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De Mussolini au Duce, une histoire intime du mouvement fasciste | | | Salvatore Lupo Le Fascisme italien - La politique dans un régime totalitaire Flammarion 2003 / 25 € - 163.75 ffr. / 498 pages ISBN : 2-08-210049-9 FORMAT : 16x24 cm
Ouvrage traduit de l'italien par Laure Raffaëlli-Fournel et Jean-Claude Zancarini.
L'auteur du compte-rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
La France se passionne modérément pour le fascisme : sil existe dexcellents historiens de ce phénomène dans lhexagone, lédition semble toujours un peu à la traîne, et à part quelques grands ouvrages, comme le Mussolini de Pierre Milza (Fayard, 1999) ou la traduction (tout arrive !) de La religion fasciste dEmilio Gentile (Hachette, 2002), les synthèses récentes manquent
au point quil est parfois plus aisé de consulter les versions italiennes de grandes thèses françaises (la dernière en date étant celle de D. Musiedlak, Lo stato fascista e la sua classe politica, publiée par Il Mulino, 2003). Pourquoi ce désintérêt ou cette défiance ? LItalie contemporaine est affligée dune réputation danarchie et de faiblesse réputation fort contestable - qui va jusquà amoindrir le caractère totalitaire de lexpérience fasciste italienne, comparé au sombre modèle allemand. Il faut donc saluer la publication de louvrage de Salvatore Lupo, professeur à luniversité de Palerme et déjà connu en France pour une intéressante histoire de la Mafia : Le fascisme italien, qui rend au duce ce qui appartient à Mussolini.
Demblée, lintroduction, extrêmement riche et problématisée, passe en revue pour le lecteur français près de soixante années dhistoriographie italienne sur le sujet. Le résultat est probant et en révèle les enjeux, mais suppose chez le lecteur une certaine familiarité avec la question.
Une première partie esquisse une biographie rapide de Mussolini en leader nationaliste, esquisse qui bien évidemment dans le cas dun historien italien, nentend pas se démarquer trop du monument dressé par Renzo de Felice. De même, S. Lupo passe en revue lentourage de lorateur de la place San Sepulcro et le montre au cur des Fasci. Lensemble illustre bien lun des postulats de louvrage : Mussolini, leader incontestable, ne peut être saisi quau cur dun mouvement didées et dun groupe dindividus qui sexpriment à travers lui et dont il postule à incarner les aspirations. Mais en 1919, il nest quun chef, au sein dune nébuleuse nationaliste parfois assez vague, fondée sur la camaraderie de front. S. Lupo montre bien les difficultés quil y a à prendre la tête dun rassemblement aussi hétéroclite, entre anciens combattants amers, militants nationalistes, régionalistes et ouvriers en rupture de parti. Le fascisme ny trouve son unité quen devenant «une somme de négations infinies» (R. de Felice), sous la houlette dun chef de meute qui se transforme, malgré lhostilité de son entourage, en chef de parti avec la fondation du PNF en 1921. S. Lupo se penche également sur le phénomène des «ras» (grands hiérarques fascistes), en particulier sur le cas Farinacci, alliés indociles et parfois encombrants pour un jeune chef ambitieux, mais dont les violences rallient au fascisme toute une population désuvrée issue de la guerre et avide daventure.
La conquête du pouvoir au sein du mouvement fait lobjet de nombreux développements, tant la constitution du PNF en tant que parti, doté dun corps de doctrine, semble une affaire complexe. De fait, la tâche est rude : il sagit notamment de donner à un squadrisme rétif des allures gouvernementales rassurantes, et délaborer une idéologie qui satisferait les divers courants, radicaux et légalistes. Cette évolution se déroule durant les années 1922- 1924 : le parti fasciste naît dans la douleur, en maniant lostracisme et le règlement de comptes. Lheure est à la discipline pour un mouvement qui doit passer des mains des ras à celles du duce. Avec précision et efficacité, S. Lupo restitue les luttes et les débats (musclés) qui, du nord au sud, divisent le mouvement, alors même que le rapport au fascisme devient peu à peu lun des critères majeurs du débat politique.
En 1925, ce débat trouve un terme tragique : S. Lupo montre un fascisme cette fois structuré (mais loin dêtre amendé de ses squadristes, véritable «lest parlementaire») dans son opposition à lantifascisme, au moment où Giovanni Amendola forme la notion même de totalitarisme. Laffaire Matteoti nest alors analysée que dans ses conséquences internes au fascisme, au niveau du fonctionnement du parti : lavènement, de courte durée, de Farinacci, le ras de Crémone, au secrétariat du parti, semble indiquer une orientation radicale
mais de circonstance. Son remplacement par Turati, au moment où les lois fascistissimes construisent lÉtat fasciste, marque la reprise en main par Mussolini. Le temps des hiérarques est venu, cest à dire dune élite apparemment soumise, divisée par dâpres rivalités, et qui saccommode mal de la distinction encore maintenue entre lÉtat et le parti.
En effet, pour ses partisans les plus radicaux que sont les anciens squadristes, le temps de lÉtat totalitaire semble venu. Mais lexamen micro-historique auquel se livre S. Lupo révèle au contraire les limites dune conception politique venue de Rome. Si lexpression des «années du consensus», pour caractériser le début des années 30, semblent indiscutable, quelques incidents jettent une lueur plus confuse sur ce parti qui se veut parfait, comme léviction de Turati en 1932, pour laquelle S. Lupo livre une analyse éclairante en terme denjeux de pouvoir. Ce nest pas la seule menace : lévocation du PNF sous le secrétariat de Starace montre le glissement vers une politique manifestée par le geste symbolique, afin de résister à un conformisme menaçant. Au centre de toute cette agitation des ras et autres hiérarques, mais presque en arrière-plan, Mussolini divise pour régner, «universelle araigne». Mais S. Lupo pose la question du devenir dun chef de squadristes, devenu chef de parti et saisi par «le démon de la tyrannie personnelle» : la course contre la gauche, entamée piazza San Sepulcro, et qui sachève à Salò, voit le dictateur, proclamant en vain son message social, se faire rattraper par la vieille politique et la défaite. Le fascisme, qui aura cru dépasser ce clivage, avait échoué.
Louvrage est foisonnant, mais surtout, il aborde lhistoire du fascisme sous un angle mal connu en France, celui interne - du mouvement politique. Il sagit là dune synthèse de grande qualité, érudite, qui suppose tout de même chez son lecteur une certaine familiarité avec lhistoire politique italienne et ses principaux protagonistes. Aussi, tel quil est, cet ouvrage sadresse à un lectorat averti. Mais à cette remarque près, la thèse de lauteur est tout à fait motivante et convie à se pencher sur un phénomène complexe et original. Il faut espérer que ce livre de qualité constitue une nouvelle brèche par laquelle lhistoriographie italienne parviendra à simplanter dans le paysage éditorial français.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 19/11/2003 ) Imprimer
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