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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Un exemple de décollage économique | | | Pierre Gervais Les Origines de la révolution industrielle aux États-Unis - Entre économie marchande et capitalisme industriel. 1800-1850 Editions EHESS 2004 / 30 € - 196.5 ffr. / 352 pages ISBN : 2-7132-1825-X FORMAT : 15x22 cm
Lauteur du compte rendu : Sandra Lallam est professeur agrégée au lycée Emmanuel Mounier à Châtenay Malabry et doctorante à lIEP Paris. Elle prépare actuellement une thèse sur Michel Debré et la politique jusquen 1959, sous la direction de Jean-François Sirinelli. Imprimer
Dans une période où lhistoire économique na plus le vent en poupe du point de vue éditorial - comparé au développement de lhistoire culturelle ou au renouveau de lhistoire politique -, Pierre Gervais publie un ouvrage sinterrogeant sur les origines de la révolution industrielle au XIXe siècle à partir du cas des Etats-Unis, et plus particulièrement, sur la place réelle à accorder aux innovations techniques dans son déclenchement. Comme dautres historiens tendent à le montrer depuis les années 1960, il sattache à penser que ces innovations doivent certainement sinsérer dans un «récit plus vaste» et quil convient donc de trouver les raisons expliquant plus sûrement le bouleversement global connu par la société préindustrielle dans les premières décennies du XIXe siècle.
Convaincu que «la construction méthodique de modèles explicatifs globaux, testés empiriquement par la suite sur un espace restreint, reste une approche féconde», lauteur annonce, dans lintroduction, quil cherche à vérifier ses hypothèses sur les origines de la révolution industrielle à partir dun champ détude limité. En effet, une seule région lui sert de point dappui : le New Jersey central. Située entre les deux grandes villes de New York et de Philadelphie mais relativement indépendante de celles-ci, cest une région déchanges, centrée sur Trenton, traversée par de nombreuses voies de communications et occupée par des hameaux, où il est possible détudier les mécanismes de lindustrialisation du fait même de la présence dactivités textiles ou sidérurgiques.
Pour devancer lobjection qui simpose immédiatement au lecteur, cest-à-dire la crainte que cette étude aboutisse simplement à une monographie dont aucun modèle général ne pourrait être tiré, Pierre Gervais justifie son ambition en soutenant que le cas du New Jersey cumule certes des facteurs favorables pour sa recherche mais na rien de différent par rapport aux autres foyers dindustrialisation. Il considère, par conséquent, que si son étude recoupe le modèle quil défend, cela ne constituera certes pas une preuve définitive de sa réalité ceci étant impossible en histoire - mais au moins un argument en sa faveur.
Sept chapitres composent ce livre. La révolution industrielle ayant été définie comme «une transformation sociale globale à travers laquelle une «économie de marché» préindustrielle, précapitaliste sest transformée en «capitalisme» proprement dit, industriel et structuré autour du salariat», lobjectif annoncé est de comprendre quelles tensions internes sont susceptibles dexpliquer le changement.
Pour lauteur, le passage dun mode de production à un autre ne peut sexpliquer que par des contradictions internes insurmontables et non se concevoir comme lenchaînement logique de causes simplement économiques comme lintroduction de progrès techniques ou le développement des marchés.
Relisant les théories marxistes-léninistes, qui placent les conflits économiques en lien direct avec les conflits sociaux et politiques, il reprend lidée de «lutte des classes» au sein de la société américaine en 1800, opposant les «producteurs indépendants» - ceux qui vendent le produit de leur travail (agriculteurs, artisans, industriels) - aux marchands qui tirent des profits considérables de leur négoce grâce aux monopoles quils détiennent. Mais pour lui, si le premier groupe ne réagit pas violemment à la domination du deuxième, ce nest pas parce quil est «aliéné» comme le prétendent les marxistes, mais parce que sest développé entre les deux classes un «compromis politique», où les différents acteurs sociaux sentendent sur un certains nombre de points ; ce qui permet à la classe dirigeante de survivre.
Cependant, cet équilibre politique ancien sest trouvé rompu au cours du XIXe siècle. Selon lauteur, si, en 1800, la majorité des habitants aux Etats-Unis sont bien des producteurs indépendants, la situation est différente dans la deuxième moitié du siècle car ces derniers disparaissent progressivement au profit des salariés personnes vendant directement leur capacité de travail. Cette mutation traduit donc un changement de mentalité par rapport à lorganisation et la division du travail.
Lintroduction de nouvelles machines dans les industries (comme la machine à tisser) ou encore les innovations techniques dans le domaine des transports, que ce soit la route ou le chemin de fer, nont visiblement pas bouleversé le fonctionnement de la société du New Jersey central au point dexpliquer la création dusines et le passage au salariat, caractéristiques de la révolution industrielle. Pierre Gervais avance donc comme hypothèse que la transition au capitalisme industriel est plutôt due à la nécessité pour les producteurs comme les marchands de trouver de nouvelles solutions pour survivre, les producteurs indépendants de plus en plus spécialisés connaissant à ce moment une concurrence extérieure très forte, les marchands étant soumis à des investissements toujours plus lourds afin de conserver leur domination. Pour ne pas être ruinés et parvenir à être rentables, tous ont dû améliorer leur productivité. Ceci aurait entraîné la découverte de progrès techniques permettant de produire en grande quantité mais également le développement du salariat, cest-à-dire lachat dune productivité fixée à lavance. Selon lauteur, la «révolution industrielle est la conséquence (ou la manifestation) dun mécanisme dexploitation producteur de lutte des classes devenu ingérable du fait même du développement de lorganisation économique et sociale qui lengendrait».
Ce livre, qui sadresse aux universitaires, a le mérite de formuler des hypothèses nouvelles sur les origines de la révolution industrielle, avec une originalité de lapproche notable. Reste quà la fin de louvrage, le lecteur nest pas forcément convaincu, les arguments nétant pas toujours suffisamment développés, notamment en ce qui concerne lexplication du «décollage» industriel imposé par la nécessité impérieuse pour les producteurs indépendants et les marchands de changer ou pour ce qui est de la méthode tirant un modèle global à partir dun champ détude incontestablement restreint.
Sandra Lallam ( Mis en ligne le 01/02/2005 ) Imprimer | | |
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