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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Jean-Baptiste Bruneau Le ''Cas Drieu'' - Drieu La Rochelle entre écriture et engagement - Débats, représentations et interprétations de 1917 à nos jours Eurédit 2011 / 80 € - 524 ffr. / 646 pages ISBN : 978-2848301518 Imprimer
Vingt ans après la publication contestée du Journal de Pierre Drieu La Rochelle chez Gallimard, lécrivain fasciste est de nouveau à lhonneur avec son entrée dans la Pléiade, la prestigieuse collection des éditions Gallimard. Délaissant le genre biographique, Jean-Baptiste Bruneau, maître de conférences à luniversité de Lorient, nous invite dans Le «Cas Drieu» à une relecture de son itinéraire à partir de la réception de son uvre, comme le suggère le sous titre, «entre écriture et engagement. Débats, représentations et interprétations de 1917 à nos jours».
Jeune héros de la guerre des tranchées, Drieu est dabord un écrivain davant-garde flirtant avec le mouvement surréaliste il participe au procès Barrès mais qui évolue ensuite vers des positions plus conservatrices. Un temps courtisé par lAction française dont il se tient à distance, lécrivain se fait essayiste et développe, au tournant des années trente, un pacifisme européen tendance «Jeunes turcs» du mouvement radical, à la suite de Gaston Bergery. Attiré par laction politique et influencé par le 6 février 1934, lauteur de Socialisme fasciste sengage aux côtés du Parti populaire Français de Jacques Doriot (1936-1939) avant de le rejoindre à nouveau pendant lOccupation, lentraînant dans la collaboration, ultime engagement avant son suicide. Lequel suicide contribue à figer la postérité de lécrivain dans une légende. Tout en atténuant lidée de la culpabilité de Drieu au sujet de sa collaboration, certains écrivains et critiques de laprès guerre campent la figure dun dandy fragile mais attachant que résume, en 1963, ladaptation du Feu Follet de Louis Malle.
Refusant de séparer les uvre littéraires des essais ou de prétendre que les uvres «romanesques ne sont que les vecteurs insidieux, dune idéologie», Jean-Baptiste Bruneau souhaite recontextualiser la figure de Drieu dans le champ littéraire et politique de son époque afin de ne pas analyser son itinéraire uniquement à laune de son engagement collaborationniste. Pour ce faire, lhistorien a croisé plusieurs types de sources en reprenant tout dabord, ouvrage après ouvrage, les «lecteurs savants» que sont les critiques, puis bien-sûr les écrits de Drieu et enfin les mémoires, correspondances et journaux intimes qui, après 1945, orientent la construction dune postérité.
Construit en trois parties privilégiant la réception après le suicide - «Les années dindulgence : 1945-1970» puis «Les années de disgrâce : de 1970 à nos jours» -, lauteur ouvre son étude par une longue mise au point intitulée «La vie anthume : 1917-1945» qui pose les fondations à partir de la publication dInterrogation, un recueil de poèmes. Jean-Baptiste Bruneau montre comment se construit la figure du poète soldat et surtout comment, dès lédition de son premier essai en 1922, Mesure de la France, la critique discute davantage la forme que le fond, comme si la thèse de louvrage était secondaire. Lautre procédé à luvre dès le vivant de Drieu, et qui oriente sa réception posthume, est la lecture de ses premiers romans comme Une femme à sa fenêtre (1930) ou Le Feu follet (1931) dans lesquels les critiques identifient lauteur et ses personnages, «pont aux ânes de la critique» qui transforme lécrivain en témoin de lui-même, un matériau ensuite abondamment utilisé par tous ses biographes.
