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Recycler l’extrémisme
Frédéric Charpier   Génération Occident - De l'extrême droite à la droite
Seuil 2005 /  22 € - 144.1 ffr. / 353 pages
ISBN : 2-02-061413-8
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte rendu : Raphaël Muller, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, est allocataire-moniteur en histoire contemporaine à l'université de Paris I.
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On les avait déjà croisé dans Génération, l’ouvrage d’Hervé Hamon et Patrick Rotman consacré à leur adversaires d’extrême gauche, on les retrouve en ce début d’année sous la plume de Frédéric Charpier dans un livre qui leur est exclusivement dédié : Génération Occident. Comme le souligne le titre, le lien entre les deux ouvrages, avec ici l’histoire des groupuscules, mouvements et autres partis d’extrême droite des années 1950 aux années 1980 est explicite, Patrick Rotman étant d’ailleurs l’éditeur de ce livre.

On retrouve le style alerte, le souffle épique qui fontt la force de Génération mais cette fois les héros se nomment Alain Madelin, Alain Robert, Patrick Devedjian, Gérard Longuet, Xavier Raufer, ou encore Pierre Sidos, Dominique Venner, François Duprat et non plus Henri Weber, Daniel Cohn-Bendit, Robert Linhart ou Benny Lévy… La méthode adoptée peut surprendre : en effet, l’auteur opère bien plus en journaliste d’investigation qu’en historien des idées, n’hésitant pas à citer longuement des documents en sa possession, qui n’apportent souvent pas grand chose à la compréhension des faits. Mais à vrai dire l’histoire d’Occident relève-t-elle vraiment de l’histoire des idées ? Existe-t-il une idéologie Occident ?

Au cœur de l’ouvrage, donc, Occident, créé en 1964. Ses fondateurs, parmi lesquels Alain Madelin, Gérard Longuet, Alain Robert et quelques autres, sont issus de la Fédération des Etudiants Nationalistes, mais contestent l’orientation donnée au mouvement par les chefs du mouvement, Dominique Venner et Alain de Benoist : ils refusent le renoncement à l’activisme, n’acceptent pas le rejet du christianisme, la critique de l’armée, le ralliement à une nouvelle patrie européenne. Au cœur de leur programme, un retour au nationalisme d’extrême droite le plus traditionnel, sans grande originalité, la volonté d’en «finir avec le régime», de «rendre sa grandeur à la France», de «placer l’homme dans son cadre normal : la famille, la profession, la province, la nation». Volonté aussi d’abolir «le suffrage universel, néfaste aux intérêts de la nation» et de combattre «les ennemis de l’intérieur» parmi lesquels on distingue «les puissances financières», «les francs-maçons», et bien entendu les «métèques» et les «marxistes au service de l’étranger». Mais, à vrai dire, plus que par son originalité idéologique ou la finesse de ses doctrinaires, Occident se fit surtout remarquer par son activisme : la violence – dirigée contre les deux ennemis principaux : les militants de gauche et le régime gaulliste - fut le principal trait caractéristique du mouvement, le noyau dur de sa «pensée».

Si les chahuts organisés au théâtre de l’Odéon en 1966 au cours des représentations des Paravents de Jean Genet, pour protester contre l’outrecuidance de l’auteur qui s’était permis de tourner l’armée française en ridicule, pouvaient passer pour relativement bon enfant, à condition d’oublier les propos haineux lancés contre le dramaturge, il n’en allait pas de même de l’expédition, beaucoup plus dramatique, lancée, en janvier 1967, contre le «comité Vietnam» de la fac de Rouen. Minutieusement préparé – Patrick Devedjan qui avait loué la camionnette destinée à acheminer les militants-casseurs n’aurait pas fait partie du voyage contrairement à Alain Madelin -, ce raid fut d’une violence extrême. Serge Bolloch, alors militant de la JCR, se retrouve dans le coma après avoir reçu sur la tête un coup de clé à molette. Ce sanglant fait d’arme marque le début du déclin d’Occident. Peut-être discrètement épaulée par les services secrets, la structure survit jusqu’à sa dissolution par le pouvoir à l’automne 1968. Entre temps, Occident est passé à côté de mai 1968, même si certains de ses militants n’hésitèrent pas à affronter les forces de l’ordre aux côtés des étudiants.

Après la fin d’Occident, de nombreux cadres, parmi lesquels Longuet, Madelin, Devedjan, prennent du champ, et décident de devenir respectables. Ayant transité par l’Institut d’histoire sociale de Georges Albertini, personnage trouble spécialisé dans la propagande anti-communiste, Alain Madelin se rapproche des Républicains Indépendants de Giscard et participe activement à l’organisation de la campagne de 1974, au même titre que Xavier Raufer, autre ancien d’Occident. Gérard Longuet, lui, transite par le CNPF. Mais d’autres ne choisissent pas la voie de la respectabilité : Alain Robert décide de faire renaître Occident sous le nom d’Ordre Nouveau. Par la suite, dans les années 1970, au cours d’épisodes d’une complexité extrême, une myriade d’organisations, de groupements, de partis nationalistes se succèdent, se chevauchent, s’allient, se déchirent, dans un contexte marquée par l’émergence progressive du Front National de Jean-Marie Le Pen, qui parvient progressivement à prendre l’ascendant sur une bonne partie de ces groupuscules extrémistes cherchant beaucoup plus à marquer leur territoires qu’à diffuser leurs idées. Ce qui frappe, c’est que les contacts ne sont pas pour autant coupés entre les amis d’hier : pour gagner un peu d’argent, Alain Robert et les siens participent au service d’ordre des Républicains indépendants au cours de la campagne présidentielle de 1974.

Après la dissolution d’Occident, le récit et l’analyse deviennent un peu difficiles à suivre, tant sont nombreuses les querelles de chapelle, mais cette période suscite surtout une interrogation doublée d’un malaise. Comment comprendre que les militants archi-violents des années 1960 aient pu devenir dans les années 1980 et 1990 des personnalités politiques influentes ? Car, ne nous leurrons pas, la notoriété posthume d’Occident doit beaucoup à la carrière des personnalités politiques qui en sont issues. Mais au-delà des cas emblématiques de Longuet, Madelin et Devedjan, comment comprendre que de jeunes nationalistes aient pu faire d’aussi brillantes carrières dans les cabinets ministériels ou préfectoraux ou dans les médias (de Valeurs Actuelles à Télé 7 Jours) ? Charpier décrit les étapes du recyclage des anciens d'Occident – passant notamment par les cercles albertiniens - mais leur réussite reste stupéfiante et difficile à comprendre. Non seulement leur passé ne leur a pas nui, mais il semble même les avoir aidé à gravir les degrés du cursus honorum.

Il faut en effet s’étonner que les plus hautes charges de la République aient été confiées à des hommes qui rêvaient d’abattre ce régime honni et d’envoyer «De Gaulle au poteau». Nul n’est certes tenu de rester fidèle aux "idéaux" de sa jeunesse et rien ne permet de douter de la sincérité de la conversion démocratique des anciens d’Occident, mais doit-on oublier qu’en guise de programme politique, ces hommes ont fait rimer militantisme politique - fût-il de droite - avec conservatisme réactionnaire, xénophobie haineuse, et surtout avec une violence délibérée, assumée, recherchée?...


Raphaël Muller
( Mis en ligne le 15/03/2005 )
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