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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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L’Internationale dans la tourmente. | | | Moscou-Paris-Berlin - Télégrammes chiffrés du Komintern. 1939-1941 Tallandier 2003 / 21 € - 137.55 ffr. / 614 pages ISBN : 2-84734-080-7
Présenté par Denis Peschanski.
Edité et annoté par Bernhard Bayerlein, Brigitte Studer, Mikhaïl Narinski et Serge Wolikow. Imprimer
Les années de guerre correspondent pour les partis communistes européens à une époque de déroute tant politique quintellectuelle. Les retournements spectaculaires de la diplomatie stalinienne - le pacte germano-soviétique de non-agression signé le 23 août 1939, le retour à une ligne antifasciste après lattaque allemande des lignes russes le 22 juin 1941 mirent les dirigeants des partis communistes européens face à des choix parfois impossibles, en tous les cas incompréhensibles. LInternationale communiste (Komintern), fondée en 1919, outil de la «Révolution mondiale», au service de cette diplomatie serpentine, est lorgane principal de liaison entre le Kremlin et les différents partis. Notons que lentre-deux-guerres avait déjà montré des virages analogues, pensons au passage dune ligne révolutionnaire «classe contre classe», à la ligne antifasciste du «front commun».
Le phénomène demeura longtemps dautant plus insaisissable que les historiens se trouvaient face à un double écueil ; celui du non accès aux sources, les archives communistes ; celui détudier un mouvement dont la pratique et la culture politiques reposaient sur lillégalité, le secret et la clandestinité.
Depuis la chute des murs, les archives souvrent progressivement à Moscou et nourrissent une historiographie revivifiée. Le premier écueil semble ainsi franchi. Le second lest aussi progressivement via le travail patient et méticuleux dhistoriens spécialistes du communisme.
Cest dans ce contexte nouveau que sinscrit le présent ouvrage. Grâce au travail de quatre grands spécialistes européens Bernhard Bayerlein, Brigitte Studer, Mikhaïl Narinski et Serge Wolikow , 319 télégrammes échangés entre le Komintern et les partis communistes occidentaux (France, Italie, Allemagne, Grande-Bretagne, Suisse, etc.) sont enfin disponibles, traduits et interprétés.
Le lecteur sera impressionné par la qualité de lappareil critique. Répartis en cinq sections chronologiques, chacune introduite par un chapitre rappelant le contexte et les enjeux, ces télégrammes regorgent dinformations sur les personnages et les événements évoqués. Les plus importants dentre eux bénéficient dun paragraphe introductif qui en développe le contenu.
Ces textes sont dun apport décisif pour la compréhension de lépoque et de linternationale communiste, encore aujourdhui mal connue. Ce sont des pratiques de pouvoir, des processus de décision qui sont mis en lumière par ces télégrammes quotidiens. Le lecteur y réalisera à la fois la forte structuration du mouvement communiste européen, sa subordination à Moscou (qui les finance), mais aussi limpréparation politique de ces différents organes en ces années cruciales. Cest le Komintern, à travers son secrétaire général depuis 1935, Géorgi Dimitrov, qui transmet la stratégie et surveille la ligne politique des dirigeants nationaux. Les logiques nationales entrent en effet souvent en concurrence avec la ligne générale définie à Moscou. Les problèmes de liaison ajoutent à ce difficile dialogue. On comprend alors mieux pourquoi les partis communistes français et britannique ont poursuivi la ligne antifasciste après le 23 août, et quensuite la ligne anti-impérialiste a perduré en Angleterre après le 22 juin, jusquà ce que «le centre» intervienne et redresse ces écarts.
La pratique de la clandestinité est également révélée par ces documents, cryptés, codés selon des procédés esquissés par les historiens. Les noms de code et les pseudonymes abondent dans ces télégrammes. Dimitrov y prend souvent le nom de «Jeannette». Maurice Thorez y apparaît en tant que «Stern». Le parti communiste anglais est le «Club de Troyes», et le gouvernement Daladier, le «syndicat Lenoir»!
Ces documents corrigent surtout la vision que lont peut avoir de la diplomatie stalinienne dont on a pu exagérer laspect cynique. La realpolitik soviétique nenlève en fait rien à la ligne idéologique. Celle-ci légitime en tout cas ces virages et les rend plus acceptables : «Question du fascisme joue aujourdhui rôle secondaire, question primordiale, cest la lutte contre capitalisme, source de toutes guerres, contre le régime de la dictature bourgeoise sous toutes ses formes, avant tout dans votre propre pays. Tactique du front unique et populaire nest plus applicable à cause du passage des socialistes et radicaux au camp de la guerre, et réaction impérialiste, et parce que guerre a créé nouvelle situation, cest-à-dire crise en plus profonde et aiguë du capitalisme», lit-on sur un télégramme du 29 septembre 1939 (cit.p.81) En juin 1941, changeant de tactique, Dimitrov écrit : «Lagression perfide contre URSS par Allemagne est un coup non seulement contre le pays du socialisme, mais aussi contre liberté et indépendance de tous les peuples. Défense de lURSS est en même temps défense des peuples des pays occupés par Allemagne.» (cit.p.437.) Le passage apparemment paradoxal dune ligne anti-impérialiste à une ligne antifasciste de défense nationale trouve ainsi ses raisons dêtre.
Les télégrammes montrent également que ce virage ne se fit pas à 90°. Cest dès lautomne 1940 que le Komintern comme certains partis communistes, commencent à corriger leur position. Le cas français est exemplaire : relais dun mouvement international allié à lAllemagne, le PCF est aussi le parti dun pays soumis au joug de lenvahisseur nazi. Doù une position impossible, «schizophrénique» qui pose la question de la diplomatie soviétique et trouvera une partie de sa réponse dans le développement progressif dun discours de défense nationale. Ceci nempêcha pour autant pas des représentants du communisme français comme Duclos ou Tréand dentrer en contact avec Otto Abetz, futur ambassadeur, à Paris.
Source brute, mise en relief par des spécialistes, Moscou-Paris-Berlin est une des façons décrire lhistoire, en la présentant telle quelle, dans sa beauté et sa vérité immédiates. La lecture de ce passionnant recueil sera utilement complétée par celle dun autre ouvrage de référence auquel ont également participé Bernhard Bayerlein, Brigitte Studer, Mikhaïl Narinski et Serge Wolikow: Komintern : lhistoire et les hommes (Ed. de lAtelier, 2001).
Thomas Roman ( Mis en ligne le 14/06/2003 ) Imprimer | | |
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