Hésitant entre le journalisme et lessai, sachant que nombre de ses livres ont dabord paru dans des journaux, Drieu publie Genève ou Moscou, proche dun fédéralisme européen ou LEurope contre les patries dédié à Gaston Bergery. Plus que sur le 6 février 1934, présenté comme la prise de conscience de son engagement fasciste - a posteriori, dans Gilles en 1940 Jean-Baptiste Bruneau sattarde sur la réception de Socialisme fasciste (1935), essai qui semble faire basculer lintellectuel méditatif dans laction politique quoiquil «reste figé dans une perception très littéraire, malgré ses engagements de plus en plus précis». Il semble que Drieu, en tant quacteur politique, nait été véritablement pris au sérieux quavec son engagement au Parti populaire Français de Jacques Doriot dont il a tiré un récit enthousiaste, Avec Doriot. Cependant, lidentité littéraire de lécrivain est encore très forte. J.-B. Bruneau en veut pour preuve la réception de son fameux roman Gilles, publié en 1940, qui nest pas alors perçu comme une «parabole fasciste» (Michel Winock). Davantage que lengagement fasciste assumé de la fin des années trente, cest surtout la compromission dans la collaboration et son retour au PPF qui transforment définitivement la perception que lon a de lécrivain, à lorigine du «cas Drieu», cest-à-dire des relectures faites de litinéraire en fonction de sa dérive politique sous lOccupation.
Le purgatoire ne dure pas longtemps. Le suicide de Drieu constitue la «matrice» de la figure de lécrivain maudit à lorigine de ce que J.-B. Bruneau nomme «Les années dindulgence : 1945-1970», analysant le rôle joué par des figures amicales comme Jean Paulhan, André Malraux, Emmanuel Berl, voire François Mauriac dans le contexte particulier de lépuration où toute une droite littéraire instrumentalise lécrivain, plus présentable quun Robert Brasillach ou un Lucien Rebatet. Les critiques réactivent le Drieu combattant de 14-18 éclipsant celui des années noires. Sans chercher à justifier lengagement collaborationniste, mais ignorant les essais politiques ou leur refusant toute légitimité, ces mêmes critiques survalorisent luvre strictement littéraire. Les Hussards ne tardent pas à semparer de ce destin raté et fragile bientôt présenté comme une figure de la frivolité tandis que, de façon plus confidentielle, lextrême droite linscrit dans un romantisme fasciste avec Paul Sérant. Ce nouvel élan est conforté à partir des années 60 «grâce aux rééditions qui se succèdent dune manière rigoureuse, fruit dune stratégie de la maison Gallimard» laquelle, au regard des tirages davant 1945, transforme presque Drieu en auteur à succès comme le montre, en annexes, un tableau récapitulatif des tirages.
Mais, à partir des années 70, cette lecture strictement autobiographique qui avait servi la vision romantique dun dandy puise dans cette même uvre littéraire - dans ses romans - limage dun romancier fasciste, ce qui fait dire à lauteur : «Le «cas Drieu» se pose ici dans toute sa complexité. Ce dernier a-t-il mis sa plume au service du fascisme ou est-ce seulement la renommée quil a acquise par elle qui sest rangée derrière cette idéologie ?» Toujours est-il que désormais les travaux sur Drieu, ceux de Pierre Andreu et André Grover ou de Dominique Desanti, sattachent à tirer de luvre littéraire le message politique et son engagement plutôt que de restituer véritablement un trame historique à partir des articles ou des écrits politiques de lécrivain. Si lon assiste au cours des années 80 à un apaisement sur le cas Drieu même si le problème de méthode nest pas résolu dans lappréhension des sources, la publication du Journal en 1992 constitue un véritable choc, bien analysé par J.-B. Bruneau, avec la mise à jour de lantisémitisme viscéral de lécrivain ainsi que de ses convictions nazies. Paradoxalement cette publication a sans doute favorisé une lecture plus historique de litinéraire de Drieu.
Doté dun solide appareil critique et de riches annexes avec notamment un florilège des textes les plus significatifs consacrés à Drieu de 1918 à 1995, Le «Cas Drieu», qui se lit très bien, est une contribution importante à lhistoire des intellectuels via lesthétique de la réception.
Guillaume Gros ( Mis en ligne le 20/06/2012 ) Imprimer
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