Francis Démier Claire Barillé Collectif Les Maux & les soins - Médecins et malades dans les hôpitaux parisiens au XIXe siècle Action artistique de la Ville de Paris 2008 / 45 € - 294.75 ffr. / 397 pages ISBN : 978-2-913246-60-7
Láuteur du compte rendu : Adrien Minard, diplômé de lIEP de Paris, est professeur agrégé dhistoire, doctorant à lEHESS et co-auteur avec Michaël Prazan de Roger Garaudy. Itinéraire dune négation (Calmann-Lévy, 2007).
Claire Barillé collabore à Parutions.com. Imprimer
En 1772, lHôtel-Dieu, cette grande bâtisse vétuste et surpeuplée qui, au centre de Paris, occupait deux berges de la Seine, était ravagé par un incendie. Après moult débats et hésitations concernant un déplacement, il fallut attendre les années 1870 pour que sa reconstruction sachève à quelques mètres seulement de son emplacement initial, sur une vaste parcelle de lIle de la Cité, à deux pas de Notre-Dame. Pour les autorités, pas question de renoncer à ce symbole de la centralité de linstitution hospitalière dans la capitale. Est-ce à dire que, dans ce domaine, rien na changé au cours du XIXe siècle ? Le bel ouvrage collectif dirigé par Francis Démier, spécialiste de lhistoire sociale à lUniversité de Paris X - Nanterre, et Claire Barillé, professeur agrégée et docteur en histoire, montre à quel point les hôpitaux parisiens ont au contraire évolué durant cette période. Il comble ainsi une importante lacune historiographique et vient sajouter aux études sur les hôpitaux lyonnais et bordelais dOlivier Faure et de Pierre Guillaume, qui dailleurs signent dans Les Maux & les soins dintéressantes contributions comparatives.
Le livre met en évidence laffirmation de la vocation thérapeutique de lhôpital qui, au cours du XIXe siècle, se distingue de plus en plus des hospices, auxquels incombe désormais sa fonction traditionnelle dassistance et dasile destinée aux pauvres. Avec le développement de la médecine anatomo-clinique, les hôpitaux de Paris sont devenus des lieux dobservation, denseignement et de soins où sélaborent nombre de ces innovations scientifiques qui ont fait le prestige de lEcole parisienne durant les premières décennies du siècle. Cette modernisation est assez connue depuis les travaux de Michel Foucault et Erwin H. Ackerknecht, mais les textes réunis par Claire Barillé et Francis Démier apportent une multitude de nouveaux éclairages sur les acteurs de ce processus, quil sagisse de certains réformateurs, soucieux de rationaliser et de rentabiliser lhôpital, des hygiénistes, attelés à prévenir les contagions, ou du personnel de lAssistance publique, dont la création, en 1849, marque un tournant dans la gestion des établissements parisiens, désormais privilégiés par rapport aux secours à domicile. Une des perspectives les plus stimulantes de louvrage consiste à rapprocher le fonctionnement des hôpitaux de celui dune «contre société» quasiment autonome, dotée de règlements spécifiques, pratiquant lautoconsommation et abritant des métiers très hiérarchisés, depuis louvrier journalier sans qualification jusquau directeur, en passant par lélite des médecins et le corps - de plus en plus laïc et professionnalisé - des infirmières.
Le caractère novateur de ce livre tient également à lattention portée par plusieurs de ses contributeurs aux espaces, esquissant ainsi une géographie des structures de santé dans le paysage parisien du XIXe siècle. Outre lHôtel-Dieu, qui fait figure dexception, ils décrivent parfaitement ce «grand mouvement centrifuge» caractérisé par la délocalisation des hôpitaux vers des périphéries dont latmosphère était perçue comme plus pure et pour répondre aux besoins dune population industrieuse en forte croissance. La vogue des théories aéristes et de lhéliotropisme a même contribué au déplacement des hospices pour vieillards indigents et des asiles daliénés vers des campagnes rendues attractives par des considérations budgétaires et des projets de thérapie par le travail.
Avec leur implantation dans les quartiers ouvriers proches des banlieues, les hôpitaux ont connu un renouvellement de la population de leurs usagers. Plusieurs fonds darchives, parmi les nombreuses sources de première main répertoriées dans louvrage, permettent de mieux cerner la diversité sociale de cette patientèle où lon compte de plus en plus de salariés, et notamment des accidentés du travail, bien étudiés par Isabelle Lespinet-Moret. À la suite de ladoption de plusieurs lois sociales par les républicains, les remboursements de séjour perçus par ces patients ont coïncidé avec le déclin des formes caritatives de financement et une socialisation de la médecine hospitalière.
Ce sont très certainement les pistes ouvertes par cette histoire sociale par le bas, attentive au public de lhôpital, à son profil, ses misères et ses plaintes, qui apparaissent les plus fructueuses pour des recherches à venir. Mais louvrage passionne également par ses études de cas qui, loin de se focaliser uniquement sur les hôpitaux, livrent des connaissances inédites sur dautres dispositifs de santé comme les maternités, les bureaux de bienfaisance, les dispensaires, ou certaines spécialités médicales comme laliénisme et la gériatrie. Il faut enfin souligner ladmirable facture de lobjet lui-même : ce livre est soigné, bien relié, et la mise en page bénéficie dune iconographie exceptionnellement fournie et de qualité. Les Maux & les soins simpose donc tout à la fois comme une référence incontournable pour qui sintéresse à lhistoire de la médecine, un outil de travail indispensable aux chercheurs et une pièce de choix pour les amateurs de beaux livres.
Adrien Minard ( Mis en ligne le 26/08/2008 ) Imprimer
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