enfer, n’est que le prétexte à une mise en accusation de l’Occident, rendu responsable et coupable de même poids que les nazis de l’extermination des Juifs par une passivité assumée. D’autre part, il s’agit de jeter la suspicion sur une Pologne catholique antisémite de toute éternité (cela rappelle la thèse de W. Schirer sur le déterminisme de l’histoire allemande et la théorie de la continuité de Luther à Hitler). La conclusion du livre de Jean-Louis Panné est sans appel ; son exaspération à l’égard d’un morceau de «littérature moisie» nous a permis de retrouver Jan Karski, personnage essentiel de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, personnage essentiel à l’humanité tout entière.

Le montage de l’ouvrage juxtaposant des textes de nature variée et l’inclusion de nombreuses notes de bas page, nuisent nullement à sa lecture, bien au contraire. On peut ne pas partager toutes les conclusions de M. Panné mais on doit lui faire crédit de l’entière cohérence de l’analyse, de la grande qualité de l’information et des arguments. Il est des livres qui rappellent que la critique est aussi une littérature avec ses titres de noblesse, qui nécessite talent, rigueur et passion, celui-ci en est l’heureuse démonstration.


Pascal Cauchy
( Mis en ligne le 05/10/2010 )
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