| Laurent Martin Jack Lang - Une vie entre culture et politique Complexe 2008 / 23 € - 150.65 ffr. / 419 pages ISBN : 978-2-8048-0135-9 FORMAT : 16,0cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Homme politique et politicien, Jack Lang fait partie de ces personnalités à la fois brillantes, vaguement agaçantes et dans le même temps attachantes, un feu follet qui aura incarné une politique culturelle et le seul ministre quon ait finalement comparé à Malraux en bien ou en mal - ce qui est déjà significatif. Un ministre qui, soucieux de sa mémoire ou de lhistoire, a laissé ses archives à lIMEC (Institut Mémoires de lEdition Contemporaine)
A lheure où, par leffet dune loi liberticide, les archives ministérielles risquent de devenir des archives privées (avec le statut très contraignant pour la recherche, qui régit, légitimement, ce type darchives), la démarche est à saluer.
Et Laurent Martin, qui avait déjà livré une étude remarquée sur Le Canard enchaîné, va plus loin : après avoir classé le fonds, il était aux premières loges (privilège de linventeur du fonds) pour lexploiter. Cest ce quil a fait dans une biographie de facture très classique, imposante, annotée avec érudition, efficace et austère, et qui tranche nettement avec un ouvrage politique de commande. Une biographie scientifique, fondée sur des archives autant que sur une méthodologie historienne. Pas de vie privée ici, ni de ragots, rumeurs
Cest la biographie solide dun homme public, puis dun homme dEtat, une biographie aussi complète que possible puisquelle mène le lecteur jusquà la fin (provisoire ou non ?) des expériences ministérielles de Jack Lang. Une «biographie inachevée dune vie inachevée»
Lobjet est donc original et supposait chez son auteur un recul, une prudente distance critique (théorisée avec vigueur en introduction). Et de fait, Laurent Martin reste impartial, tellement neutre quil semble comme détaché de son objet, une écriture sobre qui peut lasser mais qui garantit une réelle objectivité : comme Tocqueville, lauteur sapplique à écrire «derrière un rideau» et de son jugement, de ses opinions, de son regard de citoyen, nous ne saurons rien (quelques exceptions quand même, lorsquil prend Jack Lang en flagrant délit dexcès rhétorique, comme à propos de la «liberté culturelle» à Cuba, p.243). Un travail dhistorien au bon sens du terme, «sans amour et sans haine» (Tacite), et donc une biographie de référence.
Lodyssée de Jack Lang commence à Nancy, où il naît en 1939. Elle se place sous trois étoiles disparates : le théâtre, le droit et la politique
et autant de protecteurs. Éveillé à la parole par le théâtre universitaire, éveillé à laction par la politique (avec Mendès France, puis Mitterrand), éveillé à la décision par le droit
le mélange de tout cela donne un homme de théâtre qui fait de la politique, un juriste qui se mêle darts, un militant qui passe pour un saltimbanque. Jack Lang joue sur les divers registres pour une carrière rapide qui le mène du festival inter-universitaire de Nancy au Théâtre national de Chaillot, puis au ministère de la culture, et cela tout en continuant une carrière universitaire notable de professeur de droit marqué par le marxisme, et de socialiste atypique, défenseur de la création dans un parti encore peu engagé dans ce domaine (avant 1981, lart est essentiellement communiste, ou académique
Lang aura pratiqué, plus quune politique douverture en ce domaine, un véritable hold up des intellectuels communistes, aidé il est vrai par les relents constants de stalinisme et danti-intellectualisme émanant du PCF).
Mais cest bien évidemment le ministère de la culture qui organise à lui seul une part de louvrage : de la composition du ministère aux divers projets mis en uvre, des conceptions culturelles du jeune ministre à ses premières mesures, de laventure du budget (le mythique 1% culturel) aux relations avec lElysée et avec la figure paternalo-tutélaire de François Mitterrand, Laurent Martin passe en revue le bilan dune politique qui sest voulue révolutionnaire, en rupture. Le constat en tous les cas dune politique culturelle est avéré et en ce domaine, louvrage vaut un manifeste. Les chantiers sont nombreux et habilement (excessivement) mis en scène par leur promoteur, lequel semble vouloir «incarner» la culture : prix unique du livre, démocratisation culturelle (à revoir), coopération avec les divers ministères, modernisation des maisons de la culture (devenues des «scènes nationales»), décentralisation (via les DRAC), et projets architecturaux (le Grand Louvre, lopéra Bastille dont Mitterrand se moquait un peu
) et festifs (la fête de la musique, réussite planétaire). Une action non seulement nationale, mais même internationale (L. Martin parle drôlement de «panlangisme», p.247) dont les finalités sont à la fois culturelles, politiques
et personnelles, voire égotistes. Jack Lang est un personnage travaillé autant quun homme dEtat au travail. Cest un «style», comme celui du général ! Et du premier au second ministère de la culture (gouvernement Rocard), sa rivalité dimage avec François Léotard (puis Catherine Trautmann, Jacques Toubon
) démontre à lenvie que ce polissage médiatique est un succès, non sans agacer quelques éléphants (comme Jospin ou Dumas).
L'échelon local (Blois, le Loir-et-Cher) nest pas oublié, dans une logique désormais denracinement politique (en 1986, Jack Lang abandonne définitivement les marges de la «politique politicienne» et limage de liconoclaste étatique, ou de lélu dilettante), mais cest clairement dans larène nationale que Lang sébroue à son aise. Le passage à un ministère plus réputé, comme lEducation nationale, est un premier aboutissement pour cet homme qui, stratégiquement ou sincèrement, parle toujours de son «petit» ministère de la culture, aboutissement confirmé par un second passage (pour éteindre lincendie allumé par Claude Allègre) qui atteste, sinon dun poids neuf au sein du PS, au moins dune capacité à exister, et à gêner dautres calculs, qui fait de cette nomination une affaire politique. Par ailleurs, le projet dune candidature à linvestiture présidentielle en 1995 va encore plus loin, sappuie sur un capital de sympathie quau PS, on va justement lui reprocher (au nom de la «candidature morale», dixit Moscovici, de Jospin).
La culture, la création, la fête de la musique demeurent aussi des stigmates pour un personnage qui, jusque dans la construction de sa mémoire, de son vivant, choisit une trajectoire qui se veut hors norme. Alors éléphant trompeur, ou alter-politicien, le cas Lang est en tous les cas un cas désormais bien travaillé, par cette «première» biographie, au confluent du politique et du culturel. Une belle démonstration dhistoire immédiate.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 29/04/2008 ) Imprimer
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