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''Prussianité'' et germanité
Christopher Clark   Histoire de la Prusse - 1600-1947
Perrin - Pour l'Histoire 2009 /  29.50 € - 193.23 ffr. / 777 pages
ISBN : 978-2-262-02684-4
FORMAT : 15,5cm x 24cm

Les auteurs du compte rendu :

Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.).

Jean-Pierre Sarmant est inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale.

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Plus de soixante ans après sa disparition, la Prusse reste présente dans les esprits si l’on en juge par le nombre d’ouvrages qui paraissent à son sujet. En 1947, lorsque les puissances victorieuses jugent indispensable de proclamer sa dissolution dans un document qui a tout d’une condamnation, la Prusse est unanimement considérée comme la source de la malédiction allemande. Son goût pour l’autoritarisme et l’obéissance sont alors censés avoir préparé de longue date l’effondrement de la démocratie et l’avènement d’un système dictatorial. Depuis les années soixante du XXe siècle, des historiens, principalement ouest-allemands, ont entrepris une réhabilitation de l’histoire prussienne en soulignant ses réussites : incorruptibilité de la fonction publique, tolérance à l’égard des minorités, excellence du taux d’alphabétisation…

Tout en se défendant de lire l’histoire de la Prusse du seul point de vue de cette controverse, l’auteur fournit des éléments d’appréciation tout au long de l’ouvrage. Choisissant de ne pas traiter du passé balte de la Prusse proprement dite (orientale), Christopher Clark choisit de débuter le récit au moment où le hasard et les alliances matrimoniales la réunissent sous l’autorité des Hohenzollern avec les territoires éloignés et disparates que sont le Brandebourg et quelques confettis rhénans.

L’exposé alterne des chapitres purement chronologiques, tels que «le temps des désolations», qui relate la Guerre de Trente ans, particulièrement dévastatrice pour des régions situées au croisement de toutes les lignes d’affrontement, et des chapitres thématiques. Ainsi, le chapitre «Les protestants» décrit la situation religieuse des XVIe et XVIIe siècles. On y note au passage les limites de la «tradition de tolérance» du Brandebourg-Prusse : les Hohenzollern se sont en fait résignés à tolérer le luthéranisme d’un peuple auquel ils ont cherché à imposer avec brutalité le calvinisme auquel ils s’étaient eux-mêmes convertis.

Le chapitre consacré à la politique étrangère de Frédéric II présente avec beaucoup de clarté le sujet complexe des alliances européennes ainsi que l’enchaînement logique des affrontements issus de la conquête de la Silésie. L’auteur s’élève contre des conceptions anachroniques de l’histoire, répandues à partir de la fin du XIXe siècle, qui ont présenté la Prusse comme investie dès le XVIIIe siècle d’une mission germanique «nationale». Pour ce qui est par exemple de l’annexion de la Prusse Occidentale, Frédéric ne cherche pas à la justifier par la présence de 54% de germanophones mais par la conviction de la réunir à des territoires mieux administrés que ceux restés sous domination polonaise. Les chapitres consacrés à l’histoire culturelle mettent en valeur les aspects divers sinon contradictoires de la «Prusse des Lumières», rejoignant ainsi Madame de Staël qui faisait observer que cet État avait, comme Janus, deux visages, l’un «militaire» et l’autre «philosophe».

Les chapitres consacrés au XIXe siècle mettent en relief la tension croissante entre le patriotisme prussien et un nationalisme allemand en plein essor, qui est à la fois utilisé et redouté par l’État prussien. Pour ce qui est de la «tolérance», par exemple à l’égard des minorités polonaises, la politique prussienne oscille entre des phases libérales, où le Polonais est reconnu comme langue administrative, et des tentatives de germanisation. C’est plutôt sur le plan religieux que se situent les affrontements. L’unification allemande n’a fait qu’aggraver les problèmes : si la situation de sujet polonais de la couronne prussienne pouvait être difficile, être allemand polonais devenait une contradiction dans les termes. Le XIXe siècle voit également se creuser l’écart entre la Prusse protestante des grands domaines à l’est de l’Elbe et la Prusse catholique et socialiste des villes industrielles. On peut ajouter que ce contraste Est-Ouest a été prolongé au XXe siècle par les quatre décennies de séparation de deux États allemands.

Le chapitre «Fondue dans l’Allemagne» est particulièrement riche. La question de la dimension prussienne du nationalisme et du militarisme dans le second Reich y est traitée de façon nuancée, en soulignant les éléments qui, à cette époque, ne sont pas particuliers à la Prusse, mais sans contester la légendaire arrogance collective de la caste des officiers prussiens. Pendant la Première Guerre mondiale, l’analyse des courriers des combattants révèle de nombreux jugements négatifs sur les Prussiens, formulés non seulement par des Allemands du sud, mais aussi par des «annexés récents», tels que les Hanovriens, et même par des Silésiens. Cette remarque vient appuyer un thème développé par l’auteur tout au long de l’ouvrage, celui de la permanente fragilité de la construction politique prussienne, malgré le caractère spectaculaire de son ascension.

Au sein de la République de Weimar, le gouvernement prussien, aux mains d’une coalition menée par les socialistes (SPD) et les catholiques (Zentrum), donne l’image d’une Prusse relativement démocratique au sein d’une Allemagne dont les autorités au niveau national sont nettement plus autoritaires. Ce gouvernement, qui maintient une situation d’État de droit qui est pour l’auteur une des véritables traditions de la Prusse, est déposé dès 1932 par un coup qui préfigure l’avènement des nationaux-socialistes.

Tout en retirant à la Prusse les attributs de son autonomie, les nationaux-socialistes exaltent une «prussianité» (Preussentum) mythique, conforme à leurs obsessions. Ils invoquent une histoire profondément déformée dans laquelle la Prusse, position avancée de la lutte contre les slaves, aurait été investie par la Providence d’une mission pangermanique. Pour le malheur de la Prusse, cette légende noire, venant s’ajouter aux jugements négatifs issus de la Première Guerre mondiale, a pleinement convaincu les Alliés et les a conduits à proclamer sa dissolution.

Le nom de Prusse a perdu tout usage officiel, et le cœur de l’ancien État porte aujourd’hui l’appellation de Land de Brandebourg. Seul subsiste le club de football «Borussia» de Bochum, dernier vestige de la Prusse rhénane.


Jean-Pierre et Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 10/03/2009 )
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