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Les assassins sont parmi nous
Christian Rol   Le Roman vrai d'un fasciste français
Manufacture de livre 2015 /  19.90 € - 130.35 ffr. / 323 pages
ISBN : 978-2-35887-099-3
FORMAT : 14,5 cm × 21,0 cm

L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen.
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Le Roman vrai d’un fasciste français, c’est la vie (reconstituée par le journaliste écrivain Christian Rol) de René Resciniti de Says, dit Néné ou «L’Elégant» en raison de sa passion des fringues sur mesure de luxe. On pourrait à bon droit la sous-titrer : vie d’une tête-brûlée de la seconde moitié du 20ème siècle. Ce personnage inconnu du public, mais bien connu des services et ami de certaines célébrités, n’a pas joué un rôle historique majeur, même pas en homme de l’ombre dans le style d’un Vidocq : il ne fut d’ailleurs jamais retourné par la police, quoi qu’il semble s’être voulu en une occasion célèbre le défenseur de son «honneur». Il ne fut pas non plus un grand condottiere à la manière tardive d’un D’Annunzio, bien qu’il eût des références culturelles de ce type et admirât la classe des aventuriers de ce genre. Non dénué de culture littéraire, il ne sut pas mettre en scène sa vie, fût-ce en la dramatisant de façon emphatique, à la Malraux («vieux con gaulliste chevrotant», qu’il exécrait d’ailleurs). Homme à femmes, de bars à putes et autres bordels, il ne restera pas non plus comme un nouveau Casanova. Ravagé prématurément par ses mille vies dont il admettait qu’elles avaient été intenses mais au fond relevaient de mauvais romans noirs, vieilli aussi par le tabac et l’alcool, entretenu les dernières années par de fidèles ami(e)s, Néné le fauché flambeur est mort obscurément, mais entouré de l’affection et de l’estime d’un petit monde, hétérogène comme les hasards de la vie en réunit, principalement de droite nationale.

Petit monde venu lui rendre un dernier hommage avec le souvenir d’un homme étonnant, libre et provocant, parti avec une partie de ses secrets. D’un homme à la vie atypique ! Son cadet, Christian Rol, qui fut une de ses relations, pensait depuis quelques années à narrer cette vie extraordinaire en biographe mémorialiste, en journaliste enquêteur aussi. Car par-delà l’idiosyncrasie de Néné, l’histoire de cet aventurier méconnu met en lumière la face obscure de toute une époque. Dont il n’est pas encore temps d’ailleurs de tout révéler, si du moins on sait jamais tout du passé !

Fils illégitime mais reconnu d’un aristocrate italien décadent et d’une danseuse, «Renato» est un René très français, jusqu’au nationalisme, preuve vivante des vertus du droit du sol un peu paradoxale pour le disciple de Maurras que fut Néné! Il est surtout très jeune un dandy flambeur et frimeur très parisien, secteur des Champs Elysées, qui partage avec sa génération d’après-guerre les références commerciales anglo-américaines de cette nouvelle catégorie créée par le capitalisme atlantique : «l’adolescence». Plus cultivé que ne le laissent croire au début son accent parigot et son parler inspiré d’Audiard, il prend à contre-pied ses interlocuteurs étonnés par des fulgurances de pensée, un sens de la formule, des citations inattendues et opportunes et une assurance impressionnante. C’est aussi un cinéphile passionné et très sélectif. Lycéen turbulent et insolent des beaux quartiers, que son assiduité à éclipses oblige à redoubler sa terminale, il préfère les virées en moto et en boîtes aux salles de cours et aime les filles et la bagarre. Son héros : James Dean. Impossible de ne pas voir chez cet adolescent respectueux envers ses parents une forme de révolte et la blessure secrète, pudique, d’être le fils d’un officier paresseux, fruit des amours faciles d’un latin lover immature aux nombreux bâtards ; impossible aussi de ne pas voir que Néné reproduira le modèle de ce géniteur qui ne fut guère un père.

