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L’art et la terreur
Solomon Volkov   Chostakovitch et Staline
Le Rocher - Anatolia 2005 /  22.90 € - 150 ffr. / 356 pages
ISBN : 2-268-05327-X
FORMAT : 16x23 cm

Traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton.

L’auteur du compte rendu : Ludivine Bantigny est agrégée et docteur en histoire. Elle enseigne à l’Institut d’Études politiques de Strasbourg et à l’IEP de Paris. Ses travaux portent sur l’histoire sociale et culturelle de la deuxième moitié du XXe siècle.

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Dmitri Chostakovitch, artiste tourmenté, dont la musique, torturée, est le symbole d’une souffrance à la fois personnelle et sociale : tel est le portrait que Solomon Volkov, lui-même musicien, mais aussi critique et écrivain, dresse dans ce livre. «Après Orphée, écrit Volkov en ouverture de l’ouvrage, nul n’a plus souffert pour sa musique que Chostakovitch.»

Et de fait, le compositeur, né en 1906, déjà célèbre alors qu’il n’avait pas trente ans, a eu à souffrir ô combien de la terreur stalinienne qui pesait sur les artistes soviétiques et qui à tout moment pouvait les réduire au silence, d’une manière ou d’une autre. L’une de ses premières compositions, Le Nez, est taxée de «houliganisme musical» par les autorités staliniennes. En 1936, à propos de l’opéra Lady Macbeth du district de Mtsensk, la critique dans la Pravda est cinglante, ce qui, dans de telles circonstances, peut vouloir dire sanglante. Une formule la résume, celle de «galimatias musical». Cela signifie que Chostakovitch est un «compositeur antipopulaire» ; pour cette raison même, il est en danger. Répondre reviendrait à faire preuve d’antisoviétisme. Il est quasiment certain que Staline lui-même a rédigé ces lignes : c’est dire leur importance dans ce microcosme où la moindre critique venue du sommet de l’État peut désigner un arrêt de mort.

Compositeur mystique — la marche au supplice comme via dolorosa est un leitmotiv de son œuvre —, Chostakovitch nous apparaît ici dans toute sa sensibilité. C’est un être d’une émotivité extrême, et la peur dans laquelle il a sans cesse vécu jusqu’à la mort du tyran en 1953 a naturellement ajouté à cet état d’âme. On peut toutefois déplorer que l’auteur du livre, qu’on découvre sur une photographie aux côtés du maître en quatrième de couverture (il fut l’un de ses élèves), manque quelque peu de sens de la nuance et se montre très prompt à négliger certains traits de Chostakovitch : le statut qu’il accepte de «chroniqueur national», adoptant parfaitement le style bureaucratique ; son poste de premier secrétaire de l’Union des compositeurs ; celui de député de Leningrad à partir de 1947 ; son entrée au parti communiste soviétique en 1960 ; la lettre qu’il a signée en 1973 parmi onze autres compositeurs russes et parue dans la Pravda, contre la dissidence et notamment contre Sakharov. Le compositeur a connu tout à la fois, dans un véritable jeu de balançoire, le summum de la terreur et l’acmé de la gloire, recevant plusieurs prix Staline. Cela lui a valu de passer en Occident pour la voix de l’idéologie et de la propagande soviétiques pendant la guerre froide en particulier.

Cependant, l’un des grands intérêts d’un tel ouvrage, écrit par un musicien, est de nous faire découvrir les allusions musicales cryptées dont Chostakovitch a truffé son œuvre, les chiffrages et codages qu’il y a semés, comme autant d’actes de résistance. Solomon Volkov montre bien aussi comment Chostakovitch a contribué à «politiser» le genre symphonique, depuis la septième, dite «de Leningrad», composée pendant la guerre, jusqu’à la onzième («1905»), déploration sur le destin tragique du peuple russe.

Mais le livre de Volkov va bien au-delà de la seule biographie. Il décrit le milieu culturel et intellectuel soviétique et c’est notamment toute l’avant-garde russe qui apparaît ici dans un portrait de groupe soigné, de Meyerhold et Malevitch à Eisenstein et Maïakovski en passant par Poudovkine. On y voit ainsi Maïakovski rédigeant des panégyriques à la gloire de la Guépéou (mais, on le sait, Maïakovski finira, en 1930, par se tirer une balle dans la tête). On y voit aussi Gorki croulant sous une avalanche toute stalinienne de récompenses et d’honneurs, ou encore le jeu dangereux qui se mène pour sa succession comme «premier poète» d’URSS. Et c’est dès lors Pasternak qui figure en bonne place, dans la meilleure tradition russe des «odes au souverain». Tous ces artistes apparaissent un peu comme les hochets du tyran. L’un des seuls à avoir toujours résisté à cette pression de tous les instants fut le poète Ossip Mandelstam, qui connut trois années d’exil dans l’Oural (incroyable clémence de Staline…) pour avoir déclaré : «Il n’y a que chez nous qu’on donne tant d’importance à la poésie. Elle est punie de mort» : tous pensaient qu’une telle sentence lui serait fatale. En revanche, Babel et Meyerhold n’ont pas échappé à la torture et à l’exécution, au début de 1940, accusés d’appartenir à une «organisation trotskyste de conjurés et de saboteurs».

Volkov montre aussi l’implication personnelle de Staline dans les affaires culturelles. Le dictateur n’est pas décrit comme un ignorant : tout au contraire, c’est un lecteur impressionnant, à la mémoire étonnante, doté d’une vraie culture musicale et aimant tout particulièrement la musique classique. C’est aussi, on le sait davantage, un maître dans l’art de la manipulation des individus : bon nombre d’artistes y ont cédé.
Au-delà donc des relations entre Chostakovitch et Staline, apparaissent le système de terreur et les persécutions d’un régime totalitaire, où tout succès public par trop démonstratif pouvait être jugé frondeur et devenir, dès lors, dangereux. Chostakovitch, artiste génial, en fut comme tant d’autres la victime.


Ludivine Bantigny
( Mis en ligne le 22/04/2005 )
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