L'actualité du livre Jeudi 28 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Histoire & Sciences sociales  ->  
Biographie
Science Politique
Sociologie / Economie
Historiographie
Témoignages et Sources Historiques
Géopolitique
Antiquité & préhistoire
Moyen-Age
Période Moderne
Période Contemporaine
Temps Présent
Histoire Générale
Poches
Dossiers thématiques
Entretiens
Portraits

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Philosophie
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Sieyès ou la révolution libérale ?
Erwan Sommerer   Sieyès - Le révolutionnaire et le conservateur
Editions Michalon - Le Bien commun 2011 /  10 € - 65.5 ffr. / 117 pages
ISBN : 978-2-84186-559-8
FORMAT : 11,6cm x 18,7cm

L'auteur du compte rendu : Antoine Broussy est agrégé d'histoire, enseigne au lycée et
achève une thèse sur l'histoire de la Révolution en Suisse.

Imprimer

Publiée dans la collection «Le Bien commun» chez Michalon, cette biographie de Sieyès rédigée par Erwan Sommerer, docteur en science politique, est l’occasion de redécouvrir une figure bien connue de la Révolution. Pour la postérité, Sieyès est en effet celui qui combattit l’absolutisme et les privilèges dans son Essai sur les privilèges (1788) et qui prit la défense du peuple dans sa brochure Qu’est-ce que le Tiers-État ? (1789). Ces deux écrits lui assurèrent une notoriété immédiate, faisant de lui un orateur écouté dans les différentes assemblées où il fut amené à siéger.

A l’heure où l’on annonce une nouvelle fois la mort de la Révolution (Voir l’entretien de Patrice Gueniffey avec Elisabeth Lévy dans Le Point du 14 avril 2011), ce livre semble tomber à point pour rappeler que celle-ci, dans sa complexité, a encore de quoi transmettre à notre présent – en l’occurrence en matière de philosophie et d’économie politique. Le premier enseignement, comme le tire du livre le rappelle, pourrait être que la Révolution se laisse difficilement enfermer dans des catégories. La trajectoire de Sieyès est ainsi exemplaire, lui qui évolue de la position de «révolutionnaire» à celle de «conservateur». La dernière partie du livre, consacrée à la relation entre le pouvoir constituant et la Révolution, montre d’ailleurs comment Sieyès est passé d’une pensée de la table rase à celle de la préservation (p.107). Après Thermidor, l’abbé réfléchit en effet à la manière de «terminer la Révolution» en tentant d’éviter toute nouvelle rupture institutionnelle identique à celle de 1793. Ce faisant, il met le pied à l’étrier à Bonaparte, dont l’avènement réduit cependant l’abbé au silence avant que le discrédit du césarisme impérial n’emporte finalement sa pensée constitutionnelle.

C’est sur celle-ci, moins connue peut-être hors du cercle des spécialistes, qu’Erwan Sommerer nous propose de revenir en s’attachant, en plus de la question du pouvoir constituant en révolution, aux deux autres éléments considérés parmi les plus stables et cohérents de l’œuvre de Sieyès : le rapport entre la Nation et le contrat social et les principes de la représentation politique.

En libéral, Sieyès attache une attention spéciale au contrat. D’un point de vue jusnaturaliste, ce dernier autorise en effet à considérer l’état social dans la continuité de l’état de nature, par essence atomiste : tous les individus possèdent les mêmes droits naturels (la liberté et la propriété qui permettent à chacun de décider de ses actes et de conserver la maîtrise de son travail) mais ils sont isolés. Le contrat garantit la protection par laquelle personne ne pourra empiéter sur la liberté et la propriété d’autrui. Il affermit ainsi l’égalité et la liberté naturelles : il les sécurise. En contrepartie, les individus, désormais liés entre eux, s’engagent à respecter les normes collectives qui permettent la poursuite du bonheur privé. Cette relation forme alors le socle de la nation et suppose tout à la fois que les individus qui la composent aient adhéré librement à cette association et en acceptent les valeurs. En conséquence, tout ceux qui les rejettent, qui n’aspirent pas au partage égalitaire des droits naturels (cette égalité étant comprise en fonction des capacités de chacun) et qui n’adhèrent pas au consensus moral, doivent être relégués hors de la nation, d’autant plus que celle-ci accueille qui se soumet au contrat qui la fonde.

