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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Au coeur de la sphère réformatrice | | | Janet Horne Le Musée social - Aux origines de l'Etat-providence Belin - Histoire & société 2004 / 24.50 € - 160.48 ffr. / 384 pages ISBN : 2-7011-1940-5 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu : Raphaël Muller, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, est allocataire-moniteur en histoire contemporaine à l'université de Paris I. Imprimer
La première monographie jamais consacrée au Musée social est due à Janet Horne, directrice du département de civilisation française de lUniversité de Virginie (Charlottesville).
Curieusement, cette vénérable institution navait pas encore trouvé son historien, si lon excepte divers articles et louvrage collectif Le Musée social en son temps, paru en 1998 aux Presses de lEcole Normale Supérieure, ouvrage à lapproche pour le moins éclatée. Peut-être faut-il chercher dans loriginalité de ce musée, né en 1894, la raison de ce relatif désintérêt. En effet, le Musée social est indéniablement une institution originale, au moins à un triple titre.
Originalité du fondateur tout dabord. Le comte Aldebert de Chambrun. Descendant dune famille noble de Lozère, héritier par son mariage des cristalleries de Baccarat, il avait été sous-préfet puis député sous le Second Empire, avant dêtre élu sénateur orléaniste en 1876. Devenu aveugle à la fin de sa vie, il décida de se consacrer à létude de la question sociale, engageant dans cette entreprise son énergie et sa fortune. Il dota abondamment le Musée naissant, linstallant dans lhôtel du 5 rue Las Cases dans le VII° arrondissement de Paris où il se trouve encore aujourdhui. Il en fit son héritier pour que le «Musée» survive à sa propre disparition survenue en 1899.
Originalité de la dénomination ensuite. Car il ne sagit pas dy exposer quoi que ce soit, même si Janet Horne montre que lidée du comte de Chambrun dérive du souci de pérenniser les travaux, la documentation collectée et les études réalisées pour lExposition déconomie sociale organisée à Paris en 1889 dans le cadre de lExposition universelle. Voué à «renforcer les réseaux de la vie associative, persuader une élite éclairée de rechercher activement des solutions à la question sociale, réunir une large documentation sur les mouvements sociaux en France et à létranger», le Musée aurait pu sappeler «Institut», mais ce nom invoquait pour le fondateur centralité et tyrannie, et il préféra opter pour le nom de «Musée», «facilement acceptable par tous».
Originalité du projet enfin. Les membres du Musée social, qui se rattachaient tous, à des degrés divers, à la nébuleuse réformatrice de la fin du XIXe siècle, sefforçaient de construire une troisième voie entre les deux modèles de pensée socio-économiques dominants de lépoque, le socialisme et le libéralisme. Lobjectif était de réformer et de décloisonner la société en promouvant le mouvement associatif, et en particulier les mouvements coopératif et mutualiste. Mais dans les faits, quelle était lampleur de la réforme voulue par ceux qui se retrouvaient au Musée ? Les membres du Musée social, venus certes dhorizons différents - disciples de Le Play, catholiques et protestants sociaux, solidaristes - appartenaient ou étaient liés de près à la bourgeoisie conservatrice de la Troisième République triomphante, et partageaient une haine féroce du socialisme. Leur projet se réduisait-il donc à aménager, retoucher à la marge la sphère sociale, et donc en un sens déguiser le libéralisme sous les traits du réformisme social, pour éviter limplosion du système capitaliste sous les coups de boutoir du socialisme ? Un cynisme institutionnalisé sous les traits du Musée ? Non, car, si les membres se rattachaient tous à la sphère conservatrice, le Musée ne fut pas conçu comme un lieu daction, ni un groupe de pression, mais plutôt comme un lieu détude et de réflexion. Et de fait, une documentation exceptionnelle, issue de tous les horizons politiques, idéologiques et géographiques fut patiemment rassemblée dans un esprit non doctrinaire. La bibliothèque du Musée devint donc le lieu détude habituel des réformateurs sociaux, mais aussi des anarchistes ou des syndicalistes, ce qui amène Pierre Rosanvallon à écrire dans la préface de louvrage : «le lecteur se prend volontiers à imaginer croiser en ces lieux le regard de lanarchiste Jean Grave ou du syndicaliste Pierre Monatte, avant dêtre en quelque sorte rappelé à lordre par la présence plus académique du buste de Frédéric Le Play».
Janet Horne décrit et explique avec une grande clarté les courants didée qui traversèrent la sphère réformatrice au début du XXe siècle, les débats et les crises qui la secouèrent. Il est pourtant aisé de se perdre dans cette floraison protéiforme dassociations, de mouvements, de fédérations, dalliances tantôt durables, bien souvent éphémères. Janet Horne ne ségare pourtant pas et poursuit inlassablement un double objectif : replacer le Musée social dans le temps long de la réforme sociale, et évaluer le rôle assurément fédérateur - quil joua au sein de la nébuleuse réformatrice.
Le Musée social, aux origines de lEtat providence est de la sorte une excellente monographie, très fouillée, précise mais également plaisante à lire. Elle a de plus le mérite de placer sur le devant de la scène une institution peu connue du grand public.
Raphaël Muller ( Mis en ligne le 19/10/2004 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Pierre de Coubertin. La réforme sociale par l'éducation et le sport de Patrick Clastres , Collectif La démocratie sociale à la française de Alain Chatriot Georges Sorel (1847-1922) de Yves Guchet
Ailleurs sur le web :Lien vers le site internet du CEDIAS - Musée Social | | |
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