|
Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Edouard Husson Nous pouvons vivre sans les juifs - Quand et comment ils décidèrent de la Solution finale Perrin 2005 / 16 € - 104.8 ffr. / 179 pages ISBN : 2-262-02356-5 FORMAT : 13,5cm x 20,0cm
Lauteur du compte rendu : Eric Alary, Docteur ès Lettres en Histoire de lIEP de Paris, agrégé dhistoire, est professeur en Lettres et en Première Supérieures au lycée Camille Guérin (Poitiers) ; il est également chercheur associé au Centre dHistoire de Sciences Po et au CRHISCO/ Université Rennes II. Imprimer
Après louvrage majeur de Florent Brayard (La Solution finale et la question juive, Fayard, 2004), Edouard Husson livre un essai de 174 pages sur lextermination de six millions de juifs européens, de 1940 à 1942 ; il sagit dun bilan détape au ton vif. Les deux historiens ne sont pas daccord sur tout, notamment sur le dessein secret des nazis dexpulser en 1939 les juifs allemands et polonais vers lURSS ; sur ce sujet, les preuves sont indubitables, mais Staline na jamais partagé cette ambition.
Aucune trace écrite du Führer na été retrouvée sur les ordres permettant de mettre en uvre la Solution finale. Cest le même constat au départ de toute nouvelle enquête historique sur la «Solution finale». Edouard Husson propose de revenir, pour linstant, sur une période plus courte que celle étudiée par Florent Brayard, puisquil envisage danalyser le processus décisionnel qui fait hésiter un temps les leaders nazis sur les «solutions» à apporter à «la question juive».
Dabord, ils ont pensé rejeter les juifs en dehors du continent européen. Avant la guerre, Hitler avait imaginé dexpulser les juifs allemands vers quelque «réserve» à Madagascar ou ailleurs en Afrique. Cette idée na pas choqué les Européens outre mesure, englués dans les difficultés liées au chômage. Lors de la conférence dEvian en juillet 1938, où les puissances occidentales devaient sentendre pour préparer des projets daccueil des juifs allemands, les Américains ont été rétifs à leur ouvrir largement leurs frontières. Quatre mois plus tard, près de la moitié des juifs allemands et autrichiens avaient quitté le sol du Reich. Sur les 300 000 qui ont demandé un visa dentrée aux Etats-Unis, seuls 10 % dentre eux lont obtenu. Hitler na pas obtenu dexpulser tous les juifs dEurope avant dentrer en guerre ; il a sans doute espéré que les pays daccueil détesteraient assez vite les juifs, le confortant dans son antisémitisme viscéral. Rien moins que cela
Le Führer ne doutait de rien sur ces sujets.
Pis encore. Pour fêter le sixième anniversaire de son arrivée au pouvoir, le 30 janvier 1939, Hitler prononce un discours terrible au Reichstag à lencontre des juifs, prétendant faire uvre de «prophétie» : «Si la juiverie financière internationale, hors dEurope et en Europe, réussissait à précipiter encore une fois les peuples dans une guerre mondiale, alors la conséquence nen serait pas la bolchevisation de la terre et la victoire de la juiverie, mais lanéantissement de la race juive en Europe». Quelques mois avant lentrée en guerre, Hitler annonce ainsi quil a trouvé un «responsable» à la guerre.
Le système nazi, intrinsèquement violent, a pu réaliser la prophétie du Führer. Edouard Husson montre ainsi le lien entre le discours et lextermination de plusieurs millions de juifs européens, même si cela semble peu évident pour certains historiens. Le discours a constitué en partie un socle qui a conduit à vouloir coûte que coûte éliminer physiquement les juifs ; puis la décision dassassiner sest dessinée, très progressivement, mais irrémédiablement. La troisième phase a consisté à passer à lacte criminel de masse. Edouard Husson est conduit à affirmer dans son premier chapitre louvrage en compte huit- que le plus important est bien lintention génocidaire qui a motivé les discours de Hitler et les projets de ses subalternes jusquau moment de trouver une issue «pratique» à leur dessein fou dexterminer tous les juifs.