Une fois résolue la question des ennemis de la nation, se pose celle de la participation des membres de la nouvelle association. Si l’égalité s’entend en fonction des capacités de chacun, on comprend là ce qui conduit Sieyès à distinguer les citoyens actifs des citoyens passifs. Tous possèdent les droits civils, mais les seconds sont privés des droits politiques. Parmi ces derniers, les enfants, les femmes, les domestiques (tous sous influence) et les vagabonds (dont on se méfie) sont exclus d’entrée. S’ajoute ensuite la liste de ceux qui ne peuvent pas payer un certain cens. Erwan Sommerer précise que Sieyès envisageait cet effort financier davantage comme un tribut civique (plus modeste que celui adopté finalement par les constituants de 1791) que comme une discrimination par la richesse. Il s’agit de montrer que l’on souhaite participer aux affaires publiques et non se consacrer uniquement à ses affaires privées. Cette distinction a toutefois largement contribué à forger l’interprétation d’une révolution confisquée par la bourgeoisie.

Reste qu’à lire les principes de la représentation politiques tels que les entendaient Sieyès, cette distinction procède d’une logique libérale. L’abbé place en effet les fonctions politiques au rang le plus élevé des activités humaines. C’est pourquoi il prétend les confier aux mains d’experts, s’opposant en cela à Rousseau. S’inspirant ici de l’idée pratique de la division du travail exposée par Adam Smith, Sieyès estime ainsi que tous les individus qui composent une société ne possèdent ni les lumières, ni le goût, ni l’intérêt nécessaires pour exercer une activité politique. Mieux vaut donc déléguer à des spécialistes, les autres pouvant ainsi se consacrer plus efficacement à d’autres tâches. Cette délégation assure ainsi, selon lui, une plus grande liberté aux citoyens car, autrement, chargés de tout faire et faisant tout, ils se verraient en effet nécessairement limités dans leurs autres activités. Par ailleurs, Sieyès ajoute que les représentants du peuple ne peuvent être dépositaires d’un mandat impératif de la part de leurs électeurs. En effet, l’Assemblée doit être le lieu du débat. Son rôle est de délibérer, de concilier, d’arriver à vouloir en commun. Les gouvernés doivent donc accorder la plus grande confiance à leurs représentants et elle peut d’autant plus l’être que leur mission est révocable. Une fois encore, il ne s’agit donc pas d’aliéner sa liberté.

A l’heure où la vitalité de notre démocratie est souvent questionnée, la pensée de Sieyès, loin de constituer un manuel d’économie politique, peut-elle encore, sans que l’on verse dans l’analogie simpliste, s’adresser à nous ? La vision contractualiste de la société et l’adhésion volontaire à la communauté nationale n’appellent-elles pas à réfléchir à la notion de responsabilité individuelle, terreau de la liberté ? L’accent porté sur la démocratie représentative ne peut-il être un contrepoids à la démocratie d’opinion ou à l’idée de démocratie participative ? Le citoyen peut-il et doit-il en effet s’ériger en expert dans un monde de plus en plus complexe ? Afin de rétablir la confiance entre gouvernés et gouvernants, ne faudrait-il pas instaurer une plus grande distance entre les deux ? Les premiers, par exemple, ne succomberaient-ils pas moins à la tentation de répondre aux mandats supposés de leurs électeurs transmis via le prisme des sondages ?

En nous guidant de façon très claire, le petit livre d’Erwan Sommerer nous invite à redécouvrir toute l’actualité de la pensée de Sieyès – et plus largement, de l’ombre portée de la Révolution.


Antoine Broussy
( Mis en ligne le 17/05/2011 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd