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Amour pour ce pays... Aversion pour cet Etat
Ilan Pappe   Une terre pour deux peuples - Histoire de la Palestine moderne
Fayard 2004 /  22 € - 144.1 ffr. / 357 pages
ISBN : 2-213-61868-2
FORMAT : 15x24 cm

L’auteur du compte rendu : Ludivine Bantigny, agrégée et docteur en histoire, spécialiste de l’histoire politique et culturelle du second XXe siècle, est maître de conférences à l’Université de Rouen.
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Le projet d’Ilan Pappe part d’un constat, douloureux : l’existence de deux historiographies nationales antagonistes. Cette histoire-là, d’essence nationaliste, érige elle aussi, à sa manière, un mur entre ces deux peuples. Des «deux récits nationaux», Ilan Pappe souhaite n’en faire qu’un.

En écrivant une histoire des hommes (et des femmes : c’est une dimension importante de l’ouvrage) qui vivent sur la terre de Palestine, avec une démarche qui emprunte parfois à l’ethnologie, il entend ainsi briser la dichotomie aux bords trop nets entre juifs et arabes. Car ce sont d’autres oppositions qui intéressent Ilan Pappe, historien marxiste : notables et classes populaires, maîtres et indigènes, colonisateurs et colonisés, exploiteurs et exploités, toutes oppositions exprimées en termes de rapports de classes. Dès lors, il met en avant les facteurs de rapprochement entre juifs et arabes, la diversité régnant au sein de chacune de ces deux catégories, sans oublier de décrire la place tenue par d’autres populations, les chrétiens, bien sûr, les Bédouins également, et le rôle joué par les Occidentaux.

Au milieu du XIXe siècle, la Palestine sous domination ottomane compte 500 000 habitants, parlant l’arabe, pour la plupart musulmans, mais aussi 60 000 chrétiens et 20 000 juifs. Après le Congrès de Vienne (1856), les Européens commencent à s’intéresser aux provinces ottomanes, sources de profits faciles. De là datent l’arrivée de colonisateurs et de missionnaires, la disparition des cultures vivrières au profit des cultures de rapport et la nécessité pour nombre de paysans palestiniens de céder leurs terres aux spéculateurs fonciers.

Dans ce contexte, le sionisme est analysé dans ses multiples facettes et avec nuances. Les juifs les plus orthodoxes rejettent le sionisme en ce qu’il irait à l’encontre de la volonté divine (les juifs doivent demeurer en exil jusqu’à la venue du Messie). Plus généralement, par opposition aux juifs ashkénazes, nouveaux venus d’Europe orientale, les juifs séfarades déjà présents s’opposent à l’idéologie sioniste. Mais le mouvement sioniste est soutenu par les dirigeants britanniques dans la mesure où il peut favoriser leur propre expansion en Palestine — celle-ci leur ouvre la route des Indes et l’accès aux gisements pétroliers d’Arabie. Dans un premier temps, en dehors des kibboutzim, les grands propriétaires fonciers sionistes sont soucieux d’employer des ouvriers agricoles palestiniens, main-d’œuvre peu coûteuse. Mais les colonies juives se font de plus en plus strictement communautaires. D’où la solution, «aussi ingénieuse que raciste» écrit Ilan Pappe, d’embaucher des juifs arabes, les Mizrahim, qui représentent pour les colons le double avantage d’être juifs mais de travailler à vil prix.

Sous le mandat britannique, la puissance mandataire se préoccupe de ne moderniser la société palestinienne qu’avec beaucoup de lenteur, afin d’éviter d’être débordée par un courant nationaliste, comme en Égypte et en Inde. Les Britanniques contribuent en outre à la ségrégation ethnique, dans le système éducatif notamment, répondant ainsi aux vœux de la direction sioniste. La période mandataire s’achève sur un «désastre socio-économique» pour la population palestinienne, dont les villages ont été exploités et pressurés jusqu’à l’extrême limite par la politique coloniale. Les paysans se transforment en prolétariat rural, tandis qu’un important exode touche les campagnes. Mais parmi les propriétaires fonciers exploiteurs ne figurent pas que des colons, qu’ils soient juifs ou non : on trouve aussi de nombreux notables palestiniens. On le voit, la ligne de tension ne passe pas simplement entre juifs et arabes : au contraire, Ilan Pappe décrit de nombreuses expériences de solidarité «binationale» voire «a-nationale» : coopératives agricoles réunissant kibboutzim et villages palestiniens, grèves d’ouvriers juifs et arabes, émergence de syndicats communs.

Ceux-ci disparaissent définitivement avec la création de l’État d’Israël. Plus que jamais, la Histadrout, le syndicat juif, exige de faire passer l’intérêt national avant la solidarité de classe. L’expulsion violente des Palestiniens en 1947-1948 est décrite ici dans toute son horreur : purification ethnique, villages détruits à l’aide d’explosifs, massacres faisant plusieurs milliers de victimes. De leur côté, les dirigeants des pays arabes voisins ne regardent que leur propre intérêt, soucieux, comme les Hachémites jordaniens, de se partager avec la direction sioniste le maximum de terre palestinienne, mais plus qu’indifférents au sort des Palestiniens : les conditions de vie catastrophiques des réfugiés dans les camps en sont un témoignage.

On émettra un seul regret : le silence presque total sur la société israélienne dans ses composantes les plus privilégiées. En effet, la situation des réfugiés palestiniens, des Palestiniens des territoires occupés, des Palestiniens citoyens israéliens et des Mizrahim (qui «doivent se contenter du rôle de main-d’œuvre à bon marché permanente») est remarquablement commentée : toutes ces catégories de la population sont les plus exposées, à des degrés divers, aux souffrances nées du «partage», de la politique générale discriminatoire de l’État d’Israël et des guerres qui, depuis 1948, déchirent la Palestine. Mais la majorité israélienne est surtout mentionnée par allusion à son «ethnocentrisme» de plus en plus affirmé, et même à son racisme. Cependant on n’apprend rien sur ses conditions de vie.

Ilan Pappe est professeur de sciences politiques à l’université de Haïfa ; on mesure à chaque page de son livre combien l’histoire qu’il fait est courageuse, combien cet historien de nationalité israélienne est courageux : qu’il évoque la «manipulation» du souvenir du génocide, qu’il qualifie d’«hystérie nationale» l’obsession de la terre chez les sionistes, qu’il mentionne des «exemples de barbarie pure et simple» commis en 1947-1948, ou encore qu’il parle des accords d’Oslo comme ayant transformé Gaza en «une immense prison ornée d’un drapeau palestinien et dont les issues [sont] gardées par des soldats israéliens».

Fruit d’une démarche historique exemplaire, cet ouvrage est aussi éminemment politique ; l’auteur l’affirme haut et fort dès l’introduction : c’est là «l’œuvre d’un homme qui avoue sa compassion pour le colonisé, non pour le colonisateur ; qui sympathise avec les occupés, et non avec les occupants ; qui prend le parti des ouvriers, et non des patrons». Et jusque dans la page consacrée aux remerciements de l’auteur, on lit tout à la fois son déchirement et son engagement, lorsqu’il dit «[son] amour pour ce pays, [son] aversion pour cet État».


Ludivine Bantigny
( Mis en ligne le 17/08/2005 )
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