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Chirac et son supplément d’âme | | | Bernard Billaud D'un Chirac l'autre Editions de Fallois 2005 / 22 € - 144.1 ffr. / 537 pages ISBN : 2-87706-555-3 FORMAT : 16x24 cm Imprimer
On sent la fin de règne : les biographies, témoignages et enquêtes diverses commencent à se multiplier sur un personnage qui fascine autant quil intrigue ou exaspère, et sur une carrière politique historique. Avec Bernard Billaud, les amateurs de coulisses et de secrets du prince vont se régaler. Quon en juge : lauteur, issu de la cour des comptes, a été pendant neuf années un conseiller écouté de Jacques Chirac, comme Premier ministre puis comme maire de Paris (il en fut alors le directeur de cabinet). A travers cet ouvrage, relecture informée dun journal tenu alors, Bernard Billaud entraîne son lecteur, au rythme de la foulée rapide de Jacques Chirac, dans diverses manifestations, conciliabules, négociations et analyses qui témoignent non seulement de la dimension religieuse de laction politique, mais aussi de sa dimension personnelle, au vu du rapport quasi féodal qui existe entre le «prince» et ses conseillers.
Auditeur à la cour des comptes, Bernard Billaud est avant tout un homme de convictions, notamment religieuses. Proche de Jean Guitton son cicérone en politique et de Georges Bidault, modèle revendiqué, il se retrouve en 1976, après deux années passées à la villa Bonaparte (lambassade de France près le Saint Siège), intégré au cabinet Chirac, afin, officiellement, de veiller sur la langue française
Dans les faits, il est surtout le «Mr religion» de Chirac (bien quil se défende de ce titre par trop journalistique), en charge de gérer les affaires religieuses, dinspirer le Premier ministre (et lhomme politique) et de lui rédiger notes et correspondances. Et lactualité est riche : on le voit demblée jouer un rôle discret dans laffaire du schisme de Mgr Lefebvre et de la fraternité saint Pie X et notamment pour la «prise de Saint-Nicolas du Chardonnet», rôle de médiation entre lEglise et les traditionalistes (envers lesquels il éprouve une indéniable sympathie, non sans partialité). Haro sur «les gauchistes de lEglise» (en accord avec un Chirac plus éloigné quaujourdhui de la théologie de la libération !). On y croise ainsi un Chirac sensible au magistère pontifical et à son rayonnement, mais parfois hésitant entre plusieurs logiques (politique et religieuse) : Bernard Billaud montre les difficultés éprouvées par le jeune maire de Paris à se faire recevoir par Paul VI, ses démêlés avec lépiscopat et, en général, ses rapports avec les religions. Cela ne va dailleurs pas sans ambiguïtés, Chirac se reposant à un tel point sur son conseiller quil lui fait même rédiger une profession de foi pour un ouvrage collectif : le lecteur, comme lauteur, se prend à douter de la sincérité de lhomme politique, dont la foi même, sentiment intime, devient laffaire dune tierce personne. Affaire de complicité pourrait-on dire en guise dexplication, mais aussi sentiment que, tel Janus, Chirac offre plusieurs visages, tous sincères : combien de personnalités faut-il assumer pour représenter dignement la nation ?
La dimension religieuse nest toutefois pas la seule à être envisagée dans ce journal dune réelle richesse pour lhistoire politique contemporaine. Des affaires scolaires aux questions de mémoire (et notamment la mémoire de lAlgérie française et de ses partisans, via les projets damnistie ou encore les entretiens avec Bidault), Billaud écoute, suggère, participe à la construction du RPR et surtout du candidat Chirac, aux côtés des célèbres duettistes Marie-France Garaud et Pierre Juillet (des manipulateurs manipulés ?), mais aussi de Jérôme Monod, autre éminence prometteuse au regard critique. On laura compris, louvrage dresse un portrait de Jacques Chirac en «animal politique», plus intuitif que raisonné, plus tacticien quidéologue, plus pressé quattentif, mais aussi parfois plus humain que «politicien». Avec des aveux étranges, comme cette défiance à légard des origines gréco-romaines de lEurope (ne parlons pas des origines chrétiennes, dont le président est un adversaire résolu), ou encore cette indifférence aux débats de lhistoire récente. Face à lui, Bernard Billaud passe par tous les stades du croyant : fascination, confiance, foi, doute, agnosticisme puis rejet. On sent dans son journal une tension croissante face à un personnage dont la désinvolture et lopportunisme le foudroient parfois, mais dont le charisme indiscutable demeure. Le parallèle esquissé avec la fascination éprouvée par Chirac pour Pompidou est une autre clef pour comprendre la relation entre les deux hommes, relation qui sachève sur une désillusion terrible. Et le lecteur de découvrir combien les gouvernants sont des assistés, se reposant opportunément ou exagérément sur une armée de conseillers aux opinions diverses, au risque de laisser les convictions se diluer dans la bureaucratie. Un constat troublant : la «pensée» chiraquienne demeure insaisissable après une lecture qui en dit plus sur Bernard Billaud (et sur les convictions quil prête à Chirac) que sur son «patron».
Louvrage est passionnant, servi par une belle plume, et la référence, dans le titre, au roman de Céline et à ses exils de lendemains de guerre, est suggestive. Le domaine religieux, en dépit dune actualité récente plutôt exacerbée, est rarement analysé du point de vue des grands commis de lEtat : avec Bernard Billaud, on croise enfin lun de ces conseillers qui reformulent au quotidien la célèbre devise du constituant Camus - «LEglise est dans lEtat, lEtat nest pas dans lEglise» - au service dune individualité originale, énervante et attachante à la fois. Un récit intéressant et un document remarquable, aux vertus historiques, à compléter par une bonne histoire de la vie religieuse contemporaine (aux éditions du Cerf, les récents ouvrages de G. Cholvy et J-M Hilaire, ou encore du père M. Albert). Peut être aussi, en creux, une interrogation sur limpossible conviction dans un monde politique où aucun chemin ne mène à Damas.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 09/05/2005 ) Imprimer
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