A ce dernier qui un jour tentant de faire le père responsable lui demande (un comble de sa part !) s’il va enfin décrocher son bac et se trouver une situation, l’adolescent ironique répond qu’il a l’intention de vivre intensément sans jamais travailler. Ce qui au fond éveille une profonde sympathie du père envers son fidèle rejeton, même s’il s’inquiète un peu que le garçon fréquente l’extrême-droite : ce qui ne mène à rien, contrairement aux réseaux bourgeois des affaires. En cette fin de présidence gaullienne, René se découvre en effet le virus de la politique et du militantisme radical : d’une droite musclée anti-communiste et anti-gauchiste, assez anti-démocrate aussi, conforme à son pedigree d’aristo jouisseur d’origine latine et d’éducation catholique, dont il trouve la synthèse dans l’Action française néo-maurrassienne. Car en mai 68, s’il les fréquente déjà, René n’est pas encore un «fasciste français» ! Mais il en partage déjà l’essentiel : anti-gaullisme, philo-pétainisme, bienveillance et compréhension envers les collabos (d’esprit latin-maurrassien !), admiration pour l’OAS, mépris de la droite bourgeoise libérale lâche et planquée (qui fait appel occasionnellement, et discrètement surtout, aux durs de l’extrême-droite pour casser la dynamique de la subversion de façon violente)… Certes René n’adhère pas au racisme et semble assez peu porté à l’antisémitisme : mais après tout, cette nouvelle extrême-droite européenne d’«Occident» a beau se réclamer de l’ordre nouveau des années quarante, elle a basculé (sauf Bardèche et Benoist-Méchin !) dans le soutien à Israël au moment de la Guerre d’Algérie. La seule aventure dont il sera fier jusqu’au bout : son engagement dans les années 70 au Liban du côté des milices de Gemayel, côté pro-israélien. D’ailleurs malgré sa coquette référence au nationalisme intégral et aux slogans désuets de Maurras, le jeune René prend conscience assez vite que sa génération est déjà européenne, même à l’extrême-droite. Elle est même depuis la Seconde Guerre mondiale dans la globalisation d’une internationale «noire».

Le livre se lit comme un roman, mais alternant avec les anecdotes plus ou moins cocasses et le portrait d’un genre de voyou au grand cœur, mercenaire et grande gueule, c’est la grande Histoire qui défile : celle de la Guerre Froide et des réseaux d’extrême-droite. On suit Néné au Proche-Orient, en Afrique et en Amérique latine ou encore en Italie des années de plomb. C’est l’époque de Gladio, du SAC, de Condor, d’assassinats de présidents et de ministres jamais élucidés (Aldo Moro !). Dossiers français du livre : le rôle de Néné et de ses amis au service de Jacques Baumel en mai 68 ; sa proximité avec Pierre Debizet et les services gaullistes ; sa rencontre avec Bob Denard. Mais aussi son rôle possible (revendiqué !) dans l’assassinat de deux personnalités connues des années 70 : Henri Curiel (personnage mystérieux, militant communiste pro-FLN très actif de la Guerre d’Algérie) et Pierre Goldman (délinquant devenu étudiant et écrivain «rebelle» en prison, figure romantique du jeune révolté victime de la société, devant logiquement la coqueluche de l’intelligentsia mondaine de gauche mais aussi probable assassin de deux pharmaciennes dans un braquage à main armée). Si Rol et ses interlocuteurs informés et avisés envisagent souvent l’hypothèse de la mégalomanie hâbleuse de Néné, sa participation ne relève pas forcément de la mythomanie. Conclusion provisoire : il y a des choses qu’on saura peut-être après la mort de Giscard !

Les assassins sont donc encore parmi nous. Et leurs secrets sont encore brûlants. Dans son livre, Christian Rol ose cependant évoquer certains d’entre eux, réveillant la mémoire de vieilles affaires pas si anciennes puisque de vieux messieurs ne tiennent pas trop à en raviver le souvenir. Pierre Fourniaud et sa maison d’édition ''La Lanufacture de livres'' ont d’ailleurs «le courage de publier», dit en remerciement l’auteur, qui était allé consulter préalablement son «cher ami Charles Pellegrini», grand flic en retraite mais très introduit et informé, pour obtenir un «feu vert» qu’il n’obtint pas… Quant au héros de ce roman vrai, lui non plus n’était pas chaud, mais il s’étrangla d’une tranche de gigot. Mourant médiocrement d’une fausse route par gourmandise, lui qui avait traversé les bastos toute sa vie et craignait de finir flingué par d’anciens collègues ne plaisantant pas avec la discrétion absolue sur les secrets de la boutique. C’est un thème récurrent de ce livre, repris successivement par plusieurs témoins, qui se cachent parfois derrière un pseudonyme. Pas seulement il est vrai pour échapper aux balles de tueurs et autres accidents jamais élucidés, mais aussi pour ne pas compromettre leur réputation dans leur milieu socio-professionnel ni embarrasser leur employeur : du coup, Christian Rol peut peindre avec un plaisir évident et un réalisme truculent la vie amorale et les liaisons sulfureuses de certain(e)s ex-jeunes des jouisseuses Seventies. Ce qui nous vaut des scènes de genre dignes d’un film avec Alain Delon, Lino Ventura, Mireille Darc, Michel Constantin, Bernard Blier et Maurice Biraud. Et avec des dialogues à la Audiard : façon Tontons Flingueurs. Un des charmes du livre.

