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Retour sur le «nabot monstrueux» | | | Georges Valance Thiers - Bourgeois et révolutionnaire Flammarion - Grandes biographies 2007 / 26 € - 170.3 ffr. / 446 pages ISBN : 978-2-08-210046-5 FORMAT : 15,0cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Adolphe Thiers aura sans doute été, comme Léon Blum se caractérisait lui-même, plus tard, lun des hommes «les plus haïs de France» : fusilleur de la Commune, sauveur de la République dans une France qui vote encore monarchiste, incarnation dun certain état desprit («le notable», le «bourgeois»
), moqué et envié tout à la fois, il accompagne les évolutions chaotiques dun XIXe siècle qui nous paraît désormais lointain, impénétrable par endroits. Cest à ce personnage à la fois central et délaissé que Georges Valance, journaliste et historien (on lui doit un Haussmann le grand) consacre une biographie alerte et efficace.
Comme le souligne Georges Valance dans son introduction, la dernière biographie de Thiers est celle de Pierre Guiral, biographie monumentale écrite il y a plus de 20 ans
Et depuis, rien ! Or nombre de travaux souvent innovants sont venus revisiter la perception de la Monarchie de Juillet, du Second Empire, de la Commune
Bref, les historiens opèrent depuis quelques années une relecture plus fouillée du XIXe siècle pour le dégager de la gangue historiographique où lavait plongé le marxisme. Et Adolphe Thiers était également resté prisonnier de cette gangue, assimilé au «nabot monstrueux» de Marx, en dépit des efforts de Pierre Guiral pour lui donner une teinte plus politique. Comment lutter contre les stéréotypes, le poids des conventions ou encore les idées reçues (le spécialiste de ces «idées reçues», Flaubert, navait pas de mots assez durs pour moquer Thiers, en qui il voyait lincarnation de lesprit prudhommesque)
?
Or Thiers est un homme complexe, émanation dun siècle complexe : lhomme politique a été façonné autant par les différents régimes que par ses uvres il est lun des premiers historiens novateurs de la Révolution française et ses idées. Du départ, le petit marseillais issu de cette même «génération ardente» quAlfred de Musset, na guère datouts : un père plus ou moins escroc qui abandonne le domicile conjugal, une jeunesse aixoise laborieuse et «gauchiste», un charisme limité (on le décrit petit, la voix mal posée et laccent pénible)
Mais une plume que le quatrième pouvoir impose bientôt, aux côtés de Rémusat, Stendhal ou Mérimée. Comme Rastignac, dont il inspire la création, il accède à une forme de pouvoir, via Paris («A nous deux maintenant !») et le journalisme. Et le journalisme fait de lui un révolutionnaire, lun des artisans des Trois glorieuses qui lemmènent au Conseil dEtat, puis au ministère de lIntérieur, à lAcadémie française
et cela avant 40 ans. Carrière, mariage réussi, Thiers est devenu lun de ces notables chers à Guizot, bientôt jeune président du Conseil.
Et la révolution semble sinscrire dans ce destin, toutes les révolutions en fait : la grande, celle de 1789, comme la manquée, celle de 1830, la demi-réussie de 1848, limpériale, celle de 1851, et la communarde enfin, celle de 1871
Une vie scandée par le fait révolutionnaire, et qui voit le conservateur bon teint se muer en opposant officiel sous le second empire, puis en républicain fondateur au milieu dun parlement monarchiste
ironie de lhistoire ou de la providence ? Écrire une vie dAdolphe Thiers, cest relire lhistoire de France et discerner, au cur de cette histoire heurtée, comme un fil rouge entrecoupé dépisodes violents, lavènement de principes nouveaux, comme le libéralisme, la république, principes qui finissent par conquérir lespace et lesprit public. Thiers, loin dêtre ce grand bourgeois confit en conservatisme, fut plus sûrement un libéral raisonnable, un révolutionnaire prudent pour qui les acquis révolutionnaires forment un processus séculaire et lent qui aboutit en 1877, date de sa mort
Louvrage de Georges Valance se lit agréablement, comme le roman dune vie : il a les qualités dun bon récit, servi par une plume vive et enlevée, précise et enthousiaste à la fois, qui sait, dune anecdote, dune citation, éclairer un épisode. Sans doute lui manque-t-il les assises scientifiques et historiographiques (il ne sagit pas dune thèse sur archives, ni dune relecture en fonction dune historiographie récente) qui en auraient fait une vraie référence universitaire. Louvrage sintéresse avant tout à lhomme Thiers, plutôt quà lintellectuel, lécrivain, lorateur, ladministrateur
Mais tel quel, il sagit dune relecture bienvenue, très accessible aux amateurs dHistoire, dun siècle et dun personnage qui fait débat.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 28/11/2007 ) Imprimer
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