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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Le meilleur service de renseignements au monde ? | | | David Alvarez Les Espions du Vatican - Espionnage et intrigues de Napoléon à la Shoah Nouveau monde 2006 / 22 € - 144.1 ffr. / 463 pages ISBN : 2-84736-143-X FORMAT : 14 x 23.5 cm
Préface de Sébastien Laurent.
Traduction de Violaine de Arriba et Elise Fromentaud.
L'auteur du compte rendu : agrégé d'histoire, allocataire-moniteur d'histoire contemporaine à l'Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, Nicolas Champ prépare, sous la direction du professeur Marc Agostino, une thèse d'histoire contemporaine consacrée aux espaces religieux dans le département de la Charente-Inférieure au XIXe siècle. Imprimer
Les espions du Vatican
Voici un sujet qui semble a priori plus relever du genre romanesque que de lécriture historique. Que de fantasmes na pas suscités le «meilleur service de renseignements au monde» ? Tout catholique ne serait-il pas un agent dormant au service du pape, ce souverain étranger terré à Rome ? Cet imaginaire anticlérical est mis au crible par David Alvarez.
Ce remarquable livre, qui éclaire dun jour nouveau le Vatican à lépoque contemporaine, est la traduction dun travail publié il y a déjà quatre ans aux Etats-Unis. Lauteur, quoique enseignant en science politique, offre ici non un ouvrage de pure théorie comme peuvent lêtre parfois les travaux du genre mais un véritable travail dhistorien. Faisons demblée lun des rares reproches quil est possible dadresser aux traductrices. Le titre français nest pas fidèle à loriginal, conforme au projet de lauteur ; celui-ci traite non pas des «Espions du Vatican» mais des «Espions au Vatican» (Spies in Vatican) ; autrement dit une part essentielle de louvrage est consacré aux manuvres des Etats étrangers pour placer un agent au Vatican.
La question de lespionnage recouvre en réalité celle plus large de linformation, sa maîtrise et sa collecte. Par ce biais-là, D. Alvarez aborde des questions qui semblaient déjà largement travaillées comme la place du Saint-Siège dans les relations internationales, mais sous un angle dattaque rarement exploré. De quels moyens dispose le souverain pontife pour sinformer ?
Avant 1870, la prise de Rome et la fin des Etats pontificaux, D. Alvarez rappelle fort justement quen tant que souverain temporel, le pape disposait des outils traditionnels que sont les services de police. Ceux-ci réussirent à se montrer dans lensemble assez efficaces pour museler ou contrecarrer les mouvements révolutionnaires qui pullulaient alors dans les Etats du Saint-Siège. Certains directeurs généraux de la police pontificale se montrèrent dactifs et habiles agents de la contre-subversion ce qui nempêcha pas ces très zélés agents dêtre aussi à la solde de létranger, ainsi de Pacca ou Bernetti qui nhésitèrent pas au temps de la Sainte-Alliance de communiquer leurs informations aux Autrichiens sans en avertir le secrétaire dEtat.
Après 1870, ce type de recherche dinformation requis essentiellement pour des raisons de politique intérieure et de maintien de lordre disparaît. En revanche, le pape a toujours besoin dêtre renseigné sur les grandes puissances. Pour connaître la situation intérieure de celles-ci, il sen remet au jeu classique des représentations diplomatiques, principalement aux nonces et aux délégués apostoliques. Bien quune professionnalisation du corps soit observable, les diplomates du Vatican étaient, bien souvent, insuffisants par leur quantité, la couverture diplomatique étant des plus irrégulières. A la veille de la Grande Guerre, le Vatican nétait pas représenté à Londres, à Paris et à Saint-Pétersbourg. Inversement, il disposait de nonciatures dans les Empires centraux, ce qui, pendant le déroulement de la guerre, fit que le souverain pontife se montra plus sensible aux arguments allemands pour retarder lentrée en guerre de lItalie et quil fut mieux renseigné sur lAutriche-Hongrie et sur lAllemagne que sur les Alliés. Le corps diplomatique du Vatican reste numériquement insuffisant sur toute la période mais saméliore sur un plan qualitatif, lexemple le plus illustre étant Mgr Eugenio Pacelli, le futur Pie XII. Linsuffisance est également perceptible au niveau de lorgane chargé de traiter linformation à son arrivée. Pendant la Première Guerre mondiale, la secrétairerie dEtat nemploie que quatorze personnes et en 1940, elle ne compte toujours que trente-deux employés et seulement dix dentre eux sont chargés des relations politiques avec les gouvernements. A la même date, la Norvège, pourtant puissance tout à fait secondaire, dispose de cent-dix-neuf employés dans son Ministère des Affaires étrangères.
