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La fin des mineurs sous le regard d’un photographe
Maurice Bedoin   Jean-Claude Monneret   Corinne Porte   Jean-Michel Steiner   1948 : les mineurs stéphanois en grève - Des photographies de Léon Leponce à l'Histoire
Presses Universitaires de Saint Etienne - Objets de patrimoine 2011 /  32 € - 209.6 ffr. / 504 pages
ISBN : 978-2-86272-599-4
FORMAT : 21,9cm x 29cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur honoraire de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Dans le cadre du GREMMOS (Groupe d’Etudes et de Recherches sur les Mémoires du Monde Ouvrier Stéphanois) fondé en 2007, qui rassemble des archivistes, des géographes, des historiens et des sociologues, et dont le but est de sensibiliser les habitants de la région de Saint-Étienne à la mémoire et à l’histoire du bassin houiller, en créant un site web, en recueillant des témoignages oraux, en organisant des journées d’études, quatre chercheurs, Maurice Bedoin, Jean-Claude Monneret, Corinne Porte et Jean-Michel Steiner, ont repris l’ensemble des clichés de Léo Leponce. Ce fonds Leponce avait été déposé aux Archives municipales de Saint-Étienne. Pour la première fois, ces 123 clichés qui couvrent la guerre des mineurs (4 octobre-29 novembre 1948) sont présentés dans leur ensemble (et pas uniquement les clichés publiés dans la presse).

Une introduction de Sylvie Lindeperg (professeure des Universités, Paris I Sorbonne) pose le sujet : «La grande grève des mineurs d’octobre et novembre 1948 est un événement paradoxal : elle ne fit l’objet d’aucune construction mémorielle ni d’aucun récit institutionnel et est évoquée chichement par les historiens du parti communiste français ; c’est pourtant un jalon d’importance dans l’histoire de la représentation du mineur qui a marqué de façon indélébile ceux qui en furent les acteurs ainsi que leur descendance» (p.13).

Avant de décrire les objectifs des auteurs, soulignons la qualité du travail éditorial : un épais volume (503 pages), les reproductions des 123 clichés en noir et blanc et un bel appareil critique en annexe : sources, bibliographies, chronologies, petit lexique de termes spécifiques, parcours biographiques et table des illustrations.

Qui se souvient de la grève des mineurs de l’automne 1948 ? A dire vrai, peu de monde, pour au moins deux raisons que donnent les auteurs de ce beau travail : l’attention des politiques, de l’opinion publique, et celle des historiens se sont en général centrées sur l’année précédente : 1947 et les grands conflits de l’automne dans un contexte de début de guerre froide. La seconde raison tient, selon eux, plus généralement au fait que l’intérêt pour les grèves en tant que telles, en tant que fait social, est moindre que pour d’autres manifestations de conflit social (par exemple, on s’intéresse davantage aux manifestations de 1968 qu’aux grèves qui les ont accompagnées). Or 22000 mineurs ont été mobilisés dans le bassin stéphanois, durant 7 semaines, deux d’entre eux sont morts de balles reçues, 4000 soldats ont été envoyés sur place depuis des bases françaises, algériennes et allemandes, ainsi que des CRS, des gardes républicains et des gendarmes. Les tensions ont été fortes, les affrontements violents, dans un conflit qui faisait l’objet d’une solide préparation de la part des comités de grève élus dans chaque puits, aux lendemains de l’échec de la grève de 1947. Autour des grévistes : une large mobilisation de soutiens, avocats, chrétiens progressistes, etc. Des fonds sont même venus de Hongrie et de Tchécoslovaquie.

Dans le cas précis de cette grève d’octobre-novembre 1948 à Saint-Étienne, le matériau exceptionnel offert par la conservation des clichés de Léon Leponce permet de revenir sur cette grève avec un regard neuf. Léon Leponce est né en septembre 1893 à Saint-Étienne, fils unique d’un armurier belge et d’une couturière nivernaise. Après deux années à l’Ecole régionale des Arts Industriels de Saint-Étienne, il est sans doute placé comme apprenti chez un photographe. Sa vie durant, il exerce le métier de photographe à Saint-Étienne (il s’installe en atelier en 1923), et laisse un fonds abondant de clichés tout à fait remarquables pour qui s’intéresse à la vie stéphanoise des années 30 aux années 60.

Plus de 10000 plaques photographiques en verre, et autres négatifs souples et documents que ses héritiers ont vendus aux Archives municipales de Saint-Étienne entre 1973 et 2009. Au recensement de 1931, il se déclare comme «patron», il prend sa retraite le 25 février 1961 et meurt à Saint-Étienne le 2 avril 1969. Depuis 1933, il a une carte de photographe de presse et est officiellement reconnu comme reporter-photographe en 1941. De septembre 1944 à juin 1956, il exerce au Patriote, journal communiste de Saint-Étienne. Il couvre inlassablement tout au long de sa vie de reporter-photographe les différents événements de sa région, festifs, sportifs, politiques, etc.

