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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Barbara Koehn La Résistance allemande contre Hitler. 1933-1945 PUF - Politique d'aujourd'hui 2003 / 25 € - 163.75 ffr. / 400 pages ISBN : 2-13-053671-9 FORMAT : 14x22 cm
L'auteur du compte rendu : Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris, titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, y poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Imprimer
Dans limmense champ de la recherche sur lAllemagne nazie, le cas de la résistance allemande fait office de parent pauvre. Cet objet, inconnu et mal connu, souffrant de clichés par définition réducteurs et de partis pris historiographiques, ne sort de lombre et de loubli que depuis peu de temps. En 1997, les éditions Albin Michel ont publié les actes dun colloque dirigé par Christine Lévisse-Touzé et Stefan Martens : Des Allemands contre le nazisme. Oppositions et résistances. 1933-1945. Dautres historiens se sont penchés sur ces questions. Louvrage de référence en la matière reste Lopposition allemande contre Hitler, un hommage de Hans Rothfels, publié une première fois en 1958. Inédit en France, cet ouvrage névoque cependant pas la résistance communiste. Peter Steinbach et Johannes Tuchel sont aujourdhui des historiens reconnus de ces questions mais toujours pas publiés sous nos latitudes.
Barbara Koehn, professeur de littérature et de philosophie allemandes à luniversité de Rennes II, se propose de lutter contre ce point aveugle de lhistoire contemporaine. A laide des ouvrages cités précédemment et dune bibliographie somme toute importante, elle offre, avec La résistance allemande contre Hitler, un panorama large et informé sur les aspects de ce phénomène.
Celui-ci souffre de préjugés tenaces dont lauteur rend compte. Le principal écueil, outre la vision démonisée que lon peut conserver de lAllemagne nazie, est la définition que lon a de la résistance, définition avant tout politique, qui ne peut pas rentrer dans le cadre dun régime totalitaire. La résistance allemande, nous explique lauteur, ne peut pas être comparée à la résistance française par exemple : les temporalités diffèrent, tout comme les situations politiques et sociales. Rien de comparable en effet entre la survie dun peuple sous un régime répressif pendant 12 ans et la résistance à un envahisseur sur quatre années.
La résistance allemande fut donc mois une lutte ou une opposition que, littéralement, une résistance, cest-à-dire un effort de survie sous un régime dont on ne doit pas oublier quil ne ménagea pas ces citoyens. Barbara Koehn rappelle au fil de louvrage les conditions extrêmes de vie des Allemands sous le nazisme. Derrière limage de lhubris nationaliste et du plein emploi, néanmoins vraie et cause en partie du silence des Allemands, lAllemagne hitlérienne fut un régime totalitaire, cherchant la mise au pas de toutes les formes de socialisation et des institutions : la jeunesse (pensons aux Jeunesses Hitlériennes), les Eglises, les partis et les syndicats interdits et pourchassés, toute forme de vie culturelle ne répondant pas aux critères nazis de la germanité (lAssociation protectrice des écrivains allemands comme le Pen Club sont purgés), larmée, etc.
La résistance fut par conséquent dabord culturelle et identitaire : la revendication dune spécificité culturelle autre que celle imposée par le régime. Les Bünde, organisations juvéniles, résistèrent dès les débuts du régime contre les prétentions hitlériennes, dans un esprit de révolte et dirrévérence. Ces «associations noires», interdites dès juin 1933 mais poursuivant leur lutte de manière clandestine, corrigent limage dune jeunesse entièrement enrégimentée par Hitler. En 1937, les «Pirates de ledelweiss» illustrent cette indiscipline. Parmi les jeunes, les exemples connus de la Rose Blanche, avec les célèbres Hans et Sophie Scholl, exécutés en 1943, sont longuement rappelés, de même que le groupe de lOrchestre Rouge fondé par Arvid Harnack, neveu du théologien protestant. On regrettera dailleurs que Barbara Koehn ne développe pas plus ce dernier exemple.
La lutte des Eglises fut de même une lutte statutaire et identitaire, «une lutte spirituelle et non une lutte politique» (Karl Barth). Cette nuance a fait dire à maints historiens quil ny eut pas de résistance des Eglises. Lauteur dénonce ce jugement. Face à une solution finale également envisagée contre elles, ce malgré les mains habilement tendues après la prise du pouvoir par Hitler, les Eglises nauraient eu dautre choix que de se protéger dabord et avant tout. Elles eurent aussi leurs martyrs : Mgr Adolf Bertram fut un opposant précoce au national-socialisme. Fritz Gerlich, polémiste catholique féroce dans Le droit chemin, revue publiée à 100000 exemplaires, est mis à mort en juillet 1934.
Les Juifs luttèrent aussi contre un régime dont ils furent les principales victimes. Barbara Koehn rappelle lhistoire de leurs persécutions à travers lexemple intéressant de la famille berlinoise de Mme Inge Deutschkron. Ici aussi, chez les jeunes comme chez les notables, il sagit de préserver autant que possible les intérêts de la communauté. Lauteur y voit «une forme de résistance qui consistait à développer la conscience dune spécificité culturelle et intellectuelle juive» (p.163).
Ces différents exemples corrigent la vision dun peuple allemand complaisant sinon passif. Lauteur s'inscrit résolument en faux contre la thèse de Daniel Goldhagen (Les bourreaux volontaires de Hitler. Les Allemands ordinaires et lHolocauste, Seuil, 1997) avec peut-être le risque dopposer à sa vision diabolisante un portrait angélique. Les «bourreaux volontaires» deviendraient ici des victimes passives et morales. Louvrage, riche en informations, apparaît en effet d'abord comme un hommage au «soulèvement des consciences» (p.382), ce en quoi lauteur reste redevable de la thèse de Hans Rothfels. Son insistance sur cette dimension morale de la résistance allemande exagère peut-être sa réalité.
Mais les Allemands résistèrent aussi par la lutte directe. Barbara Koehn consacre quasiment la moitié du livre à ces représentants de la «révolution conservatrice», concept controversé. Ces aristocrates, hauts fonctionnaires, militaires et intellectuels eurent les moyens de lutter contre le régime de lintérieur. Le coup dEtat du 20 juillet 1944 et la personnalité de Claus von Stauffenberg ne sont que la partie visible de cette résistance que lauteur nous présente de manière détaillée : le cercle de Kreisau, la personnalité de Carl Friedrich Goerdeler, véritable agent de liaison entre les différents milieux résistants comme entre lAllemagne et létranger, des militaires comme Canaris, Ludwig Beck et leurs diverses tentatives dattentats, sont présentés de manière claire et précise. Lauteur réhabilite ces militaires longtemps présentés comme des conservateurs cherchant à maintenir leur position dominante dans la société et lEtat. Elle développe également lexemple des hommes dEglise et militaires allemands ayant fait le choix de la résistance après la défaite de Stalingrad, et longtemps présentés comme traîtres à leur patrie.
Ici aussi, en défendant ces représentants dune autre germanité, lauteur semble sortir du registre de linformation. En insistant sur les valeurs morales, chrétiennes et sociales de ces élites, elle en donne un portrait quelque peu idéalisé. Elle présente ces hommes comme appartenant à un «milieu trop cultivé, trop imprégné des traditions chrétiennes et humanistes pour ne pas remarquer assez vite le fossé grandissant qui souvrait entre [leurs] propres convictions et le comportement des chefs nazis» (p. 258). Or, si elle rappelle les complaisances de ces élites avec le
Parti nazi dans les années vingt et au début des années trente, elle oublie de dire à quel point elles furent un élément décisif dans la chute de la République weimarienne et larrivée au pouvoir de Hitler.
En outre, le relativisme politique quelle défend pour légitimer les thèses conservatrices, élitistes et autoritaires de ces Allemands, notamment concernant leurs projets politiques pour laprès- guerre, pourra sembler trop appuyé, sans jamais tomber cependant dans lapologie ni la polémique.
Enfin, on regrette aussi que l'auteur ne propose pas une définition précise et argumentée du concept de «révolution conservatrice», cher à Armin Mohler. Cet oxymore politique est un idealtype actuellement débattu. Stefan Breuer en a réfuté la pertinence dans un ouvrage récent (Anatomie de la Révolution conservatrice, MSH, 1996), thèse très récemment discutée par Gilbert Merlio, lui-même auteur dun ouvrage sur la résistance allemande (Les résistances allemandes à Hitler, Tallandier, 2003), dans un article saisissant (« Y a-t-il eu une révolution conservatrice sous la République de Weimar ?», in Revue Française dHistoire des Idées Politiques, n°17, 1er semestre 2003).
Au total, La résistance allemande contre Hitler est un ouvrage intéressant. Lintention vulgarisatrice de lauteur, membre de la Forschungsgemeinschaft 20.juli 1944, association cherchant à promouvoir la recherche sur la résistance allemande, est pleinement atteinte. La division thématique de louvrage (chaque chapitre est consacré à un type de résistants : les ouvriers, les jeunes, les Eglises, les Juifs, les conservateurs, etc.) permet une lecture claire et agréable.
Il permet une prise de conscience des conditions dexistence des Allemands sous lhitlérisme, des difficultés à résister dans un tel régime et des spécificités dune résistance précoce, atteignant son apogée en 1938, individuelle et morale, sans laide, qui plus est, de pays étrangers complaisamment aveugles.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 30/07/2003 ) ImprimerHitler. 1889-1936 : Hubris de Ian Kershaw Un entretien avec Ian Kershaw
Ailleurs sur le web :Consulter le site de l'exposition de 1995 sur la résistance allemande | | |
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