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Les femmes savantes
Juliette Rennes   Le Mérite et la nature - Une controverse républicaine : l'accès des femmes aux professions de prestige (1880-1940)
Fayard - L'Espace du politique 2007 /  32 € - 209.6 ffr. / 532 pages
ISBN : 978-2-213-63161-5
FORMAT : 15,5cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l'auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman(Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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Ancienne élève de l'Ecole normale supérieure, docteur en science politique, maître de conférences à l'université Lyon 2, Juliette Rennes n'est pas en reste question diplômes. Elle s'attaque à un sujet dans l'air du temps concernant les femmes puisqu'il s'agit de la controverse dans l'accès de celles-ci aux professions de prestige entre 1880-1940. La première partie du livre s'occupe des facteurs historiques de ces controverses dans la féminisation des professions, puis des enjeux qu'elles ont cristallisés par la suite. La seconde partie examine les fameux débats récurrents entre les optiques universalistes (traitement égal de tous les individus au regard des droits civils et politiques) et différentialistes (récusant le postulat d'une humanité commune au nom de l'existence de différences irréductibles) concernant l'infériorité naturelle ou non de la gent féminine dans son accession aux professions de prestige. Or, sur ce point, le problème est justement de tirer exclusivement d'un côté comme de l'autre entraînant des débats houleux et sans fin. La dernière partie prend en compte plusieurs aspects du discours social (débats parlementaires, théâtre de boulevard, guides féminin d'orientation professionnelle), qui continuent de répandre la nature différentielle des sexes, y compris dans les discours féministes.

Cependant, un tel livre (près de 600 pages) pose problème. Quelle en est l'utilité profonde ? Démontrer qu'une sélection a privilégié les hommes ? Que ces derniers ont abusé de leur pouvoir ? Qui ne le sait ? Et qui peut s'en targuer ou le légitimer de nos jours sans être conspué copieusement et publiquement ? Personne ne viendra, on le suppose du moins, remettre en question la grandeur et la profondeur d'une philosophe comme Hannah Arendt. A l'évidence, les femmes méritent un meilleur sort mais il faut bien voir qu'un tel livre survient dans un contexte précis. Relevons comme simples exemples qu’une femme est devenue le patron du MEDEF, qu'une autre femme s'est présentée à la présidence de la République, et que le langage a été féminisé (on emploie auteure et non plus auteur), ce qui n'est pas rien, symboliquement parlant.

Tout d'abord, Juliette Rennes explore donc avec une exhaustivité qui frise l'anecdotique les polémiques sur l'accès de telle ou telle femme à tel diplôme, tel titre ou tel grade. On pouvait déjà faire plus court ou plus concis. Avec toute la rigueur universitaire et un style assez froid, parfois alambiqué, elle dresse les arguments, les compromis et les présupposés des partisans et des opposants de l'accès des femmes aux professions de prestige. On apprend ainsi, pour donner un seul exemple, qu'une certaine Marie-Louise Jacotin, à l'Ecole normale supérieure en 1926, fut reçue seconde au concours scientifique mais eut la désagréable surprise par le Journal officield'être 21e sur la liste d'admission. A cette place, il n'était plus scandaleux qu'elle ne reçoive qu'une bourse de licence comme c'était le cas pour les garçons. La falsification visait à faire croire que la règle méritocratique avait été appliquée.

La démonstration de Juliette Rennes tourne cependant au procès à charge, sous couvert de sérieux. Certes, comme elle le note justement, le discours a souvent utilisé avec une notable mauvaise foi la fatigue, l'abandon du foyer, la thématique des indispositions féminines, etc., pour écarter les femmes de telle ou telle profession mais d'un autre côté, on ne peut pas totalement les éliminer ou faire comme s'ils n'existaient jamais. N'oublions pas non plus que pendant la période visée par Juliette Rennes la scolarisation des femmes est due aussi à l'augmentation de la bureaucratie et au développement de l'enseignement, reflets de la spécialisation technique et de la croissance des services sociaux dans une société industrielle en expansion. Tout cela requiert une course aux diplômes que l'on ne pouvait pas à la longue laisser aux seuls hommes.

La volonté de puissance est détestable, la violence sur autrui est une abomination. Mais les comprendre est plus essentiel que d'en rester à la dénonciation ou à l'indignation. Pourquoi y’a-t-il même une domination ? Si l'on peut reprocher la violence des hommes faites aux femmes, on peut relever par ailleurs une violence similaire des hommes faites aux autres hommes. Pourquoi les séparer ? Autrement dit, c'est toujours la question du mal qui est posé. Écueil tragique car il suppose qu'il y a de l'irréductible dans la condition humaine. Nous ne vivons pas dans un monde parfait... A ce titre, le livre de Juliette Rennes, mine de rien, semble oublier toutes ces questions et vient en rajouter dans la volonté fastidieuse de faire remontrance de tout. Par exemple si un essayiste comme Paul de la Magdeleine note que les femmes ont investi certaines professions, Juliette Rennes fait tout de suite remarquer qu'une telle énumération est amplifiée car "à cette date, il n'existe pas à proprement parler de femmes policières" (p.88). On ne compte plus les fois où Juliette Rennes fait remarquer que dans telle ou telle profession "c'est la première fois qu'une femme..."

