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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

L’immigration aux champs
Ronald Hubscher   L'Immigration dans les campagnes françaises - XIXe-XXe siècle
Odile Jacob - Histoire 2005 /  29.90 € - 195.85 ffr. / 478 pages
ISBN : 2-7381-1683-3
FORMAT : 16,0cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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De nos jours, on a définitivement sanctuarisé la campagne comme un lieu d’exode, de départ ou de suicide, comme un espace en voie de désertification. Il semble inconcevable de s’y installer, si ce n’est dans le cadre de phénomènes récents comme la rurbanisation, qui est plus une extension de la ville qu’une reconquête des campagnes…

Mais la campagne française aura attiré longtemps des populations migrantes en quête de stabilité, d’une terre ou simplement de quoi vivre et travailler… 300 000 personnes dans les années 30 par exemple. Arriver, s’intégrer, devenir «français» : une trajectoire qui n’est pas forcément évidente et qui attendait, pour le monde rural, une synthèse efficace : c’est chose faite. Spécialiste d’histoire rurale – il a notamment travaillé sur les vétérinaires – et précurseur d’une histoire du sport, Ronald Hubscher, professeur émérite de l’université Paris X, livre ici un ouvrage qui, à n’en pas douter, rendra des services aux candidats au CAPES et à l’agrégation d’Histoire et de géographie. Mais ce serait ignorer la valeur de l’ouvrage que de le restreindre à ces seuls concours : plus largement, il est à replacer dans une historiographie désormais bien structurée par les travaux de G. Noiriel, P. Weil…, celle de l’immigration et de son influence sur la population et l’identité françaises.

Constatant, dans son introduction, le relatif abandon des études rurales en France, R. Hubscher fait d’emblée la démonstration de la richesse de cet objet historique – l’immigration rurale – qui croise histoire des représentations, histoire politique et sociale, histoire culturelle… Il s’agit, en parallèle à la démarche d’E. Weber dans un ouvrage fameux sur La Fin des terroirs (mais dont le titre américain est plus explicite : Peasants into frenchmen), d’analyser les modalités d’intégration à la «civilisation rurale» française.

Une première partie entreprend de dresser, pas à pas, sur la trace des migrants, un tableau quantitatif et qualitatif de cette immigration (et de ses structures) parfois perçue comme une invasion. Après avoir défini l’immigré en tant qu’objet scientifique, juridique et statistique, l’auteur constate les difficultés et les incertitudes d’une étude quantitative du fait de sources parcellaires. Par contre, l’analyse des bassins géographiques de départ et d’arrivée (avec les représentations attachées à telle ou telle nation) impose une réflexion sur l’exploitation (et la propriété) de la terre dans les pays d’origine, comme justification de l’exode. En général, c’est un cadre social et économique archaïque, pesant, que l’on fuit en émigrant pour une société française perçue comme émancipatrice : un «mythe de la frontière» à l’usage du vieux continent s’est mis en place depuis le XIXe siècle, qui légitime l’aventure du départ. De fait, que l’on vienne d’une région proche ou d’un pays lointain, le départ est une aventure qui suppose des compagnons, des correspondants, des réseaux, des relais, des routes et un point d’arrivée, un patron à la recherche de journaliers, une commune que l’exode a dépeuplée, des terres qui manquent d’exploitants. Cela suppose aussi un contrat, une embauche, bref, un cadre légal également envisagé, avec divers intervenants (l’Etat, les associations professionnelles, les communes, les patrons…). R. Hubscher livre une première fiche signalétique très complète du migrant, ainsi que des structures entre lesquelles il évolue : le cadre administratif étant tracé, il faut maintenant s’intéresser au cadre humain et local, et observer le migrant devenu immigré.

