| Julie Urbain Marie-Louise De Roeck Paul Lootens Tutti cadaveri - Le procès de la catastrophe du Bois du Cazier à Marcinelle Aden - Epo 2006 / 22 € - 144.1 ffr. / 277 pages ISBN : 2-930402-21-0 FORMAT : 16,0cm x 20,0cm Imprimer
Le 8 août 1956, 262 hommes de douze nationalités différentes périssaient au charbonnage du Bois du Cazier à Marcinelle, en Belgique. Cette date reste dans la mémoire ouvrière comme lune des pires tragédies de lhistoire des Gueules noires en Europe. Au-delà de londe de choc émotionnelle quelle suscita, une polémique sensuivit, à propos des responsabilités à chercher principalement au niveau patronal.
Louvrage collectif que lui consacrent les Éditions Aden nous replonge au cur de laffaire, en particulier de son instruction judiciaire qui naboutit quà de dérisoires dédommagements, sans que justice soit réellement rendue aux victimes, directes ou indirectes, de la catastrophe. La dénonciation dun système dexploitation dégradant fut à lépoque étouffée par les pesants débats dexperts et le jargon technicien des ingénieurs. Et le public, après sêtre captivé au beau milieu de ses vacances pour le sordide feuilleton de la remontée des corps, eut tôt fait de ne plus sen soucier. Trois ans plus tard, seuls de rares entrefilets dans les journaux feront écho du verdict des juges à lencontre des cinq inculpés : non coupables. Qui leût cru ?
Lintérêt est de laisser ici alterner trois regards sur un même événement. Il y a dabord lapport de larchiviste passionnée, Marie Louise de Roeck, qui sest attachée à réunir les documents originaux et à recueillir les souvenirs des ultimes survivants ; ensuite, la contribution de la jeune historienne Julie Urbain, resituant avec grande clarté le contexte du drame (bilan économique du pays au tournant de laprès-guerre, politiques dimmigration concernant la main duvre majoritairement italienne, fondation et développement du Bois du Cazier, relation détaillée des enquêtes et du procès) ; enfin, lapproche engagée du syndicaliste, Paul Lootens, qui a élargi sa conclusion à la vaste problématique de la législation sur laccident de travail.
Le tout offre une étude dune grande richesse, souffrant peut-être de légères redites, mais irréprochable quant à lexhaustivité des pièces du dossier rassemblées. La douleur nest pas exclue de ces pages, notamment de celles où la parole est donnée aux témoins, pour exprimer leur impuissance, leur insondable désarroi. Elle cède rapidement la place à la révolte, quand par exemple on revient sur le cas Gastone Lodolo, qui, pour lavoir «un peu trop ouverte», se vit arbitrairement arrêté puis expulsé de son généreux pays daccueil.
Tutti cadaveri est donc bien mieux quune stèle commémorative : cest un outil de réflexion, qui nous prouve que le passé nest jamais vraiment lettre morte. Sans de telles remises en perspective, où la rigueur le dispute à lhumanité, certains faits divers se résumeraient à quelques photos de femmes en noir, agrippées à un portail, pressentant que leur deuil se trame à 1000 mètres de fond.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 11/09/2006 ) Imprimer | | |