| François Roth Robert Schuman - Du Lorrain des frontières au père de l'Europe Fayard 2008 / 28 € - 183.4 ffr. / 656 pages ISBN : 978-2-213-63759-4 FORMAT : 14cm x 22cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Robert Schuman est une figure majeure de la construction européenne, que lon retrouve dès 1950, au sein des pères de la CECA. Lhomme est connu, mais semble parfois figé dans cette icône de «lEuropéen» dont on honore la mémoire sans forcément mesurer la portée, révolutionnaire à lissue de la Seconde Guerre mondiale, de sa politique. Et cest tout lintérêt de la solide biographie proposée par le professeur François Roth, que de restituer le personnage dans son contexte, et cela au sens géographique (le Rhin, la Lorraine, la frontière
) autant quaux sens social et historique du terme.
On pourrait partir dune légende infamante, lancée par Jacques Duclos, celle du «capitaine boche», pour décrire les débuts de Robert Schuman, qui ne fut français quà 32 ans, en 1918. Un Lorrain, mais pas sur le modèle Poincaré du patriote intransigeant. A cet égard, il serait plus en phase avec un homme de lintérieur, un Nantais, Aristide Briand, homme douverture et de conciliation. On pourrait également le rapprocher dun Alcide de Gasperi, autre père fondateur italien de lEurope, qui débuta sa carrière politique dans les parlements autrichiens. Robert Schuman a commencé sa vie comme citoyen allemand, sans états dâme. Ce nest certes pas un héros pour Mme Fouillée, lauteur du Tour de la France par deux enfants. Enfance, éducation, études supérieures de droit et une carrière davocat-avoué prometteuse sur les marges du Reich, à Metz. Après la Première Guerre mondiale, il se retrouve français, et entame une carrière politique qui va bientôt laccaparer. Immergé dans une région et dans des réseaux catholiques locaux, Robert Schuman est dabord un homme de terrain, un baron local qui sait se faire apprécier et qui, même dans laprès Seconde Guerre mondiale, neut pas à craindre grand chose des nouvelles élites politiques. Une carrière lorraine, placée résolument à droite, aux côtés de Poincaré puis du MRP, et surtout proche de lEglise.
Car Robert Schuman est avant tout un catholique engagé, un homme seul qui aura hésité entre la contemplation et laction (avec tout ce que cela suppose en terme de réseau social et de couverture médiatique, ou de combats politiques), et ce des deux côtés de la frontière : en cela, il incarne un christianisme daction catholique à léchelle européenne (daucun dirait une «internationale noire»), qui se nommera un jour la démocratie-chrétienne. Sans renier une identité française parfois persécutée (notamment durant la Seconde Guerre mondiale, quil subit caché), il ne sillustre pas comme résistant (ce que de Gaulle ne lui pardonnera jamais) et ségare même un temps du côté de Vichy, illustrant ainsi la complexité des trajectoires dans la France défaite. Cest donc à laprès-guerre que lhomme trouvera toute son ampleur : reconnu comme spécialiste des questions de réfugiés et des affaires allemandes, il fait une rapide ascension institutionnelle qui le propulse au quai dOrsay, puis à Matignon (mais il refuse lElysée)
et aux commandes du projet européen, via la CECA. En tête : la réconciliation franco-allemande.
Et de fait, lAllemagne est un autre personnage de cette biographie, un personnage loin dêtre secondaire : de la question de la Sarre aux relations avec Konrad Adenauer, en passant par le problème franco-allemand dans laprès guerre, on peut dire que louvrage constitue une bonne synthèse de tout ce qui fut longtemps un obstacle à la paix, et avec Dean Acheson, il faut savoir reconnaître à Schuman une volonté, ainsi quune capacité à sengager (et à croire en Jean Monnet) qui firent de lui lun des «pères de lEurope» (face à un Vincent Auriol plus que frileux, et un Quai dOrsay engoncé). Une paternité assumée, jusquà la présidence du mouvement européen et celle du parlement européen
Une carrière brillante, fruit paradoxal dune marginalisation nationale complotée par le pouvoir gaulliste.
Voilà une solide biographie, de facture classique, étayée des lectures, des archives (françaises et européennes, privées et publiques) et une connaissance érudite de la Lorraine germanique puis française. Une biographie qui vient à point pour les concours (CAPES et agrégation dHistoire et de géographie) mais qui montre également aux Européens blasés ce que fut vraiment la «construction» européenne et ses enjeux. Une biographie qui rappelle également à lamateur dhistoire politique et religieuse, à lheure où le centre, dinspiration démocrate-chrétienne, senlise dans une stratégie sans lendemains, ce que fut la démocratie chrétienne et quels furent les espoirs quelle porta. Une grande étude enfin dhistoire politique et régionale, qui démontre que le régional et le national (voire leuropéen) sont trop imbriqués pour être distingués. Cest cet ancrage qui est finement analysé par François Roth, lequel, dans un style sobre, sans fioritures mais avec par endroit - des analyses originales, livre un tableau convaincant, et dépoussiéré, de cet européen de naissance.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 07/10/2008 ) Imprimer
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