Raphaëlle Branche Sylvie Thénault Collectif La France en guerre. 1954-1962 - Expériences métropolitaines de la guerre d'indépendance algérienne Autrement - Mémoires/Histoire 2008 / 26 € - 170.3 ffr. / 501 pages ISBN : 978-2-7467-1185-3 FORMAT : 15cm x 23cm
L'auteur du compte rendu : Historien des relations internationales à Sciences Po Paris, Pierre Grosser est directeur des études de linstitut diplomatique du ministère des affaires étrangères. Imprimer
Enfin une nouvelle grande enquête de lInstitut dHistoire du Temps Présent ! Son réseau de correspondants départementaux présente un tableau kaléidoscopique sur limpact de la guerre dindépendance algérienne sur la France métropolitaine. Les contributions sappuient sur des sources classiques (la presse locale), mais aussi sur des rapports des Renseignements généraux et sur la documentation ayant servi à la constitution du fameux fichier Z, destiné à regrouper au niveau national les renseignements sur les «militants nationalistes».
Comme toujours dans ce genre dexercice, les contributions sont dintérêt inégal. Toutefois, dans cette enquête nationale, le fait que certains départements naient connu quune faible activité politique ou policière, et un faible intérêt des journaux pour les évènements en Algérie, est en soi éclairant. Les chevilles ouvrières de louvrage, les historiennes reconnues Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault, ont évité lécueil de linventaire département par département, et ont organisé louvrages en fonction de thématiques : le faible écho de la guerre dans une France encore très rurale, les milieux concernés politiquement au niveau local (ce qui permet de sortir des sempiternelles exégèses des positions des grandes figures intellectuelles et politiques), les modes dengagement (à la fois pour sopposer à la guerre et dans lOAS), les formes de répression et denfermement, et enfin le traitement des Algériens en France et des réfugiés.
Politiquement, la presse locale semble très suiviste à légard des politiques menées en Algérie. Les autorités ont veillé moins à mobiliser les esprits pour soutenir leffort en Algérie quà empêcher les critiques, notamment lors des obsèques de soldats avec une certaine flexibilité. La contribution sur les parrainages de villes ou darrondissements algériens est très neuve ; ils furent en effet très nombreux, montraient toutes les contradictions du rapport à lAlgérie, ne générèrent guère de flux financiers, et seffacèrent dès 1961. Les cercles intellectuels pour la paix (université de Caen, école normale de Chartes) ont eu moins dimpact que des mobilisations ouvrières dans le Nord. Les socialistes ont été divisés sur le plan local (ainsi dans les Ardennes). Les tentatives de coup de force des militaires ont été réprouvées et mené à la constitution de comités antifascistes. L«abandon» de lAlgérie a provoqué lengagement de notables traditionnels dans lOuest, souvent nourris didées maurrassiennes, détudiants dans le Sud, et de poujadistes. Plusieurs contributions donnent des éléments pour ce qui pourrait devenir une histoire de la vie quotidienne des Algériens (lévolution du vocabulaire pour les qualifier est en elle-même significative) en métropole durant la guerre dAlgérie. Surveillance serrée (reproduisant les pratiques coloniales, notamment pour les harkis), relations parfois difficiles avec le FLN, faible désertion des mobilisés, conditions dinternement, etc.
Bref, des apports très concrets, qui sont un jalon pour une étude plus large de la France pendant la guerre dAlgérie qui serait la bienvenue. Une grande conclusion aurait déjà été souhaitable, sur le rapport à la guerre et aux colonies à laube des années 1960. On regrettera surtout quil ny ait pas de travail spécifique sur la Corse (département important durant cette période), et plus de travaux portant sur les départements comprenant une proportion élevée de population nord-africaine.
Pierre Grosser ( Mis en ligne le 22/09/2009 ) Imprimer |