D. Alvarez démontre que linformation strictement politique intéressait fort peu le Saint-Siège ; les questions religieuses et spirituelles seules le préoccupaient. Si linformation que cherche à collecter le Vatican est avant tout religieuse, a-t-il eu un service despionnage spirituel ? Lauteur répond largement par la négative. Une seule exception appert du travail dAlvarez, le réseau mis en place par Mgr Umberto Benigni à la fin du pontificat de Pie X pour lutter contre le modernisme, mais lauteur montre bien qualors «le Vatican avait un officier de renseignement, et non un service de renseignement» (p.129) : une fois Benigni déchu, le service disparut.
Le pape, sans être totalement désinformé, nest pas mieux informé que les grandes puissances. Tout au contraire. En revanche, que celles-ci aient voulu percer les secrets du Vatican nait pas moins douteux. LItalie, depuis 1870, se montra particulièrement soucieuse de disposer dinformations sur le «prisonnier du Vatican». Le commissaire de police du quartier du Borgo, limitrophe du Vatican, soccupe moins des opérations de simple police que du pape. Labsence dun système de communications spécifiques au Vatican, le nécessaire recours à la Poste italienne, aux télécommunications italiennes, labsence de courrier diplomatique spécifique au Saint-Siège qui recourait aux services de nations amies ont largement facilité les opérations despionnage italien à légard du Vatican. A ce titre, Mussolini et le fascisme se situent dans une longue tradition nationale.
Lentre-deux-guerres et la Deuxième Guerre mondiale font lobjet des développements les plus longs de lauteur. Il détaille minutieusement toutes les entreprises que purent mener les régimes totalitaires pour disposer dhommes à leur service au Vatican. LAllemagne nazie et lItalie fasciste se montrèrent des plus actives mais, malgré tous leurs efforts, Alvarez conclut à leur échec. Lillustration la plus éclatante de celui-ci, est quaucun des services de renseignements de ces Etats ne réussirent à être au courant de la préparation des encycliques les condamnant, Non abbiamo bisogno et Mit brennender sorge. Toutes les tentatives despionnage des puissances totalitaires firent face aux mêmes problèmes récurrents : le personnel est très réduit, les personnes au courant des affaires sensibles peu nombreuses, et il est très difficile den «retourner» une à son profit ; de plus, la culture politique et administrative des citoyens ecclésiastiques du Vatican incitait à une obéissance sans faille au souverain pontife rendant une trahison à son détriment peu probable.
Au sortir de louvrage, le lecteur ne peut quêtre convaincu que la papauté est loin de valoir sa réputation dans les services de renseignement et quinversement, les Etats qui recherchèrent des informations sur les secrets du Vatican ny réussirent guère et que, à linstar des Etats-Unis à la fin du second conflit mondial (pp.352-358), ils usèrent plus souvent descrocs ou dagents amateurs que de véritables professionnels de linfiltration.
Si lart de la désinformation et de la cryptographie est un talent dont doit disposer tout espion, le lecteur peut se demander sil nest pas possédé également par lauteur ou léditeur de cet ouvrage. Les quelques erreurs qui parsèment louvrage nauraient-elles pas été volontairement glissées pour dérouter la lecture ? Des dates nauraient-elle pas été sciemment codées, des fonctions sournoisement travesties, et des faits détournés de leur sens réel ? Ainsi, on lit «1922» au lieu de 1822 (p.46) ou Léon XII à la place de Léon XII (p.52). On apprend également que Napoléon est «empereur de France» (p.19, 21), que Pie VIII a régné de 1929 à 1930 (p.25) ou que dans la France révolutionnaire «les agressions polémiques et juridiques contre lEglise prirent fin en septembre 1792» (p.31). De même lobscurité de la présentation des sources (pp.447-448) nest-elle pas elle aussi conforme aux règles de tout bon rapport sur des activités despionnage, cest-à-dire masquer ses sources ?
Mais ce ne sont là que vétilles face à la qualité de louvrage. La manière daborder lhistoire du Vatican est doublement originale : dune part le prisme adopté apporte beaucoup déléments neufs de compréhension ; dautre part, lécriture, tout anglo-saxonne, détonne quelque peu dans lhistoriographie universitaire telle quelle est écrite en France. Chaque chapitre souvre par des récits que naurait pas renié A. Dumas père. Lhumour, et même parfois un peu dirrévérence pour les hommes que D. Alvarez étudie, peut également séduire ou agacer le lecteur. Cette ironie ne lempêche pas de réaliser un véritable travail historique où, à côté de dossiers bien connus, sont abordés de multiples «petits faits vrais» qui maintiennent la curiosité du lecteur en éveil. Bref, un livre stimulant qui ne laisse quun regret, celui quil sarrête si tôt, à laube dune ère nouvelle dans lhistoire du renseignement qui eut probablement quelque impact sur le Vatican lui-même.
Nicolas Champ ( Mis en ligne le 20/04/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les Dilemmes et les silences de Pie XII de Giovanni Miccoli Le Colombe et les tranchées de Nathalie Renoton-Beine Pie XII de Philippe Chenaux | | |
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