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Africanité et socialisme
Manga Kuoh   Palabre africaine sur le socialisme
L'Harmattan - Pensée africaine 2009 /  16 € - 104.8 ffr. / 167 pages
ISBN : 978-2-296-08181-9
FORMAT : 13,5cm x 21,5cm

L'auteur du compte rendu : Romancier, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a publié entre autres, aux Éditions du Cygne, Transnistrie : Voyage officiel au pays des derniers Soviets (2009).
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L’échec des politiques néo-libérales en Afrique depuis vingt ans provoque en ce moment certains retours sur les expériences socialistes de ce continent après la décolonisation. C’est à cette réflexion que se propose de participer l’économiste et politologue camerounais Manga Kuoh dans un court mais dense ouvrage rédigé dans l’esprit de la «palabre africaine» traditionnelle, laquelle vise à faire revivre le passé pour éclairer l’avenir.

L’intérêt de l’ouvrage se situe à plusieurs niveaux. Le premier est de faire connaître à un public européen souvent ignorant de l’histoire africaine les luttes d’émancipation populaire qui ont marqué ce continent bien avant la décolonisation : des résistances autochtones au Maghreb, en Somalie et au Tanganyika de la fin du XIXe siècle aux grèves dures de cheminots ou de mineurs en Guinée, en Gold Coast, au Nigéria, au Katanga, au Sénégal dans l’entre-deux guerres. Dans cette chronologie historiographique, l’auteur montre pourquoi le combat anti-colonial jusqu’aux années 1960 ne pouvait être majoritairement socialiste, et de quelle manière problématique les premières expériences socialistes en Tanzanie, en Guinée, au Ghana allaient s’imposer malgré la rigidité de la logique des blocs. Il poursuit avec l’évocation de la montée puis de l’essoufflement de la seconde vague socialiste en Afrique (avec l’aide de Cuba dans le cadre du combat contre l’apartheid, à la faveur de la conversion au marxisme d’élites militaires au Bénin, au Congo-Brazzaville et à Madagascar, et de l’accession à l’indépendance des colonies portugaises). Les deux derniers tiers du livre se présentent comme des galeries de portraits utiles à la compréhension des pratiques africaines du socialisme : les descriptions de trois expériences non marxistes (Senghor, Nyerere, Bourguiba), trois expériences liées au léninisme (celle des militaires au Bénin et au Congo, celles d’Nkrumah en Gold Coast, celle de Cabral en Guinée Bissau) pour finir par un chapitre important sur Sékou Touré.

Un autre intérêt est de donner à penser sur le fossé qui a longtemps séparé le socialisme africain du socialisme européen. Au premier congrès de l’Internationale socialiste qui examine la question coloniale (celui de Stuttgart en 1907), une faible majorité se dégage (128 voix contre 107) pour proclamer en des termes vagues la volonté de s’opposer au colonialisme, aucune collaboration concrète ne fut mise en place entre la gauche européenne et les «indigènes». Selon Kuoh, l’opposition au communisme soviétique de Marcus Garvey et Georges Padmore, les pionniers du panafricanisme dans la première moitié du 20ème siècle, qui prônaient une «confraternité au sein de la race», n’arrangea pas les rapports avec les partis communistes européens pour lesquels la solution du problème colonial passait uniquement par une révolution prolétarienne en Europe (en 1937, Thorez exhortait encore les Africains à rester unis au peuple de France contre le fascisme). La collaboration entre d’une part le PCF, mais aussi des militants de la SFIO, la CFTC et la CGT, et, d’autre part, les élites noires (Houphouët-Boigny, Sékou Touré) n’allait fonctionner qu’après la Seconde Guerre mondiale, et encore peu de temps, tandis qu’une bonne part des états-majors de la IIe internationale en Angleterre comme en France souhaitaient conserver les empires. C’est la guerre d’Indochine qui finit par persuader l’URSS (et, par voie de conséquence, les PC européens) de considérer, non sans paternalisme cependant, les nationalistes africains comme des «progressistes» et non plus des «petits-bourgeois».

Les qualités de l’ouvrage sautent aux yeux : une très grande facilité de style, un sens de l’équilibre qui ne passe sous silence ni le courage et l’inventivité qui ont inspiré les politiques décrites, ni les contraintes que le contexte international a fait peser sur ces expériences, ni enfin leurs insuffisances intrinsèques (naïvetés, dérives dictatoriales, corruption). Elles en font une contribution utile au débat actuel sur l’avenir de l’Afrique.

Cependant des lacunes apparaissent aussi. Par sa brièveté même, le livre adopte des formules synthétiques vagues qui peuvent apparaître assez journalistiques. On aurait aimé des détours par des descriptions sociologiques concrètes qui montrent des mécanismes sociaux à l’origine des succès et des échecs des expériences abordées. On peut aussi s’étonner de certains silences, par exemple sur le Zimbabwe. En outre, l’ouvrage, qui s’appuie beaucoup sur des expériences étatiques, parle peu des mouvements d’idées, et des courants intellectuels et politiques minoritaires qui, encore aujourd’hui, peuvent en Afrique se réclamer du socialisme. Enfin il semble que l’ouvrage se soit arrêté en 2000. On aurait pu légitimement attendre dans un essai comme celui-ci une analyse sur l’influence de phénomènes récents comme le «socialisme du XXIe siècle» impulsé par le mouvement bolivarien en Amérique latine, lequel ne cache pas sa volonté de voir réémerger une nouvelle poussée socialiste sur le continent noir.

Le socialisme décrit par Manga Kuoh apparaît finalement ambigu, plus fondé au fond sur l’héritage africain que sur une volonté sincère d’aboutir à l’égalité sociale et à l’expulsion des multinationales occidentales du continent noir, ce qui explique qu’en regard de ces expériences, même des pays restés entièrement pro-occidentaux comme le Nigeria aient pu eux aussi à certains moments se prétendre socialistes «à leur manière». Il souligne ainsi, au fond, la difficulté (sur tous les continents et pas seulement en Afrique) de définir un socialisme qui, sans emprunter de modèles préfabriqués, ne soit pas une vaine et vague réhabilitation de vieilles traditions communautaires locales, aisément récupérables par des pouvoirs économiques et politiques plus prédateurs qu’émancipateurs.


Frédéric Delorca
( Mis en ligne le 30/06/2009 )
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