|
Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| |
Le Coq et les Dieux du stade | | | Fabrice Abgrall François Thomazeau 1936 : La France à l'épreuve des jeux Olympiques de Berlin Alvik éditions 2006 / 22 € - 144.1 ffr. / 366 pages ISBN : 2-914833-46-6 FORMAT : 14,5cm x 22,5cm
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
Anniversaire oblige, les éditions Alvik nous proposent un livre au titre médiatique. Les auteurs y étudient la perception des Jeux en France, de la sélection de Berlin (juste avant lélection de Hitler) au bilan aussitôt après, en passant par leur déroulement. Les chapitres sont rassemblés en trois parties qui regroupent les personnages (les «regards») par catégories socio-professionnelles : le monde politique, le monde sportif, écrivains et journalistes. Les chapitres sont de taille variable et comprennent parfois des extraits de discours en relation avec le thème. Un prologue présente le dossier, un épilogue conclut. Des documents en annexes portent aussi bien sur la composition du gouvernement Blum que sur les équipes sportives et le tableau des résultats ou le rapport officiel du Comité olympique français.
La première partie présente tour à tour les situations et états desprit respectifs du chef du gouvernement («Blum ou la diplomatie écartelée»), du ministre des sports («Léo Lagrange contre le sport guerrier»), de lambassadeur germanophile mais patriote («André François-Poncet : le relais franco-allemand»), du parlementaire Piétri («François Piétri, du soutien aux Jeux à la Collaboration»), exemple de la droite parlementaire pour la participation aux Jeux, opposé au député porte-parole du PCF hostile («Florimond Bonte : avocat des causes perdues»). Le monde sportif est représenté par idéologues et organisateurs du sport olympique comme les aristocrates baron de Coubertin et Polignac ou Armand Massard, et les témoignages des alors jeunes sportifs encore en vie, Vandernotte, Lapebie, et un chapitre rapide sur le nageur Nakache.
Sur un plan «matériel», on regrettera la qualité médiocre de la reproduction des photographies (intéressantes). Le livre a dautres petits défauts, irritants à la longue. Tournures de langage inutiles et incertaines : pourquoi ce «boycottage» au lieu du terme reçu depuis des lustres de boycott» ? Quelques incohérences posent problème : on lit dabord (p.47) que «les communistes ne manquent pas une occasion de rappeler au gouvernement Blum, quils soutiennent, que cest un socialiste, Jean Longuet, qui le premier a appelé au boycottage des Jeux», puis (p.98) : «Depuis des mois, depuis le premier appel au boycottage lancé par le député radical-socialiste Jean Longuet en 1934, la campagne anti-Jeux a pris de lampleur.» Etourderie sans doute : Longuet, petit-fils de Marx, est en effet socialiste. Lerreur est-elle due au fait quil a refusé radicalement
ladhésion à linternationale communiste au Congrès de Tours et dirige laile droite de la SFIO, ce qui le rapproche du radical-socialisme ?... On regrettera aussi labsence dindex, qui permettrait de trancher sur quelques erreurs orthographiques. En revanche, les liens de parenté et le rapide parallèle de carrière entre Wladimir dOrmesson et son neveu Jean présentent peu dintérêt ici. Cela donne une impression de collage de bons papiers journalistiques qui auraient mérité relecture et corrections.
Il est dailleurs évident que la forme du livre, 16 chapitres pour 16 «regards» personnels, fait de louvrage un dossier de fiches personnelles, qui ont dû être rédigées assez rapidement selon un partage du travail ; aussi, même si lensemble est co-signé, la forme rendait difficile déviter les redites (sur le malentendu du salut olympique des Français pris pour un salut nazi, le positionnement politique de tel ou tel, etc.). Seuls le prologue et lépilogue reprennent lensemble dune façon synthétique. Peut-être le genre de lhistoire du sport est-il plus que dautres affecté de ce caractère amateur ; cependant, sociologie et histoire dans ce domaine existent au niveau universitaire depuis 20 ans et lambition politique de cette histoire des jeux de 36 dans la société française demandait plus dattention sur ces détails qui participent à la clarté du message. Le livre se lit dailleurs agréablement, est bien informé, fait découvrir des documents intéressants (discours des figures étudiées dans les chapitres et pièces diverses en annexe) quil a parfois suscités, et provoque la réflexion.
