L'actualité du livre Jeudi 28 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Histoire & Sciences sociales  ->  
Biographie
Science Politique
Sociologie / Economie
Historiographie
Témoignages et Sources Historiques
Géopolitique
Antiquité & préhistoire
Moyen-Age
Période Moderne
Période Contemporaine
Temps Présent
Histoire Générale
Poches
Dossiers thématiques
Entretiens
Portraits

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Philosophie
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

''Le silence de la Muette''
Annette Wieviorka   Michel Laffitte   À l’intérieur du camp de Drancy
Perrin 2012 /  23 € - 150.65 ffr. / 384 pages
ISBN : 978-2-262-03423-8
FORMAT : 14,0 cm × 20,9 cm
Imprimer

«D'août 1941 à août 1944, environ 76 000 Juifs ont été internés dans les bâtiments de la cité de La Muette à Drancy, commune de la région parisienne.
 Près de 65 000 d'entre eux ont été déportés à Auschwitz.
 2 500 seulement sont revenus». Telles sont les premières lignes inscrites sur le site officiel du Mémorial de la déportation
 
du Camp de Drancy. Et pourtant, à en croire les données bibliographiques actuelles, relativement peu de travaux ont été réalisés sur cet aspect spécifique de l’histoire de la Shoah en France. En s’appuyant, entre autres, sur les témoignages de rares survivants, dont certains sont encore inédits, Annette Wiervioka et Michel Laffitte proposent de revenir de façon concrète et nuancée sur ce que furent au quotidien la vie et la mort à La Muette, depuis son affectation nouvelle en août 1941— à laquelle le projet architectural inachevé n’était ni destiné ni préparé — jusqu’en août 1944, date de la fermeture des lieux en tant que camp d’internement.

L’historique est retracé ici mois par mois, c’est là son principal intérêt, pour rapporter comment, dès la rafle du 20 août 1941 à Paris, l’étau exterminateur envers les personnes décrétées juives s’est resserré. L’hypothèse centrale des auteurs revient à dire que la visée génocidaire était à l’œuvre dès les premiers internements édictés à titre de représailles. Tous les récits d’internés dénoncent en effet l’horreur absolue de cette première étape mal connue de grave maltraitance, pour l’essentiel passive jusqu’en juin 1942, qui n’exclut ni les brimades ni le cachot. Dans les faits, les hommes (combien ? les chiffres manquent) arrêtés en août pour un «bref contrôle» sont morts par centaines avant l’hiver à Drancy : de faim, de froid et de vermine, «comme à Dachau», disent les témoins.

Plus nombreuses sont les chroniques relatives à la difficile cohabitation des internés d’origines très diverses, de juillet 1942 à juillet 1943, période durant laquelle La Muette a fait fonction de camp de transit vers la Pologne en vue de la «Solution finale», l’élément nouveau étant l’arrivée de familles entières, de femmes, d’enfants de 2 à 12 ans sans leurs parents (4000 autour du 15 août), avérée massive aux lendemains de la rafle du Vel d’hiv et celles de la zone sud. Un régime de violence et de corruption à grande échelle s’abat dans ce qui est désormais une vaste plateforme de tri, jusqu’au tournant proprement concentrationnaire pris en juillet 1943 avec la nomination d’Aloïs Brunner, par laquelle jusqu’en août 1944 l’horreur change de nature.

Désormais aux mains d’un professionnel de la mort, expert en régime de terreur et de manipulation de groupes, celle-ci (l’horreur) infiltre tous les rouages et propage, sous peine de torture et d’humiliation, les germes nés de sa propre logique : les internés sont ainsi amenés à œuvrer par eux-mêmes à l’anéantissement de leurs proches et à «collaborer» à ce qu’ils croient empêcher par leur illusoire pouvoir. Ce qui n’exclut pas la présence d’authentiques collaborateurs juifs, «les piqueurs», promus dans la hiérarchie du camp moyennant arrestations : les seuls, comme le soulignent les auteurs, à avoir réellement payé leurs exploits lors des parodiques procès d’épuration, en reflet de l’antisémitisme persistant. Notons que lorsque Maurice Rajsfus a soulevé ce problème en 1980 (Des Juifs dans la collaboration, L'U.G.I.F. 1941-1944, EDI), il a failli être excommunié. D’autres collaborateurs notoires — les noms sont précisément cités—, parfois après un bref séjour répressif à Drancy jugé par eux inconfortable, ont réussi sans entrave une brillante carrière et bénéficient encore aujourd’hui d’un prestige sans mémoire.

Comment comprendre «le silence de la Muette» (titre de J-A. Mazaud, 1995) ? On ne savait pas. À cette allégation difficile à soutenir, comme le reconnaît depuis peu l’actuel président de la SNCF alors que soixante quatre convois, en moyenne de mille personnes, ont quitté Drancy et les gares environnantes sous les yeux de la population, en direction d’Auschwitz, Sobibor ou Majdanek, s’oppose un surcroît de réminiscences toutes plus inexactes ou incomplètes les unes que les autres. Au gré des enjeux historiques, architecturaux et politiques, qui ont conféré à la cité de la Muette de multiples et coûteuses affectations successives, chacun des divers groupes sociaux impliqués a tenté de s’approprier ou d’effacer un morceau de mémoire selon ses intérêts ou ses convictions : une passionnante discussion très documentée. Toujours est-il que le compromis réalisé aujourd’hui est de restituer aux bâtiments leur vocation première d’habitation au sein d’un quartier en pleine rénovation ; en face de l’ancien camp sera inauguré le 16 juillet 2012 (soixante dix ans après la rafle du Vél d’Hiv) le Centre de mémoire et d’histoire.


Monika Boekholt
( Mis en ligne le 26/06/2012 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • Obéir - Les déshonneurs du capitaine Vieux Drancy
       de Didier Epelbaum
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd