| Lucas Delattre Fritz Kolbe - Un espion au coeur du IIIe Reich Denoël 2003 / 22 € - 144.1 ffr. / 340 pages ISBN : 2-207-25324-4
L'auteur du compte-rendu: Jean-Michel Cedro, journaliste, est l'auteur de Qui a ruiné France-Télécom? (Hachette Littérature, 2003). Imprimer
Cest une figure injustement méconnue de lespionnage que Lucas Delattre ressuscite au terme dune enquête exemplaire. Un de ces héros de lombre de la Deuxième Guerre mondiale, héros dautant plus étonnant pour lesprit quil fut un Allemand au service des alliés. Un homme qui, par conviction, livra à lOSS, lancêtre de la CIA, une quantité phénoménale dinformations et de documents. Du matériel à tel point précieux que, à plusieurs reprises, les alliés hésiteront à prendre en compte des informations percutantes livrées par cet homme isolé au sein dun environnement de plus en plus hostile. Echappant par miracle à la Gestapo, Fritz Kolbe poursuivra pourtant sa tâche jusquaux derniers jours du conflit.
Cruauté des temps de paix, ce serviteur efficace et désintéressé, loin de récolter honneurs et récompenses, ne recevra de la part des institutions alliées quindifférence ou méfiance. Méfiance, voire hostilité de ses compatriotes, dans lAllemagne troublée de laprès-guerre, où Kolbe fut par beaucoup considéré comme un traître. Indifférence des services américains qui nusèrent pas de leur énorme influence politique pour trouver à cet organisateur hors pair un rôle à sa mesure. Fritz Kolbe «fait» pourtant la carrière dAllen Dulles, le futur chef de la CIA. Et dans ses mémoires, lancien directeur de la CIA Richard Helms, mort en 2003, convient que les informations de «George Wood», nom de code de Kolbe, furent «les meilleures qui aient été fournies par nimporte quel agent allié pendant la guerre» !
Mais, dans la Guerre froide naissante, les hommes de pouvoir de lAmérique triomphante flairent certainement que Fritz Kolbe, sil a été viscéralement anti-nazi, nest pas non plus un admirateur inconditionnel du vainqueur, lAmérique abondante des années cinquante, dont le fonctionnaire allemand qualifie la réussite de «bien-être dépourvu de spiritualité», comme latteste une lettre écrite à son fils, retrouvée, parmi dinnombrables autres pièces à conviction, par lauteur. Il a en effet fallu mener une enquête impressionnante pour rendre grâce à ce «juste» oublié.
Historien et journaliste, Lucas Delattre a su convaincre le fils de Fritz Kolbe douvrir ses papiers familiaux, a fouillé les caves de lOSS, compulsé les archives du ministère des affaires étrangères allemand, des archives fédérales suisses, et diverses fondations et archives privées, et interrogé les rares témoins directs des événements. Son ouvrage, et pour cause, se lit comme un roman despionnage. Il livre en prime une leçon qui ne manquera sans doute pas dêtre méditée, des deux côtés du Rhin, et encore ailleurs: il était possible, en plein tourbillon nazi, et par simple conviction morale, de sopposer à Hitler de lintérieur.
Jean-Michel Cedro ( Mis en ligne le 12/11/2003 ) Imprimer
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