Sur le fond, il confirme souvent des généralités relativement connues sur lintérêt bienveillant de la droite et du milieu sportif quelle domine envers le régime nazi, crédité dun vrai soutien populaire, dun effet psychologique positif sur les masses (anti-communisme, encadrement efficace de la jeunesse), dun programme de redressement économique volontariste sans socialisation (liquidation des SA révolutionnaires en 1934 et alliance avec les Eglises, larmée et les anciennes élites). Pour la droite et un centre pacifiste de lapaisement, pas question de se priver des Jeux par idéologie de gauche anti-fasciste ! Dautant que le Reich mène une campagne de promotion dans la presse française, la plus corrompue de lépoque. Le milieu olympique est même souvent fasciné par lardeur jeuniste quelle voudrait transposer et Coubertin se laisse flatter. Il y a bien le militarisme, la dictature et le racisme mais on se montre disposé à prendre le risque de la récupération politique (qui paraissait difficilement évitable) en prenant pour argent comptant les garanties offertes, finalement bluffé par la grandeur et lorganisation certes inquiétantes.
Quant à la gauche de gouvernement, qui est olympique et pacifiste de cur, mais anti-fasciste, elle nose pas boycotter dans le contexte international, espérant prendre lhypocrisie pacifiste de Hitler au mot, au moins pour gagner du temps : elle est «par accident» partisane de la participation, après lavoir dénoncée depuis 1934 : face aux Jeux, la SFIO est prise entre éthiques de responsabilité et de conviction. En face, quelques politiciens, journalistes et hommes publics israëlites, de gauche (Mendès) ou non (Philippe de Rotschild) ; dans les partis, seul le PCF prit constamment position contre les Jeux et sa posture tribunicienne de non-participation au gouvernement lui épargna les dilemmes de la SFIO et des radicaux-socialistes. La gauche fait lépreuve de ses divisions initiales et insurmontables sur les Jeux : le demi-soutien aux contre-Jeux anti-fascistes de Barcelone (avortés) témoigne de lincapacité de Blum à trancher sur la Guerre dEspagne par peur de déplaire à ses compagnons timorés et à la Grande-Bretagne. Un public naïf politiquement et les sportifs désireux avant tout de participer, par «neutralisme» sportif, «idéal» olympique ou ambition personnelle, ou par curiosité et goût dun voyage exotique (dans le cadre des premiers congés payés !), sont aussi vite ralliés aux Jeux.
Les auteurs mettent en rapport des attitudes en 1936 et le destin pendant la guerre et loccupation. Tandis que les élites pro-jeux basculeront dans la collaboration au moins un moment, les athlètes souvent dorigine populaire, sympathisants du Front populaire et inconscients des enjeux politiques, entreront dans la résistance tandis que le juif Nakache sera déporté. Les positionnements des élites sont mis en contexte dans la situation française de lépoque, sur le plan intérieur et international et dans lunivers mental des faiseurs dopinion et des décideurs : angoisse du déclin et de la révolution à droite, antifascisme à gauche interfèrent avec problèmes de la crise économique, combats politiques gauche-droite et équilibres de coalition, manque de soutien de limprévisible alliée britannique, difficulté de trouver des alliances face à Hitler, ambiguïté de Mussolini, préludes de guerre civile en Espagne, renforcement dune Allemagne agressive et habile (la remilitarisation de la Rhénanie). Les auteurs rappellent au lecteur les courants et les enjeux politiques de lépoque. Au risque parfois de donner le sentiment de simplifications, même si cest sur des points relativement secondaires.
On lira avec intérêt des perles qui permettent de sortir des anachronismes actuels sur cette époque. Sur le thème de «la race» et ses usages ambigus même à gauche (Léo Lagrange), ainsi que sur lhygiénisme. Tout en reconnaissant la supériorité athlétique de nature des Noirs, on propose parfois de les écarter des Jeux pour concurrence déloyale ou de les priver de formation technique : hommage étonnant ! (p.319) Inversement tel homme de droite (Piétri) dénonce lincohérence partisane de lhostilité du PCF aux Jeux de Berlin en invoquant le silence communiste lors des Jeux de Los Angeles de 1924, alors que les Etats-Unis étaient aussi racistes à légard de leurs citoyens noirs dans tous les domaines de la vie sociale que lAllemagne nazie avec les Juifs ! La France, en revanche, selon ce républicain de centre-droit (certes peut-être véreux), manifesterait un authentique souci de légalité Blancs-Noirs dans son empire !
Voilà qui nous intéresse en ces temps de méditation sur le bilan positif et la mémoire de la colonisation française !...
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 23/08/2006 ) Imprimer | | |
|
|
|
|