|
Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| André Bach Fusillés pour l'exemple - 1914-1915 Tallandier 2003 / 27 € - 176.85 ffr. / 618 pages ISBN : 2-84734-040-8 FORMAT : 15x22 cm
L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement PRAG en histoire contemporaine à l'université "Marc Bloch" Strasbourg II. Imprimer
Ancien chef du Service historique de larmée de terre (SHAT), le général André Bach sintéresse ici à un sujet douloureux et controversé, déjà abordé par Nicolas Offenstadt, dans un ouvrage publié en 1999 : Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective. Il ne sagit pas ici des fameux «mutins du Chemin des Dames», mais des soldats, sous-officiers et officiers passés par les armes au cours des premiers mois de la guerre pour des motifs divers.
Fort justement, le général Bach commence par situer ces exécutions dans leur contexte, qui explique la plupart dentre elles. Lentrée dans la guerre de positions constitue une période très dure, dabord sur le plan physique, pour ceux que lon appelle désormais les «poilus», confrontés à des conditions climatiques particulièrement difficiles dans la boue et la neige du nord et du nord-est de la France (et des Flandres) où le front sest stabilisé. Léquipement est encore largement celui de lété de 1914 - pantalon garance, képi (petit à petit renforcé par une protection en métal, puis remplacé par le casque Adrian) - tout à fait inadapté aux conditions de vie et de mort des tranchées. Des armes nouvelles, terrifiantes, font leur apparition (gaz, mines, artillerie de plus en plus efficace). Or, la tactique demeure encore très largement inspirée des théories en vogue avant guerre, fondées avant tout sur loffensive car les erreurs initiales du haut commandement persistent. Concrètement, le combattant de terrain (cest-à-dire aussi lofficier jusquau grade de capitaine, dans certains cas de colonel) est contraint par les états-majors dexécuter des assauts répétés face à des positions fortement organisées. En résultent des massacres à répétition, inutiles puisque la «percée» tant attendue nest pas obtenue. Dans ce contexte, certains soldats «craquent», refusant de monter en ligne ; dautres reculent, dautres encore, placés devant des situations inextricables, seront les victimes de circonstances malheureuses.
Le général Bach a le mérite de rappeler que beaucoup de ces fusillés de la Grande Guerre lont été pour des crimes de droit commun (la guerre nest pas une école de vertu, et il y avait aux armées au moins la même proportion de criminels que dans la société davant-guerre) ou pour des actes de trahison et de désertion avérés. Cette mise au point lui permet daborder sans tabous les cas les plus discutables parfois véritablement révoltants à travers le prisme dune histoire dune justice militaire encore très influencée en 1914-1915 par le modèle de la Révolution, au cours de laquelle lon fusillait facilement les généraux vaincus ou tout responsable défaillant. Dans le cadre dune guerre qui se prolonge, qui implique progressivement la société tout entière, le haut commandement est hanté par la nécessité de «tenir en main» ses troupes pour éviter une dislocation de lénorme machine de guerre (crainte dailleurs totalement injustifiée pour qui voit les choses avec un certain recul, mais dans lintensité du moment il est très difficile de faire la part des choses). Des dizaines dinfortunés, qui ont eu le tort de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, sous les ordres de tel officier et non de tel autre, font les frais de cette politique de terreur fondée sur le recours parfois arbitraire aux «exemples».
Sans nier le caractère très souvent aléatoire des condamnations et peut-être plus encore des exécutions (qui culminent de lautomne de 1914 à lautomne suivant, 1915 étant sans nul doute lannée des «bavures»), André Bach entreprend ici une uvre courageuse, très pédagogique, de mise en perspective avec toute lobjectivité possible dune question qui a fait encore récemment lobjet de débats passionnés. Il sappuie sur des sources très nombreuses et bien exploitées, que ce soit au SHAT ou dans la littérature de lentre-deux-guerres, sans oublier des références aux travaux les plus récents des historiens.
Dans la foulée de cette publication et dans un registre tout différent signalons aussi la réédition (pour la première fois) par Tallandier, de lun des grands classiques de la propagande de guerre de 1914-1916, en loccurrence précise principalement destinée aux enfants : Flambeau, chien de guerre, de Benjamin Rabier (Paris, 2003, 71p.). Suivie dune postface dAnnette Becker, qui met bien en évidence les caractéristiques et lesprit de ce type de littérature, cette bande dessinée est présentée comme une illustration typique du concept de «culture de guerre» développé depuis une quinzaine dannées par lHistorial de Péronne.
Jean-Noël Grandhomme ( Mis en ligne le 23/01/2004 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les fusillés de la Grande Guerre de Nicolas Offenstadt | | |
|
|
|
|