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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Un réexamen magistral de la solution finale de la question juive | | | Florent Brayard La Solution finale de la question juive - La technique, le temps et les catégories de la décision Fayard 2004 / 28 € - 183.4 ffr. / 648 pages ISBN : 2-213-61363-X FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu : Éric Alary, agrégé dhistoire, docteur ès Lettres de lIEP de Paris (sa thèse sur la ligne de démarcation a été publiée en 2003 chez Perrin), est professeur en Lettres Supérieures et en Première Supérieure au lycée Camille Guérin de Poitiers. Imprimer
Florent Brayard a soutenu une thèse de doctorat dhistoire à lIEP de Paris en mars 2002 sous la direction de Jean-Pierre Azéma, dont le livre est extrait. Louvrage, volumineux, se lit facilement et nous plonge au cur de lhorreur dune mécanique de mise à mort de millions dêtres humains, dabord les handicapés mentaux et les enfants handicapés, puis les juifs, les prisonniers de guerre soviétiques, les homosexuels, etc. Lopus magnum est une somme remarquable dérudition sur la Shoah. Cest louvrage de référence sur létude de la «solution finale». Il fera date.
Lauteur nous conduit dès le début dans les méandres de la pensée de Hitler lequel a envisagé plusieurs options pour mener la politique antijuive dextermination. Le livre permet de croiser également des personnages aussi sinistres que Heydrich, Himmler, etc. Nombre de leurs propos sont rapportés grâce à lutilisation de sources parfois inédites.
Louvrage est construit autour de deux parties composées de neuf chapitres : la première sintéresse à la mise en place dune technique singulière pour organiser le crime collectif grâce aux chambres à gaz ; en deuxième analyse, lauteur sattache à la politique des nazis à lencontre des juifs et du processus décisionnel implacable pour construire un tel projet de mort. Dans la première partie, Florent Brayard rappelle avec grande précision le statut des territoires de lEst occupés par le Reich dans le cadre du Gouvernement général et celui du protectorat de Bohême-Moravie. La démonstration tend à montrer avec brio que Himmler a tout fait pour respecter un calendrier dune année pour achever lextermination des juifs, dans son discours du 9 juin 1942. Lauteur démonte la mécanique industrielle mise en forme par Himmler pour accomplir son sinistre dessein. Celui-ci «fonctionne» au mieux dans le Grand Reich, la Bohême-Moravie, lancienne Pologne et les territoires soviétiques. Dans les pays moins vassalisés ou moins directement sous la tutelle allemande, Himmler ne peut avancer avec la même efficacité.
La deuxième partie reprend une à une les options nazies envisagées pour «régler» le problème juif de la transplantation à Madagascar, mais aussi dans les territoires soviétiques qui doivent, selon les prévisions optimistes de Hitler, être rapidement conquis. Jusquà lété 1941, lextermination partielle puis totale est également pensée avec de véritables réunions dexpertises et dévaluation sur lefficacité macabre des techniques de mise à mort. On apprend aussi que les nazis avaient même envisagé de stériliser une partie des juifs transformés en travailleurs forcés. Pendant lété 1942, après lassassinat de lun des plus grands dignitaires nazis, la mise à mort de tous les juifs dEurope est décidée par Hitler, mais il faut bien plus dune année pour y parvenir
Tout est fait pour dissimuler le meurtre de masse qui doit être accompli au plus vite. Lauteur étudie avec minutie la volonté perfectionniste de trouver la meilleure solution matérielle pour tuer massivement les juifs dEurope. Pour autant, la mise en oeuvre par les nazis est chaotique.
La deuxième partie sinterroge donc sur les séquences et les tournants de la reconstruction de la chronologie de la «solution finale» ; des questions sont posées sur la chronologie des décisions et des ordres du Führer pour lancer lextermination des juifs. Ainsi, avant la décision de lextermination totale, il y a tout un processus évolutif avec le premier programme qui autorisa la déportation de 70 000 juifs allemands et tchèques en septembre 1941, précédant un deuxième programme daté de mars 1942 quasiment identique au précédent. En avril 1942, Hitler autorise la déportation et lextermination partielle de 500000 juifs. Ces programmes sont corrélatifs à la liquidation de contingents de juifs locaux polonais et russes. Le programme criminel, ultime et total est donc celui de lété 1942.
