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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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« Ils rêvaient d’un nouvel Empire… » | | | Barbara Koehn collectif La Révolution conservatrice - et les élites intellectuelles Presses universitaires de Rennes - Etudes germaniques 2003 / 20 € - 131 ffr. / 224 pages ISBN : 2-86847-787-9 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte-rendu: Nicolas Le Moigne, Agrégé dhistoire, est boursier de recherche à la Mission Historique Française en Allemagne à Göttingen, et prépare une thèse de doctorat sur les liens entre mouvements de jeunesse et nationalisme dans lAllemagne de Guillaume II et de Weimar. Imprimer
Lécole française détude de la Révolution conservatrice allemande, dont le pionnier, Louis Dupeux, est décédé lannée passée, montre sa vitalité avec la parution, sous la direction de Barbara Koehn, dun ouvrage collectif consacré à La Révolution conservatrice et les élites intellectuelles. Le livre renouvelle lapproche de La Révolution conservatrice dans lAllemagne de Weimar (Dupeux dir., Kimé, 1992), en tenant compte, en particulier, des travaux du sociologue allemand Stefan Breuer. La tension entre «dynamique conservatrice» et «stratégie révolutionnaire» suffit-elle à fonder la légitimité du concept de «révolution conservatrice» ?
Gilbert Merlio, dans son article introductif, défend le «syntagme paradoxal» quest ce slogan, érigé en catégorie scientifique par les travaux pionniers dArmin Mohler en 1950. Le manque dunité de cette nébuleuse, éclatée entre les projets contradictoires des jeunes-conservateurs, des nationaux-bolchéviques, des monarchistes ou des nationaux-racistes ne suffit pas selon lui à vider la notion de sa substance. Merlio refuse ici de suivre Stefan Breuer (Anatomie de la Révolution conservatrice, MSH, 1996), qui estime que le seul point commun aux théoriciens de droite allemands des années vingt est linvention dun «nouveau nationalisme», qui parvient à solder les comptes de la droite traditionnelle avec la modernité, en tournant le dos au conservatisme wilhelminien davant 1914, et en acceptant notamment le processus de rationalisation. Merlio parle plutôt dun «fondamentalisme national», dont le but serait moins de «sauvegarder des valeurs mises en péril par la décadence moderne que [de] retrouver ou [de] créer des valeurs qui méritent dêtre conservées».
Les deux points communs aux auteurs de la mouvance «conservatrice-révolutionnaire» présentés ici sous forme de chapitres monographiques, sont bien un diagnostic celui du vide spirituel dans lequel la modernité a précipité lOccident et en particulier lAllemagne- et un espoir celui de lémergence de nouvelles élites. Les portraits de Hugo von Hofmannsthal, Hans Grimm et Joseph Roth évoquent trois conceptions de ce «nouvel aristocrate», à même de régénérer lAllemagne et lEurope : respectivement le poète-roi, le colon conquérant et le Prince de la Renaissance.
Lorsque Hofmannsthal popularise en 1927 lantienne de la «Révolution conservatrice», il lentend dabord comme une renaissance spirituelle, fondée sur le trésor de la langue, décrit comme l«espace spirituel de la Nation». Rêve quil matérialise à partir de 1920, à travers le Festival de Salzbourg, quil conçoit avec Richard Strauss comme une manifestation d <>i«art total», inspirée par la tragédie antique et les mystères médiévaux. Hans Grimm, pour sa part, entend uvrer en tant que romancier à lédification du peuple : son best-seller Volk ohne Raum (1926) met en scène lodyssée dun colon allemand vivifié par laventure et les grands espaces africains. Chez Joseph Roth, la nostalgie de lEmpire des Habsbourg se mue en universalisme européen à la mesure de la montée de lextrémisme nazi, et se décrit de plus en plus, à mesure que lon avance dans les années 1930, comme un «méditerranéen, un catholique, un homme de la Renaissance».
Les études sur Ernst Jünger et Edgar Julius Jung complètent utilement les travaux déjà exposés dans le volume dirigé par Dupeux en 1992. Le portrait de Claus Heim, éleveur du Schlesvig qui dirige entre 1928 et 1930 la rébellion des paysans du Nord de lAllemagne détone : car lautodidacte est ici doublé dun meneur dhommes le mouvement du Landvolk regroupe à son apogée 140.000 paysans. Bref, une figure à mettre en parallèle avec Henry Dorgères, et qui tranche avec les professionnels de la plume sur lesquels on tend parfois à se focaliser. Regrettons cependant que linfluence nietzschéenne manifeste, qui imprègne tous les protagonistes, ne fasse pas lobjet dune étude à part entière, car cest bien là le fondement culturel qui les réunit. Lirruption de la recherche dun homme nouveau, à même de surmonter le nihilisme moderne, est en effet la véritable nouveauté dans lunivers des droites conservatrices de laprès-1918. On touche ici du doigt le travers des études monographiques, où litinéraire individuel et ses spécificités finissent par lemporter sur le dessein de dépeindre une sensibilité politique dans son ensemble. De même, la question du rapport au communisme napparaît quà loccasion, ainsi que celle du rapport au nazisme, qui nest explicitement abordée quà propos de Rauschning et Jung.
Létude de Marc Cluet sur le mouvement des cités-jardins sort de lhistoire des intellectuels pour se pencher sur une tentative concrète de «réforme de la vie» (Lebensreform) dans un sens conservateur. La communauté de Hellerau, près de Dresde, vise en effet à créer une communauté organique, enracinée dans la Nature, et esthétique, où léducation par la musique et la gymnastique doit promouvoir lunion du corps et de lesprit. Là encore, le but est la formation dune nouvelle aristocratie de culture, et dont les manifestations visibles sont, par exemple, linvention dune nouvelle architecture ou le retour à lartisanat. Les influences de Langbehn et de Nietzsche est montrée de manière convaincante, ainsi que leur interaction avec des pratiques novatrices telles que la nouvelle pédagogie musicale du Suisse Jaques-Dalcroze.
Léquipe de rédaction a par ailleurs tenu à sortir la «révolution conservatrice» de son ghetto germanique pour en aller chercher les échos en Russie et en Grèce, dans les écrits de Nikolaï Berdaïev et de Panajotis Kondylis, tous deux à la recherche dun nouvel ordre impérial, dune nouvelle spiritualité et de nouveaux chefs. Berdaïev résumait dailleurs avec talent laspiration commune à tous ces penseurs en rupture de ban avec la droite traditionnelle, en évoquant leur «soif dune vision du monde intégrale dans laquelle la théorie est fondue avec la vie et le besoin de croire.»
Ces deux derniers aspects ramifications des idées révolutionnaires-conservatrices dans la société et dimension comparative- sont certainement les plus novateurs de louvrage, et suffisent à en faire un complément utile aux travaux déjà existants.
Nicolas Le Moigne ( Mis en ligne le 12/11/2003 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La Résistance allemande contre Hitler. 1933-1945 de Barbara Koehn | | |
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