On rencontre aussi au détour de l’enquête des personnages (pas toujours des inconnus) qui connurent Néné : Christian de La Mazière, Serge de Beketch, Dominique Venner, Bernard Lugan, Gilles Perrault, etc., dont les propos et la relation avec le héros éclairent autant sur ce dernier que sur eux-mêmes. Des figures secondaires mais intéressantes, emblématiques d’une époque révolue, mais qui apportent justement des éclairages sur le personnage et le contexte historique. Evidemment, entre hypothèses sans conclusions et pseudonymes (profils pas toujours identifiables pour le lecteur même cultivé, et c’est le but), le roman «vrai» a des allures de roman à clés et à scoops invérifiables porté par un style flamboyant ; un livre qui promet plus qu’il ne donne finalement. Et ça peut lasser après deux cents pages ! C’est sans doute la loi du genre. Mais cet exercice de style développe quelques pistes et montre au moins que le passé proche est plein de ce que Balzac appelait des «ténébreuses affaires».

Néné lui-même sur le tard avouait qu’il n’avait «pas eu le temps» ni l’habitude de réfléchir sur ses actes dans sa jeunesse guerrière (prisonnier qu’il était surtout de ses compulsions viriles) et qu’il avait sans doute parfois été manipulé : le jeune con avait finalement un peu mûri et commençait à gamberger ! Parfois un début de doute l’effleurait : ç’était sans doute plus compliqué que ça n’en avait l’air alors… Et entre-temps certes il avait dessoudé des mecs qui avaient peut-être des qualités et une part de vérité finalement ! Mais «sans haine», tenait-il à préciser. Et il se rassurait en pensant que de toute façon, c’était quand même des ennemis. A l’heure des bilans, il assumait sa cohérence (ou plutôt sa continuité) de croisé moderne de l’Occident, ses engagements anti-communiste, monarchiste et «maurrassien» ou sa fidélité de principe à l’Eglise catholique, chapelle intégriste préconciliaire. Ennemi bien sûr de la Théologie de la Libération, ne fréquentant guère la messe pendant sa vie, il se disait incapable de tuer un prêtre de gauche, encore moins dans une église. Il avait quand même respecté un code d’honneur. Autrement tout se serait effondré, et rares sont ceux qui peuvent se permettre les remises en question radicales.

Une vie donc pas très catholique, aux sens propre et figuré, même si elle se termina par des funérailles Action française à l’Eglise. Mais quoi qu’on pense de son parcours et de sa personnalité, il est une chose qu’on ne peut enlever à feu René Resciniti de Says : s’il tua, lui au moins risqua sa peau sur le terrain ; et si ses croyances étaient discutables, peut-être parfois ridicules, désuètes voire dangereuses, il mit ses tripes au service de sa cause à portée des fusils. Il voulut être un soldat et pas seulement un tueur. Ce n’est sûrement pas le tout de la morale, mais c’est déjà quelque chose de respectable dans une époque de bureaucrates de la mort et d’idéologues bavards planqués.

Quelques coquilles émaillent le livre qui, lorsqu’elles déforment des noms propres, peuvent semer la confusion chez le lecteur insuffisamment familier de la période. Ainsi : le célèbre journaliste du Monde Viansson-Ponté devenant «Vinson-Ponté» (erreur réitérée deux fois) ; le directeur Allen Dulles écorché en «Dulls» (p.218)… C’est dommage. Mais cela n’enlève pas son talent à l’auteur (un esprit polémique et libre lui aussi) ni son intérêt à un livre qui est une contribution utile, parfois brillante (lire les pages 250-251), à la sociographie de la France des quarante dernières années : la nôtre !


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 23/06/2015 )
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