La seconde partie voit donc le migrant parvenu au seuil du village : il s’agit tout d’abord de l’identifier… premiers contacts avec une administration et ses représentants (le maire qui donne la carte de séjour, le gendarme qui surveille et contrôle, la justice, le préfet qui peuvent expulser…). A l’aide de nombreux exemples qui sont autant d’histoires vécues, l’auteur plonge dans cette réalité que les cadres juridiques ne révèlent pas forcément, dévoilant les stratégies ou les ruses des uns et des autres. Car dans une société très hiérarchisée, et plutôt conservatrice, comme la société rurale, l’arrivée de nouveaux venus suscite des réactions diverses : défiance xénophobe ou fraternité entre gens de la terre. Les sociabilités rurales sont alors mises à l’épreuve, comme cadre d’intégration local. Les tensions semblent en effet inévitables, avec des terrains d’affrontements attendus comme la propriété de la terre, ses modes d’exploitation, la concurrence qui en résulte pour un prolétariat rural que l’internationalisme laisse de marbre. Dans le contexte d’un nationalisme qui s’affirme de plus en plus nettement dans les années 20 – reflet de cette politisation tant espérée des campagnes –, l’image de l’étranger se conjugue à celle de l’envahisseur ou, dans un autre sens, du collaborateur objectif du patronat, bref, l’étranger menaçant, une image qui n’évolue que dans les années 30, en partie grâce au syndicalisme.

Après être descendu à l’échelon local pour analyser les mécanismes de l’intégration, et ses limites, R. Hubscher aborde dans une troisième partie l’angle thématique : il s’agit d’entrer dans les familles pour préciser les destins, les conceptions, les ambitions ou les échecs. Ainsi, la place des femmes dans cette histoire vue traditionnellement sous un prisme masculin s’avère essentielle : qu’elle soit restée au pays ou bien qu’elle soit venue avec la famille, elle s’insère tout autant dans ce système de représentations, finement analysé. Il en va de même pour les enfants, confrontés – via l’école – à un processus d’acculturation et de naturalisation culturelle : ils posent le problème, auquel se trouve finalement confronté chaque migrant, de la finalité de l’intégration, à savoir la naturalisation. La crise identitaire des migrants trouve alors un écho dans la frilosité des autorités à naturaliser : examinant les divers cas, l’auteur dévoile en arrière-plan les ambiguïtés de l’immigration et les velléités diverses. Le retour au pays, qui clôt cette troisième partie, constitue l’autre solution, résultant d’un échec ou au contraire d’une réussite : mais partir, comme arriver, suppose d’autres démarches, d’autres procédures… une autre «aventure» ?

La quatrième partie, conclusive, envisage plus classiquement le phénomène migratoire sous l’angle de l’histoire sociale au village : réfléchissant en terme d’élite rurale, de hiérarchie locale, R. Hubscher s’intéresse aux apports de ces migrants en terme de techniques et de pratiques, aux trajectoires professionnelles, au rôle de l’associationnisme et du syndicalisme agricole. Entre la figure, plutôt récente, de l’ouvrier clandestin et celle du migrant désormais assimilé, il trace une ligne qui est celle d’un phénomène désormais historicisé, qui croise les desseins de l’Etat, les sentiments des populations et les ambitions des migrants. Un phénomène dont il estime le rôle historique achevé.

Au final, R. Hubscher fait la démonstration dans cette synthèse ample, riche et sur de nombreux points très novatrice, de l’intérêt d’un objet scientifique qui ouvre de nombreuses portes et croise diverses approches. Ecrit d’une plume efficace, très didactique (on sent la main du professeur), l’ouvrage se laisse lire avec facilité, que l’on puise dans la multitude des exemples ou bien dans les analyses générales. Doté en outre – comme tout bon ouvrage scientifique – d’un appareil de notes dense, d’un index et d’une bibliographie large, il s‘avère à la fois un outil excellent ainsi qu’une belle démonstration qu’il serait dommage de le restreindre à la seule préparation des concours de l’enseignement.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 26/01/2006 )
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