Leponce a probablement été un photographe engagé - ses commanditaires pour la grève de 1948 sont la Fédération du Parti communiste et la Confédération Générale du travail -, mais quelle est la part du militant dans son travail et peut-on l’évaluer ? Ces clichés ne sont pas «neutres» : ils sont choisis par le Patriote, tout comme le cadrage, les légendes, etc., ils donnent la lecture du conflit selon les organisations communistes dans une France de 1948 qui se remet doucement de la guerre et entre en guerre froide. Une partie de l’enquête historienne se joue d’ailleurs sur ce plan : pratiquer la critique interne des documents, les comparer avec d’autre sources, etc.

Les auteurs, après avoir posé les grandes lignes du projet et le théâtre des hostilités, partagent leur travail en deux parties : ''Des grévistes invisibles ?'', et en seconde partie ''Léon Leponce dans l’œil du cyclone'' et ''Léon Leponce, les grévistes et la presse''. Puis ils proposent en conclusion : ''Pour écrire une histoire de la grève de 1948''. Ils s’appuient sur le fonds Leponce des Archives municipales de Saint–Étienne. Cependant toute une partie de leur travail a été une enquête qui a duré 3 ans chez les survivants et leurs descendants ; enquête qui leur a permis de retrouver des photographies conservées dans les familles de mineurs, émouvants supports d’une mémoire familiale transmise, d’identifier les acteurs.

Si Leponce couvre le conflit pour Le Patriote, il n’est pas seul photographe sur les lieux  et des rapprochements sont faits avec le travail de J.-O. Choupin, qui, lui, couvre les événements du côté des forces de l’ordre. En reprenant les photographies une à une - certaines sont prises sur le vif, d’autres sont posées -, les auteurs reprennent le déroulement de la grève déclenchée par une atteinte au statut des mineurs, des décisions remettant en cause la tolérance relative à l’absentéisme et la gestion des caisses de secours. Grévistes et forces de l’ordre s’affrontent sur le contrôle des puits entre Firminy et Saint-Étienne (pp.29-46 : des photographies aériennes commentées font bien comprendre les lieux). Les photographies montrent tous les aspects de ces longues semaines : grévistes, soldats au repos, affrontements, manifestations, coupures de presse, un épais dossier documentaire qui rend compte de la complexité des événements. A Firminy, le 22 octobre, au puits Cambefort, une fusillade fait des blessés graves (Barbier, Goïo, Boulin, Faure), dont l’un, Antonin Barbier, décède dans les heures qui suivent ; c’est sur les funérailles de Marcel Goïo (mort trois ans plus tard des suites de ses blessures), le 22 décembre 1951, que s’achève le reportage. Finalement, les mineurs perdent, 3000 seront licenciés malgré le statut public des Charbonnages de France, plusieurs sont condamnés à des peines de prison (un congrès pour l’amnistie se tiendra à Paris les 28-29 mai 1949). Les funérailles des deux mineurs en 1948 et en 1951 sont organisées de façon spectaculaire et solennelle par le parti communiste, et durant quelques années ses dirigeants viennent se recueillir sur la tombe de Barbier et prendre la parole pour défendre la cause.

Pour chaque photographie, les auteurs ont fait un lent et patient travail d’historien : donnant la date précise, s’interrogeant sur les conditions dans lesquelles le cliché a été pris, identifiant les acteurs, mettant le cliché en perspective dans le cours des événements d’octobre-novembre 1948. Ils s’interrogent : «Ces clichés historicisent la grève de 1948 pour le bassin stéphanois. Il fallait le faire puisque aucune histoire n’existe à ce jour. Mais ces clichés nous invitent à nous interroger sur les représentations qu’ils véhiculent et sur celui qui les a produit. Léon Leponce était-il seulement un bon professionnel ? Un véritable artiste ? Avait-il l’âme d’un militant ? Comment travaillait-il avec le journal qui lui «commandait» des clichés ? Comment ce même journal a-t-il utilisé (ou n’a-t-il pas utilisé) les clichés qu’il rapportait ?» (p.330, C. Porte, J.-M. Steiner).

La seconde partie de l’ouvrage, moins centrée sur les clichés en tant que tels, replace la grève de 1948 dans l’histoire nationale des années 1944-1948. J.-M. Steiner s’efforce aussi de répondre à la question sur les qualités artistiques de Leponce et se résout à considérer qu’il a eu «un parcours très estimable, et historiquement irremplaçable, mais celui d’un homme qui sur le plan d’un accomplissement possible est resté à mi-chemin» (p.371). Ce jugement, sévère, ne nuit pas pour autant à l’intérêt du livre qui se place ailleurs : faire revivre un moment oublié et raviver une mémoire locale autant que nationale. Cette seconde partie ouvre les horizons et replace le conflit stéphanois de l’automne 1948 dans un cadre plus large.

Avec cet ouvrage, le lecteur suit les derniers jours du mineur héros de la classe ouvrière qui sera remplacé dans l’imaginaire national par le docker. Un livre tout à fait passionnant, beau travail d’histoire sociale, qui s’adresse certes en priorité à un public universitaire, ou encore stéphanois, mais qui, au-delà, peut intéresser par ce qu’il apporte à la fois à la réflexion sur la photographie en tant que telle, à son utilisation, et à l’histoire nationale des mouvements ouvriers.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 14/02/2012 )
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