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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Emilio Gentile La Voie italienne au totalitarisme Le Rocher - Démocratie ou totalitarisme 2004 / 22.50 € - 147.38 ffr. / 395 pages ISBN : 2-268-05204-4 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Emilio Gentile, professeur dhistoire contemporaine à luniversité La Sapienza de Rome, est certainement un universitaire heureux : quasiment inconnue en France voilà deux ans, son uvre a depuis fait lobjet de nombreuses traductions et constitue désormais une référence majeure de la littérature en français sur le fascisme italien. Cest là une reconnaissance médiatique autant quuniversitaire justifiée. Peut-être doit-on sinterroger sur la logique qui préside aux politiques de traduction des grands éditeurs scientifiques et sur certaines redondances
Mais ces considérations ne doivent pas entacher la qualité très réelle de ce nouvel ouvrage, publié en Italie en 1995.
Elève indocile de Renzo de Felice (historien majeur du phénomène et auteur dune biographie monumentale de Mussolini), E. Gentile commence cet ouvrage par une réflexion classique sur lhistoriographie, et les interprétations du fascisme dans lhistoire, dans la lignée des Interpretazioni sul fascismo de Felice. Commençant avec les lectures contemporaines (Missiroli, Dorso, Salvatorelli, Gramsci
) sans faire léconomie des analyses fascistes sur la transformation du mouvement en parti (Volpe), Gentile sait retracer la généalogie du regard historique et politique sur un phénomène original qui reste débattu, comme modèle totalitaire ou comme dictature nationaliste. De lactualité à la mémoire, il trace le portrait des générations confrontées à ce régime singulier, à ces divers aspects, et dont il faut assumer lexistence dans lhistoire italienne (ce qui nest pas toujours évident : cf. la thèse de la «parenthèse historique»). Mais cest surtout le chapitre III, portant sur les analyses récentes, qui attire la curiosité : on y croise en effet la figure quasi tutélaire de Felice, entouré de ses élèves et de tout ce que la science politique transalpine compte de spécialistes (Pombeni). Il sagit donc de replacer la thèse de Gentile dans une perspective historiographique, démarche nécessaire à la bonne intelligence de louvrage.
En effet, dans une seconde partie, E. Gentile entre dans le débat sur lEtat fasciste et ses rapports avec le parti, le duce et la société italienne. La question posée par les politistes est classique, il sagit de déterminer la nature du régime mis en place par Benito Mussolini : est-ce un régime totalitaire ? Et, si oui, selon quels critères ? En effet, la nature totalitaire du régime fasciste est parfois remise en question dans la foulée des réflexions mal informées dH. Arendt (Les Origines du totalitarisme) - au nom du fait que lEtat aura finalement phagocyté le parti, devenu simple caisse de résonance. De même, on voit dans la société italienne une société totalitaire inaboutie, échec qui serait attesté par lécroulement de 1943. Bref, se forme limage dun régime qui aura plus manifesté son «inflexible volonté totalitaire» (cf. Mussolini lors de laffaire Matteoti) par la parole que par les actes, une banale dictature dont seules les ambitions furent totales.
Analysant, documents à lappui (dans les annexes), léquilibre qui se forme entre un parti-milice et un Etat, E. Gentile revient sur ces objections et définit le cas italien comme une voie spécifique au totalitarisme, défendant par ailleurs lidée que tout projet totalitaire est, par définition, inachevé (le totalitarisme comme processus continu). Il sagit donc de faire coïncider les caractéristiques de lEtat totalitaire avec la réalité des pratiques fascistes. Evoquant tout dabord la construction du mythe fasciste et en particulier le mythe du chef -, lauteur aboutit à lidée du fascisme comme un «césarisme totalitaire», c'est-à-dire non pas un régime centré sur un individu (Mussolini et le mussolinisme) mais plutôt un Etat en construction qui passe par une phase de personnalisation nécessaire au processus totalitaire. Car le problème se pose du rôle du parti dans ce processus : de la conquête des masses (via les organisations de travail, de jeunesse
) à celle des consciences (objectif ultime ?), il y a un long pas que la bureaucratisation du PNF (paradoxe de la sclérose dun parti qui prône la révolution permanente) nuance. Mais cela ne fait pas du parti un simple croupion, ou un quelconque organisateur de parade sur la piazza Venezia de Rome. «Axe du régime», le PNF savère un outil efficace et un édifice important, mais parfois instable, fragile, tant du fait des querelles internes que de lincertitude quant à la nature des rapports quil entretient avec lEtat (selon une dialectique simple : concurrence ou subsidiarité). A cet égard, laffaire Serena (secrétaire général du PNF de 1940 à 1941, qui voulut redonner au parti son empire par une restructuration et lélargissement de ses missions, au risque de conflits de compétence avec lEtat mussolinien) est révélatrice de cette ambiguïté fondatrice. La démonstration est, au final, convaincante.
Si létude qui rassemble en fait plusieurs articles - est incontestablement intéressante, il faut déjà souligner quelle est ancienne (1995), ce qui, pour un ouvrage en partie consacré à lhistoriographie, pose problème (et cela même si une postface inédite de juin 2004 actualise létude en répondant aux objections récentes). Surtout, elle fait en partie double emploi avec Quest-ce que le fascisme ?, publié également cette année (Folio). Cela va assez loin, puisque le chapitre IV de ce nouvel opus, «Parti, Etat et Duce dans la mythologie et dans lorganisation du fascisme», figure également dans louvrage précité, qui le donne en version abrégée (chapitre VII). Il en va de même pour le chapitre V, «Le rôle du parti dans le laboratoire totalitaire», que lon retrouve, recomposé, dans le chapitre 8 de louvrage publié chez Gallimard
Cest là un écueil classique pour des études composées dune série darticles, mais lorsque les deux ouvrages paraissent en traduction la même année (hasard des politiques éditoriales), on est en droit de sinterroger sur le procédé !
Toutefois, laspect historiographique est ici plus creusé et suppose une connaissance précise, voire intime, de lhistoriographie italienne. Il ne sagit donc pas là, contrairement à louvrage précédent, dune synthèse accessible, mais bien dun ouvrage ardu, soutenant une thèse fondamentale, et donc réservé à un public de spécialistes.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 24/11/2004 ) Imprimer
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