Le choix de lutilisation du Zyklon B analysée dans le chapitre VI - permet dobserver comment ce gaz devient le produit idoine qui fait espérer aux dirigeants nazis les plus noirs projets de meurtres en masse des juifs dEurope. Lauteur retrace avec une minutie remarquable la logique qui conduit à cette phase ultime de crime de masse destiné à exterminer les juifs. En premier lieu, les nazis ont cherché les meilleures solutions pour pratiquer leuthanasie sur des enfants handicapés et des malades mentaux. Ceci est mis en place dans les années trente et sert de base ensuite aux responsables de la «solution finale de la question juive». Pour tuer les malades mentaux, un service spécifique vit le jour dans une villa spécialement aménagée pour gérer lopération T 4 sur le plan technique et administratif. La mise à mort seffectue dabord à petite échelle, puis la recherche de moyens plus efficaces pour tuer plus dhumains jugés «indignes» de vivre, occupe de plus en plus de personnel et de «spécialistes» de la mise à mort. En effet, à partir de 1939, la chancellerie ordonne dassassiner 70000 personnes malades mentales. Des recherches sont effectuées pour tuer par injection ou administration orale de surdoses de divers médicaments ; à la fin de 1939, des chambres à gaz sont testées contre des malades mentaux. Cette méthode permet de tuer 70000 personnes de cette date jusquà la mi-1941. Cest le monoxyde de carbone qui est alors employé, mais il est vite mis en concurrence avec le Zyklon B. Des médecins débattent et sopposent encore pour favoriser lun des deux gaz. Ils en restent au monoxyde de carbone en Allemagne, en Autriche et dans tous les nouveaux territoires conquis telles la Prusse orientale et la Prusse occidentale. Peu à peu, les chambres à gaz fonctionnent dans les camps de concentration pour les travailleurs jugés inaptes au travail. Le désinsectisant Zyklon B devient vite le produit de choix introduit dans les chambres à gaz construites selon un programme précis et en liaison avec les firmes qui distribuent le gaz. Des «articles technico-commerciaux» sont même adressés au camp dAuschwitz sur lemploi du Zyklon.
On apprend alors que lutilisation de ce gaz à Auschwitz dès le mois daoût 1941 est moins une invention quun transfert de technologie dun gaz de substitution dans le cadre de chambres à gaz dextermination humaine. Cest en fait un hasard qui a fait naître les chambres à gaz au Zyklon ; linnovation technologique a profité au projet de mise à mort de masse des nazis. Florent Brayard revient sur ce concours de circonstances.
Ce long exemple montre la somme des hasards, des expertises, des études, des tests sur des hommes, qui conduit à approcher au plus près lune des facettes les plus horribles de lextermination des juifs. Florent Brayard scrute avec soin toutes les justifications nazies de lextermination des juifs ; elles montrent une grande continuité jusquau terme de la guerre. Lune des conclusions de lauteur, qui en comprend de nombreuses autres, et innovantes par surcroît, concerne une erreur facile à commettre et qui consiste à ne retenir des discours répétés des nazis que la rationalisation de la politique génocidaire. Il y a eu aussi cette accoutumance des plus hauts dignitaires nazis qui nont pas hésité à exterminer près de 2,5 millions de prisonniers de guerre soviétiques. Les nazis réapprécient sans cesse leur politique dextermination en fonction des événements intérieurs et surtout extérieurs. Lacte génocidaire apparaît alors comme un acte de vengeance selon lauteur qui reprend Philippe Burrin dans ses conclusions. Il sagissait pour Hitler de se venger de la défaite de 1918 qui marque la fin dune «guerre juive». Lauteur rappelle que cela explique en partie la «folie» des nazis, dont il est impossible d«épuiser le sens.»
Toute la «solution finale» nest donc pas un immense plan pensé et programmé longtemps à lavance. Si les fondements du génocide sont rationalisés, la politique génocidaire est revue et affinée sans cesse dans sa définition. Aux juifs, sajoutèrent dautres «ennemis» dans les discours successifs de Hitler. Les non-juifs à assassiner devaient lêtre dans une ultime étape, au moment où le Reich serait proche du chaos.
Louvrage est complété par un imposant et époustouflant appareil critique, une bibliographie sélective, deux index (des noms propres et des lieux) ; enfin, en annexes, un très utile tableau des équivalences de grades entre les SS, les armées américaine, allemande et française vient compléter lensemble.
Eric Alary ( Mis en ligne le 06/05/2005 ) Imprimer
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