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La non objection de conscience
Isabelle Sommier   Jean Brugié   Officier et communiste dans les guerres coloniales
Flammarion 2005 /  23 € - 150.65 ffr. / 434 pages
ISBN : 2-08-210048-0
FORMAT : 15x23 cm

L’auteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris.
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Officier et communiste est le récit d’une vie, celle de Jean Brugié, officier dans l’armée française, envoyé en Indochine puis en Algérie, et pourtant communiste de cœur et de conviction. Militaire et militant, quand l’armée est violemment anticommuniste, quand le Parti est foncièrement antimilitariste.

Il ne s’agit cependant pas d’une autobiographie : c’est Isabelle Sommier, politologue spécialiste de la violence politique, qui se charge de la mise en récit de la vie de celui qu’elle désigne comme un «oxymore vivant». Après des heures de conversation, à l’appui d’un nombre considérable d’archives personnelles que Brugié a lui-même constituées, par ses notes, ses journaux, ses collectes de documents (un fond d’archives privé d’une grande richesse dont on ne peut qu’espérer qu’il soit un jour communicable !), mais également en menant quelques recherches complémentaires aux archives de l’armée, Isabelle Sommier rapporte la vie de l’officier, tout en se chargeant de l’éclairer par des mises en perspectives historiques et des essais d’interprétations.

La vie de Jean Brugié est fascinante, de bout en bout. Fils d’un officier plutôt à gauche, et d’une mère superficielle et peu aimée, écartée d’un revers de la plume, il rejoint en 1943 la Résistance : il a dix-sept ans. Après une année dans le maquis, entre ennui et chapardages, il est un de ces partisans qui intègrent en 1944 l’armée régulière pour accomplir la Libération, en France puis en Allemagne. Il se rapproche alors du communisme, si important dans la libération et dans la lutte antifasciste. De retour en France, il bénéficie de l’ouverture de la nouvelle école d’officier de Saint-Cyr Coëtquidan. Il s’y frotte à la morgue élitiste des élèves officiers entrés par la voie des concours, se confronte à un milieu hostile à ses valeurs ancrées à gauche. Mais il croit à une possible rénovation, à la naissance d’une armée républicaine de soldats citoyens. A l’école il joue les trublions, les provocateurs, laissant ostensiblement traîner L’Humanité dans sa chambre, discutant, s’affrontant avec ses camarades. Du communisme, il ne sait pas grand chose. Pour lui, c’est le parti de la résistance, le parti des fusiliers. Alors il se renseigne, il lit. Toute sa vie Jean Brugié lira, se formera, se construira une culture politique.

Au sortir de l’école, il est officier. Cela lui interdit de s’affilier ouvertement au parti, mais non de militer, et le voilà qui s’illustre en faisant du porte-à-porte pour faire signer l’appel de Stockholm. Il parvient à résoudre son «oxymore» à coup de petites provocations, ce qui devient de plus en plus délicat alors que l’anticommunisme va croissant dans la France – et plus encore dans l’armée – de la Guerre froide. Mais le début des guerres de décolonisation, ces «sales guerres», l’oblige à de douloureux cas de conscience. Faut-il partir en Indochine, combattre le Viêt-minh communiste, s’engager dans une guerre injuste et qu’il réprouve ? La question est posée encore à son retour d’Indochine : il est affecté en Afrique du Nord, en Tunisie d’abord, puis en Algérie. C’est sous la pression du parti qu’il part, pour lutter contre la guerre au sein de l’armée, ouvrir les yeux des autres soldats, relayer les thèses anticolonialistes, faire un «travail de masse», mais également éviter les exactions, les violences, et les dénoncer à l’opinion publique.

On suit ainsi Jean Brugié dans ses diverses affectations, parfois à l’abri – à l’écart – des combats, parfois au cœur. L’officier a tout connu : le corps à corps, la guérilla, la guerre psychologique ; le contact avec la population locale, avec les colons, avec les nationalistes. Excellent militaire, mais toujours officier républicain, soucieux des populations civiles, du respect de la convention de Genève. À deux reprises, il se pose en défenseur de la République, en 1958, dans les tourmentes de la crise du 13 mai et du retour de De Gaulle, puis à nouveau en 1961, lors du putsch. Et puis il renseigne, inlassablement, par codes, le parti sur ces guerres qu’il mène et qu’il condamne. Il est ainsi lié avec le «groupe de Versailles», d’anciens officiers de la Résistance, communistes restés dans l’armée pour certains, pour beaucoup condamnés, ou écartés par l’institution, et réunis derrière la figure emblématique de Rol-Tanguy. Jean Brugié est perpétuellement mis sous surveillance, inquiété, éloigné. Mais jamais il ne fut démis, et jamais il ne démissionna.

En 1966, à quarante ans, il est libéré de ses engagements : il prend aussitôt sa carte du parti communiste. Quelques années plus tard, il est élu municipal d’Arcueil et expert au parti sur les questions d’armement – mais surtout de désarmement - nucléaire. Quand, à la fin des années 70, le parti opère un revirement complet et décide de soutenir l’arme atomique, Brugié crie haut et fort son désaccord. Il sera exclu d’un parti dans lequel il ne se retrouvait plus de toute façon. Au cours des années 80, on le retrouve avec les communistes refondateurs, dans le sillage de l’extrême gauche, toujours actif militant.

Le récit de la vie de Jean Brugié nous fait d’abord découvrir un homme, passionnant, éminemment sympathique, une vie à part. Il nous accompagne ensuite dans les tribulations d’une armée dans la tourmente, dans les soupentes du communisme français. Quiconque s’intéresse à l’histoire de l’armée, de la résistance, de la décolonisation, du communisme, de l’extrême gauche sera sensible à cette singulière trajectoire. On pourra cependant déplorer que par son style désespérément plat, par le mauvais équilibre établi entre les récits biographiques et les «fiches d’Histoire» (lesquelles sont parfois inexactes, sans parler de quelques erreurs inexcusables, comme l’utilisation d’une source de 1956 pour décrire la situation en 1946, ce qui fait intervenir des poujadistes au lendemain de la libération !), le récit n’ait en partie desservi l’intérêt de son sujet.


Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 06/05/2005 )
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