| Marcel Albert L'Eglise catholique en France sous la IVe et la Ve République Cerf - Histoire 2004 / 30 € - 196.5 ffr. / 273 pages ISBN : 2-204-07371-7 FORMAT : 15x24 cm
Préface de Jean-Marie Mayeur.
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Nayez pas peur ! Cest par ces mots que Jean Paul II entamait un pontificat qui aura, comme dautres, profondément marqué un siècle de crises, crise politique et matérielle, mais aussi et peut être surtout crise spirituelle et crise institutionnelle (de lEglise sentend). Sil apparaît inopportun denvisager dès maintenant un bilan de laction de ce pape, il semble par contre tout à fait légitime de proposer une réflexion sur les rapports noués entre lEglise catholique et lEtat, de la Libération à nos jours, dans ce contexte de crise.
Cest lobjet de louvrage du père Marcel Albert, bénédictin allemand, historien, observateur attentif du catholicisme français. Cette histoire est scandée par deux tourmentes : celle de Vatican II et de laggiornamento catholique, celle de 1968 et de laggiornamento social français. Deux ruptures importantes, qui touchent lensemble des Français, catholiques et autres.
Une première partie porte logiquement sur les lendemains de la Libération, gérés de main de maître par la papauté - en particulier le nonce à Paris, un certain Mgr Roncalli, dont lhabileté (dans lépuration épiscopale particulièrement) et la mesure sont ici démontrées. Du reste, les relations entre la IVe république et la papauté sont plutôt bonnes, en partie grâce à des diplomates intègres (Maritain, dOrmesson) et des ministres dévoués. Il faut reconstruire un Etat en même temps quune Eglise nationale : il nest pas temps de lutter. Lheure est à une certaine ouverture médiatique (notamment par la création du Jour du Seigneur) et intellectuelle, mais surtout à de nouveaux problèmes (la décolonisation et ses ambiguïtés, le face à face avec le communisme et le mouvement des prêtres-ouvriers, lavènement de la jeunesse).
Ces prémices de renouveau et de crises annoncent une évolution, sinon une révolution. Devenu pape sous le nom de Jean XXIII, Angelo Roncalli engage lEglise à partir de 1959 dans une voie nouvelle, définie par une immense entreprise de centralisation romaine et de rénovation culturelle : le concile Vatican II. M. Albert ne fait pas ici directement le bilan du concile : il sagit plutôt dune évocation de la part française (notamment les apports de Congar, de Lubac et plus généralement de la «nouvelle théologie»), ainsi que de laggiornamento propre à la société et à la spiritualité française (célébration de lcuménisme, rénovation des rapports avec le tiers-monde, les laïcs). Moment décisif de lhistoire catholique du XXe siècle, Vatican II est un ébranlement, un «coup de tonnerre» dans un ciel troublé.
Le ciel français nest, du reste, pas serein : dans une Ve république balbutiante, aux prises avec lAlgérie (mais la décolonisation est traitée en bloc, en début douvrage), la contestation enfle et explose en 1968, effervescence que Mgr Marty semble accompagner dun étrange «Dieu nest pas conservateur» mal perçu. Or au même moment, lencyclique Humanae vitae provoque également quelque bruit dans lEglise : prêtres et fidèles sont parfois déstabilisés. La crise est patente et M. Albert en dresse un tableau efficace : crise du ministère sacré, de la paroisse, de lassociationnisme catholique en général (en particulier des mouvements de jeunesse)
tandis que en réaction - lintransigeantisme se manifeste avec une force nouvelle, ce traditionalisme qui pousse Mgr Lefebvre et la fraternité Saint Pie X au schisme et aux occupations déglise. Face à une société en mutation et en questionnement (sur lhomosexualité, le féminisme, le communisme démasqué), lEglise sollicitée en tant que force morale - doit répondre et sadapter. La pluralité des réactions atteste des difficultés de lheure.
Autre moment important, le pontificat de Jean Paul II, autant pour la rupture institutionnelle (avec un quasi monopole italien de la tiare) que pour ses résonances internationales, sinscrit dans une logique de fin de guerre froide et de décrispation idéologique de lEst (délicat euphémisme), qui touche la France comme le reste du monde. Acteur important de ce processus historique, Jean Paul II acquiert une aura qui dépasse la catholicité et qui redonne au terme même de catholique son étymologie première. En parallèle à lécho rencontré, en France par ce pape voyageur (6 voyages de 1980 à 1997), surnommé «lathlète de Dieu», lauteur constate un certain renouveau dans lEglise : rajeunissement de lépiscopat, développement de linstitution synodale, modernisation de la catéchèse. Par ailleurs, dautres phénomènes attestent du changement (post-conciliaire ?) : renouveau charismatique, clarification de «laffaire Touvier»
Avec Jean-Paul II, lEglise change de siècle. Sans aller toutefois trop loin dans lexamen de conscience dune institution qui flirte de plus en plus avec la rigueur, M. Albert souligne donc dans une dernière partie, intitulée «Perspectives», les limites du concept de crise.
Ce livre est un manuel utile car bien réalisé (malgré quelques scories, comme ce cardinal Henri au lieu dAlfred - Baudrillard), très synthétique et doté dune bibliographie fort riche. Chaque grande partie se découpe en de petits articles thématiques. Tous les sujets semblent abordés : culture, société, politique, théologie, spiritualité, liturgie
A cet égard, on peut tout à fait le rapprocher de lexcellente synthèse dirigée par J.-M. Mayeur (ici introducteur) : Lhistoire religieuse de la France XIXe-XXe (Beauchesne, 1975), quil prolonge dune certaine manière, quoique beaucoup moins problématisée. Il na pas pour ambition de tracer des voies nouvelles, de fonder une historiographie originale de la période (quoique, sur certains points), mais bien de clarifier une question dans son actualité. Avantage supplémentaire, louvrage laisse entrevoir les chantiers historiques qui demeurent (dans la limité des archives, bien évidemment) et semble donc tout autant destiné aux historiens désireux dune inspiration autre que divine, quà un public curieux de lévolution du catholicisme dans notre pays.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 14/10/2004 ) Imprimer
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