A ce titre, on se demande quel domaine, quel aspect ne pourrait pas être montré du doigt s'il ne possède pas son quota réglementaire de femmes. Que peut-on dire sans être rangé dans la catégorie anti-féministe (ou réactionnaire) ? Car tout est considéré ici comme étant soit féministe soit anti-féministe. Être féministe, est-ce vraiment être «pour» les femmes ? Ceci dit, à quoi sert d'être féministe quand on est humaniste ? Pourquoi l'auteur (sans «e» s’il-vous-plaît !) en reste-t-elle aux professions de prestige ? Quid du travail dans le bâtiment ? Est-ce être anti-féministe que de remarquer que les hommes ont en moyenne plus de force physique que les femmes et que cela peut poser des problèmes dans telle ou telle profession ? Sinon gare car «l’argument par l’avenir» aura raison de vous, argument qui «consiste à affirmer qu’il vaut mieux ne pas s’opposer aujourd’hui à l’inévitable avènement de l’égalité des sexes afin de ne pas se condamner devant le tribunal de l’histoire» (p.324). Quand le moralisme nous tient...

En définitive, un tel livre fleure bon quelque part la paranoïa et contribue dans chaque exclusion de femmes à infléchir notre pensée vers un règlement de compte sexiste. Ou encore à détecter dans chaque homme un horrible misogyne tandis que les femmes seraient plus ou moins idéalisées, même si Juliette Rennes relève que des femmes ont participé à cette exclusion des femmes à certaines professions et que des hommes les ont soutenues. Tout est-il si égal ? Nous ne sommes pas loin de la morale du procès comme le relevait Kundera : un monde qui vomit son histoire. Surtout de nos jours, où l'on se penche systématiquement sur le passé pour relever qui dans l'art, qui dans la philosophie, qui dans la société... n'a pas été correct envers telle ou telle catégorie de personnes.

De nos jours, si cette question de la féminisation des pouvoirs dans la société doit être distinguée de celle de la maternisation du pouvoir d'État, le débat sur la parité des femmes en politique par exemple oublie l'importance réelle des pouvoirs des femmes dans la société. Michel Schneider dans Big mother avait argumenté sur ce sujet en relevant que le pouvoir est de plus en plus aux mains des femmes et l'autorité aux mains des mères. Le pouvoir des femmes est comme La Lettre volée d'Edgar Poe, si évident que personne ne s'en avise. Par exemple, les femmes maîtrisent seules la conception des enfants. Depuis 1972, le critère de filiation présumée par le père n'a plus de caractère légal. Ensuite, la conception résulte de l'emploi ou non de méthodes contraceptives ou d'un recours à l'avortement qui ne dépendent que des femmes. Par ailleurs, les hommes ont presque disparu du secteur social, fait qui n’est pas mince dans la manière dont une société se façonne. A l’école : combien d'instituteurs pour combien d'institutrices ? Dans la justice : aux affaires familiales, vous risquez de tomber sur une magistrate et il en est de même dans les tribunaux d'instance ou correctionnels et chez les avocats. En médecine, moins d’hommes de nos jours sortent des études médicales. Idem en psychanalyse et en psychothérapie, en particulier celles des enfants. Y parle-t-on d’une domination féminine ? S'insurge-t-on du fait que les classes préparatoires littéraires aux grandes écoles possèdent 90% de femmes (chez les scientifiques, les hommes dominent largement) ?

En restreignant son enquête aux professions de prestige, Juliette Rennes insiste non seulement sur la volonté de puissance des hommes mais s'inscrit dans un débat gagné d'avance tout en mésestimant un pan de sa réflexion générale. Car si dans les hautes hiérarchies (monde des affaires, haute administration, politique) les femmes sont moins représentées, les hommes n’exercent pas non plus le pouvoir abusivement et quotidiennement dans le monde social, c'est-à-dire chez le plus grand nombre. Et on a l’impression que si les hommes ont généralement un certain cercle de pouvoir, les femmes en ont un autre (sans parler de la séduction). Par ailleurs, la parité est-elle une si bonne chose que cela ? Cette revendication obsessionnelle de l’égalité peut aussi être une volonté de pouvoir déguisée, une «volonté de mêmeté». Volonté de prédation, guère plus honorable que celle des hommes, d’autant plus que dans cette rivalité mimétique elle copie et imite structurellement la violence symbolique masculine d'origine.

D'une façon générale, cette volonté d'égalité à laquelle un tel livre participe, si elle peut-être légitime en théorie, risque de tourner en pathologie de l'égalité dans les faits. Rappelons ce qu'écrivait Tocqueville dans De la démocratie en Amérique : «La passion d'égalité pénètre de toutes parts dans le coeur humain, elle s'y étend, elle le remplit tout entier. Ne dites point aux hommes qu'en se livrant ainsi aveuglément à une passion exclusive, ils compromettent leurs intérêts les plus chers ; ils sont sourds. Ne leur montrez pas la liberté qui s'échappe de leurs mains, tandis qu'ils regardent ailleurs ; ils sont aveugles, ou plutôt ils n'aperçoivent dans tout l'univers qu'un seul bien digne d'envie». Pour Tocqueville, cette égalité livre l'individu à l'opinion, à la loi du plus grand nombre. Alors on peut bien écrire des livres de 600 pages recensant avec minutie qui a fait quoi, et comment et de quelle manière... Mais si on relisait avant tout les fameuses Femmes savantes de Molière...


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 13/07/2007 )
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