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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Leçons d’une aventure incertaine
Alexandre Adler   Quand les Français faisaient l’histoire
Grasset 2014 /  18 € - 117.9 ffr. / 251 pages
ISBN : 978-2-246-81134-3
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm
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Quand les Français faisaient l’histoire est un ouvrage difficile à définir, sinon inclassable. Le titre n’y aide guère car, une fois lu, on comprend qu’il s’agit ici de la Résistance et que plus encore que l’histoire, les Français faisaient leur histoire. Mais en avaient-ils conscience ? Poser la question n’est pas sacrilège car on sait depuis Marx que les hommes font l’histoire mais ne savent pas l’histoire qu’ils font. La thèse centrale du livre répond à sa façon : la Résistance, bien qu’une page d’épopée, n’a pas eu de postérité politique, ou plutôt en a trouvé une tardivement entre 1958 et 1968 et l’on attend depuis lors, l’on espère plutôt si l’on suit l’auteur, le retour de son esprit qui a permis tant d’audace et de réussite.

En effet, si l’on suit le propos introductif ainsi que le bref passage de la conclusion où l’auteur tente d’expliquer la raison de sa démarche, il est manifeste qu’il invoque les héros et l’esprit d’un passé glorieux pour trouver des raisons d’espérer devant la désespérante situation d’aujourd’hui. Alexandre Adler part d’un constat pessimiste sur l’état actuel de la France, inerte, démissionnaire, en déclin si on la compare à son passé récent, même s’il souligne néanmoins l’atténuation de la violence, tant guerrière que civile. Pour y remédier, il est nécessaire de convoquer les mânes de la Résistance. Celle-ci, qui a su triompher des «années noires» saura nous montrer le chemin pour venir à bout du siècle des incertitudes. Même si le danger n’apparaît pas de même nature, il existerait un point commun pour Alexandre Adler : ce qu’il nomme la faillite collective des élites dominantes. Revenir à l’esprit de la Résistance, à défaut de retrouver des hommes de la taille des héros qu’il se plaît à évoquer, pourrait ainsi fournir «la réponse à l’étonnante crise que nous traversons», selon ses propres termes. Ajoutons à cela une motivation plus personnelle, ses origines familiales et ses alliances le rendant particulièrement sensible à ces thématiques.

Le plan de l’ouvrage résume fort bien tout ceci. Au départ, le donné de l’histoire, les personnalités d’exception, de Gaulle, Pierre Brossolette et Jean Moulin, ces derniers emblématiques des deux origines et des deux voies de la Résistance. Puis une analyse de la Résistance dans sa complexité, avec en complément, ce moment d’acmé qu’est la libération de Paris. Enfin, une méditation sur la postérité inégale de ces hommes et de ces événements, puis, en guise d’épilogue, une réflexion sur la «culture de la Résistance».

Sans qu’il soit question de reprendre en détails les thèses et affirmations de cet ouvrage foisonnant, indiquons en les points saillants qui peuvent intéresser le lecteur au-delà du simple rappel des faits historiques dont l’ouvrage est nourri. Sur de Gaulle, bornons nous à dire que l’essentiel porte sur ses rapports difficiles et complexes avec les communistes et le communisme, cette contre-société qui fascine toujours autant Alexandre Adler malgré sa chute finale. Le portrait croisé des deux héros de la Résistance, Brossolette et Moulin, est une belle page, digne de figurer dans de modernes Vies des hommes illustres renouvelées de Plutarque et qui se termine sur le regret poignant que leur mort tragique ait aussi été celles de leurs idées, thèse audacieuse que tempère toutefois le chapitre suivant consacré à la complexité de la Résistance. Le chapitre qui suit, consacré à la libération de Paris, rompt quelque peu avec le fil de la démonstration mais apporte une respiration bienvenue, plus factuellement historique, même s’il se clôt lui aussi sur une méditation sur l’échec politique des libérateurs, largement effacés par ceux qui ne les avaient alors pas rejoints, voire combattus. Ce qui constitue une transition avec le chapitre consacré à ce que l’auteur nomme non sans pittoresque «La malédiction des pharaons», cette étrange incapacité des libérateurs de 1944-45 à accéder au pouvoir et s’y maintenir, qu’ils soient de gauche comme Mendès-France ou de droite comme Jacques Chaban-Delmas, pour ne citer que ces deux chefs de gouvernement. On laissera le lecteur parcourir ces pages et juger de leur pertinence, ainsi que celles du chapitre suivant, celui des «Secrets de famille», qui s’attache plus spécialement à deux hommes politiques de premier plan dont le point commun est que leur attitude devant l’occupant a été fortement contestée, François Mitterrand et Georges Marchais. Ce n’est pas déflorer le sujet ni surprendre le lecteur de ces lignes que de dire qu’il s’agit là d’une entreprise visant à les absoudre totalement de toute faute en la matière.

Le chapitre final, consacré, on l’a dit, à l’esprit de la Résistance, contient nombre de notations intéressantes mais aussi une propension trop forte à distribuer les bons et les mauvais points. Un exemple frappant parmi d’autres : Alexandre Adler souligne à juste titre que l’école du structuralisme est incompatible avec une philosophie de l’action telle que celle de nombreux résistants, mais va très (trop) loin lorsqu’il reproche aux grands historiens de l’après-guerre comme Braudel ou Chaunu d’avoir parlé trop favorablement de l’Espagne catholique de «l’âge d’or». Ou encore lorsqu’il fait grief à Claude Lévi-Strauss de sa fuite, le montrant «arrangeant son départ providentiel» au Brésil d’où il ramènera Tristes tropiques. Ce qu’il appelle «cette morale très particulière de vaincus» consistant à nier toute valeur à l’historicité au profit de structures immobiles. Passons sur la haine affichée envers les écrivains de droite, notamment les «hussards», qui selon Adler «se baptisaient volontiers ainsi entre eux», alors que ce surnom qu’ils refusèrent vient d’un article, dans la revue de gauche Les Temps modernes, de Bernard Franck, qui n’en n’était pas ! Ou encore cette phrase : «Céline, bientôt absous (…) put bien vite reprendre le cours de sa prose ordurière», alors que condamné en 1950 à une année de prison, la confiscation de la moitié de ses biens, une importante amende et à l’indignité nationale, il n’a été qu’amnistié et n’a repris une vraie activité romanesque qu’en 1957, soit douze ans après la guerre. Les bons points sont aussi nombreux, le destinataire le plus inattendu étant à diverses reprises le général Leclercq, dont sont vantées tant la «lucidité d’archange» sur l’Indochine que ses qualités de stratège, de Koufra à Berchtesgaden.

Au total, de quoi s’agit-il ? Non pas d’histoire, l’auteur nous avertissant que «ce livre n’est pas, à proprement parler, une contribution à l’histoire. Il s’en nourrit certes mais la traite d’emblée comme un donné, aussi précieux soit-il», mais d’une tentative de trouver des réponses à nos crises actuelles en s’inspirant des grands hommes de la dernière épopée nationale, joliment qualifiée d’«aventure illimitée», d’éviter leurs erreurs et leur destin trop souvent avorté. Ce lyrisme rétrospectif convaincra t-il ses lecteurs contemporains, alors que la France actuelle est si différente de son aînée ? A chacun de répondre.


Jean-Etienne Caire
( Mis en ligne le 13/05/2014 )
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