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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

La mémoire de la grande guerre à l’épreuve de la politique
Nicolas Offenstadt   Les fusillés de la Grande Guerre - et la mémoire collective (1914-1999)
Odile Jacob 1999 /  21.37 € - 139.97 ffr. / 285 pages
ISBN : 2738107478
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Spécialiste du Moyen Age, Nicolas Offenstadt livre un essai original sur la mémoire des fusillés de la Grande Guerre dans la société française depuis 1914, sans s’interdire des comparaisons européennes qui donnent tout son relief et sa spécificité à la situation française. Après un premier chapitre classique faisant l’état de la question à partir des travaux récents et de quelques sources militaires comme de témoignages auxquels l’auteur a eu un accès facilité par l’ouverture des archives militaires, l’ouvrage scrute, dans une construction chronologique ne s’interdisant pas des allers-retours, les méandres de la mémoire collective française en privilégiant des sources pacifistes. L’ouvrage est neuf et concourt au renouvellement du débat historiographique sur la Grande Guerre, en attendant la publication du colloque de l’Université Paul-Valéry de Montpellier III de novembre 1998 sur 80 ans d’historiographie de la Grande Guerre et du séminaire des jeunes chercheurs sur la Grande Guerre à l’IEP de Lyon en septembre 2001.

La mémoire collective joue des phénomènes d’amnésie et d’hypermnésie, individuelles comme collectives, et la Grande Guerre occupe, dans sa construction, une place particulière, eu égard à la violence, au trauma et aux conséquences de 1914-1918 sur l’histoire du XXe siècle. La question des fusillés a longtemps été conservé dans le cercle de deuil des familles et des soldats camarades des fusillés après 1918 (voir Annette Becker, Stéphane Audoin-Rouzeau, 14-18. Retrouver la Guerre, Gallimard, 2000), car le nombre de morts quotidiens avait placé, dès 1914, la douleur et la souffrance dans la mémoire collective, bien avant les fusillés. Dans les échelles de la souffrance et du deuil, les fusillés n’étaient pas les premiers. Comme le démontre l’auteur, le débat, légitime, sur les fusillés pour désobéissance ou désertion au feu, ou refus d’obéir à des ordres iniques comme illégitimes, a pris corps surtout après la guerre, par le combat personnel et familial pour réhabiliter la mémoire, associative, puis politique. Le pacifisme l’a porté dès les années 1920, ne serait-ce que par l’action d’un certain nombre d’associations et de mouvements, à l’instar de la Ligue des droits de l’Homme en France, comme l’ont déjà montré Norbert Ingram pour la généalogie et les thèmes de combat de ces mouvements (The Politics of dissent. Pacifism in France 1919-1939, Oxford, Claredon press, 1991) ou Emmanuel Naquet pour la LDH. Les sources judiciaires sont très heureusement utilisées, depuis le débat sur la réforme des cours martiales et des conseils de guerre par la loi d’avril 1916 jusqu’aux recours d’après guerres. Les archives judiciaires aux Archives nationales recèlent encore, dans la série BB18, des informations précieuses qui recoupent celles des archives militaires pour les enrichir ou nuancer parfois. Sur le rôle du député Paul Meunier dans la réforme judiciaire, les archives nationales, dans leur série C, apportent des éléments qui complètent les analyses ici avancées (archives de la commission de législation civile et criminelle) : la défense des libertés publiques et individuelles ne furent pas oubliées de tous en 1914-1918, même si elle fut difficile. Rappelons toutefois que ce combat qui aboutit à la loi du 26 avril 1916 réformant les juridictions militaires ne fut pas le seul apanage de la Ligue des droits de l’Homme, notamment dans ses assemblées générales annuelles de 1915 à 1919. L’ouvrage contribue là à une meilleure connaissance de notre histoire judiciaire où l’exception côtoie si souvent le respect, sinon la défense élémentaire de droits imprescriptibles…

Au fond, l’auteur étudie plutôt la totalité du débat sur les fusillés, sans systématiquement tracer le cheminement et les enjeux de mémoires partisanes, sinon idéologiques qui ont instrumentalisé le souvenir de ces fusillés (mais pour mieux le défendre et l’honorer, certes), de mémoires locales car la résonance des affaires est le plus souvent géographiquement circonscrite. La mémoire de tous les fusillés n’a, on s’en doute, pas eu la postérité de l’affaire de Vingré. Il y a donc, en suivant l’auteur, une appropriation de cette mémoire dans un espace public le plus souvent local, municipal. Au juste, le village demeure l’horizon des Français au début du XXe siècle dans un pays de terroirs. L’auteur convainc souvent dans l’étude cette période 1919-1939. Ses sources, littéraires et cinématographiques, ne sont plus les mêmes pour étudier l’après 1945. La nature de sa démonstration change alors et se déplace sur le terrain de la cristallisation de la mémoire collective autour d’objets, lieux et rituels collectifs du souvenir. Curieusement, l’auteur néglige une source fondamentale dès 1914, à savoir la chanson populaire et de cabaret ou théâtre, music-hall (archives de la Préfecture de police de Paris pour 1914-1918), qui s’empara de ce thème de façon inégale. Si, en le rapportant à l’objet d’étude de l’essai, l’on étudiait les thèmes des chansons de Gaston Montéhus ou du groupe de la Muse rouge, on verrait que cette question des fusillés n’est pas, loin s’en faut, au premier plan de la révolte sociale ou des appels à la justice dans la chanson révolutionnaire (on suivra ici les analyses de Gaetano Manfredonia par exemple). La raison de ce fait n’est pas très claire au demeurant, sauf à noter que l’effort consenti par les Français dans leur sacrifice a retardé d’autant le débat sur les fusillés pour l’exemple et son intégration à la mémoire de guerre. Les fusillés, dans leur mémoire, furent honorés après les héros, les morts, les disparus dans le deuil national. Après 1945, la Seconde Guerre mondiale occulte, momentanément mais fortement, la mémoire de l’avant-dernière guerre. En somme, il y a une concurrence à laquelle ne s’attache pas précisément N. Offenstadt ; elle pose le problème du moment et de la cause faisant resurgir ce souvenir dans le débat politique comme celui des rejeux de la mémoire nationale dans la question des fusillés, d’autant que la guerre d’Algérie convoque ce souvenir dans des conditions polémiques. On devine que le combat intellectuel et philosophique contre les iniquités, injustices et les défauts de la justice militaire font appel à des précédents glorieux. La politisation de la mémoire fait un ménage curieux avec l’histoire, jusqu’à celui de la réhabilitation par le gouvernement Jospin de la mémoire de ces combattants. Victimisation et repentance ont d’ailleurs, logiquement, pollué un débat qui faisait honneur à notre démocratie.


Olivier Forcade
( Mis en ligne le 17/12/2001 )
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