Heydrich, chef des services secrets du Reich, constitue lun des fers de lance de la politique progressive qui conduit à lexclusion, à la persécution, puis à lextermination des juifs (rappelons que lauteur du livre prépare une recherche universitaire sur Reinhard Heydrich et lextermination des juifs). Le bras droit de Himmler a ainsi imaginé créer une «réserve juive» en Pologne (dans la banlieue de Varsovie et à Lublin), après linvasion de cette dernière en septembre 1939. Il a prévu dy «parquer» les juifs allemands. Corrélativement, il a entrepris de tuer tous les cadres polonais, membres du clergé, de luniversité, de toutes les institutions publiques, etc. Les tsiganes présents sur le sol du Reich devaient également être expulsés vers la Pologne. Des milliers de juifs furent alors déportés. Tout un remodelage administratif de la Pologne a été conçu pour recevoir de plus en plus de juifs. Mais dès le mois de mai 1940, les militaires, sous la houlette de Hans Frank, firent savoir à Himmler et à Heydrich que la nécessité davoir des terrains de manuvres était incompatible avec le projet de «réserve juive».
En 1940, Heydrich a évoqué lextermination biologique des juifs, mais sest rétracté aussitôt en affirmant que ce «serait indigne de lAllemagne comme nation de haute culture». Pourtant, lidée a cheminé dans les esprits nazis. Himmler nen a pas dit plus sur lélimination physique des juifs, mais dans un discours à la rhétorique très violente, il a envisagé le «triage racial» et a affirmé «effacer le concept juif». En mai 1940, il nest pas encore clairement question délimination physique des juifs du moins dans les mots utilisés -, mais plutôt de trouver un moyen de les éradiquer en les écartant géographiquement. Lintention de tuer est déjà assez avancée dans lesprit des leaders nazis.
Lattaque contre lURSS est une autre étape décisive. Comme Florent Brayard, Edouard Husson consacre des pages fort pertinentes sur la «mise en uvre progressive du génocide des juifs soviétiques durant lété 1941» (chapitre 4) ; cest une sorte de «laboratoire» dessai pour des exterminations de masse de la «juiverie mondiale» (p.81). Hitler échoue dans ses prévisions : faute de pouvoir déporter les juifs dEurope en Sibérie, il décide de les faire exterminer sur place dans les zones soviétiques conquises. Mais Staline résiste et fait tomber les plans nazis.
Cest dans ce contexte quen novembre 1941 la «Solution finale de la question juive» est élaborée avec la mise en place de camps dextermination en Pologne. En janvier 1942, la «Conférence de Wansee» permet de finaliser cette ambition meurtrière démentielle. La rhétorique est toujours habile : dans le compte rendu de la conférence, Eichmann parle d«évacuation des juifs vers lEst [
] Au cours de la solution finale de la question juive en Europe, seront à prendre en compte environ 11 millions de juifs...» Jamais, il nutilise le terme d«extermination». Il sagissait dentraîner derrière ce projet une lourde bureaucratie et il ne fallait en aucun cas affoler les fonctionnaires du Reich. Edouard Husson, comme Pierre Ayçoberry par ailleurs, note que nombre de ces derniers nauraient jamais accepté dêtre les complices dun génocide. Lefficacité de la mise en uvre aboutit à une rationalisation de la mise à mort de masse ; les nazis pouvaient ainsi étendre à très grande échelle les expériences de gazages déjà menées sur les handicapés mentaux depuis les années trente.
Edouard Husson donne ainsi les premiers éléments détape dune enquête qui doit se prolonger et livrer dautres conclusions que nous attendons avec impatience, car elles enrichiront sans conteste le débat portant sur le processus génocidaire nazi. La rigueur de cet ouvrage est donc prometteuse. Elle permettra sans doute une analyse comparative riche avec louvrage de Florent Brayard à qui Edouard Husson reproche sans aucune volonté de polémiquer - de confondre «le temps de la mise en uvre et celui de la décision». A suivre donc
Eric Alary ( Mis en ligne le 19/01/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La Solution finale de la question juive de Florent Brayard La Persécution des tsiganes par les nazis de Guenter Lewy Hitler. 1889-1936 : Hubris de Ian Kershaw | | |
|
|
|
|