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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| Esther Benbassa Jean-Christophe Attias Collectif Dictionnaire des mondes juifs 28 € - 183.4 ffr. / 655 pages ISBN : 978-2-03-583332-7 FORMAT : 14cm x 21cm Imprimer
Larousse continue sa collection de dictionnaires «à présent» : une collection de vulgarisation, destinée à aider le grand public français à sorienter «à présent» sur les origines de notre époque et den comprendre les sources anciennes par la politique, lhistoire, la religion, léconomie etc. A lépoque dinternet, la démocratisation pédagogique dun savoir vérifié est plus que jamais une des missions du livre et singulièrement du dictionnaire. Les fascinations de notre génération et ses interrogations, typiques de ses crises didentité, dictent donc visiblement lagenda de léditeur : «la gauche» et «la droite» (sait-on encore ce que cest ?), mais aussi «lextrême-gauche» (complétée du «communisme») et «lextrême-droite» (ces marges fascinantes du spectre politique démocratique et de la respectabilité), «mai 68» mais aussi «la guerre froide» et «la grande guerre» ou «la colonisation française» (ces événements fondateurs de la mémoire collective) et puis notre nouvelle religion, notre destin qui fut croissance et mondialisation et nous gifle de ses crises: «léconomie» (une «science» ?). Nul doute que le judaïsme et la judéité, leurs formes, leur histoire, leur place dans le passé et le présent ne fassent partie des questions lancinantes du monde moderne, notamment depuis le XXe siècle. Le fait que les auteurs en soient à leur troisième édition est un signe quils ont en effet répondu à une attente réelle dexplication sous une forme pédagogique adaptée.
Obéissant toujours au même plan, qui doit permettre après une introduction problématique («Les mondes juifs en questions», pp.13-41) posant de front des problèmes classiques et incontournables - et une série de rappels historiques («Temps forts», pp.43-83), cette première partie, très charpentée et claire, permet de passer en revue les grands thèmes dun domaine avant dy revenir par articles alphabétiques plus ciblés correspondant aux mots-clés (notions culturelles, repères historiques, lieux géographiques de «mémoire», traditions, courants et doctrines, uvres, etc.) mais aussi aux personnages-clés du sujet considéré. Un bon index permet de naviguer dans louvrage facilement, avant dapprofondir grâce à une riche bibliographie. Un instrument fort pratique.
Le choix des auteurs parmi les spécialistes (parfois très engagés, comme S. Courtois sur le communisme) de la discipline est censé garantir la fiabilité des informations (basées sur létat actuel des études dans la littérature savante) et la pertinence de la sélection opérée pour les articles du dictionnaire. J. Ch. Attias et Esther Benbassa, directeurs détudes à lEcole Pratique des Hautes études (E.P.H.E.) à la Sorbonne, respectivement spécialistes des judaïsmes médiéval et moderne, sont évidemment compétents pour rédiger ce volume. Ce nest pas leur premier ouvrage en commun : en 2007, Des cultures et des dieux. Repères pour une transmission du fait religieux visait dailleurs déjà un vaste public et sinscrivait dans la réflexion scientifique et civique (typiquement française) sur la place de létude des religions dans lenseignement (laïque !). DE. Benbassa encore, La Souffrance comme identité (2007, prix Guizot de lAcadémie française 2008) avait pointé les excès de la victimisation, parfois quelque peu mythique et fantasmatique, dans les représentations juives et, paradoxalement, dans le sionisme (qui avait lutté pour en «libérer» les Juifs, mais en joue souvent pour des raisons stratégiques). Le choix de ces auteurs sexpliquent peut-être par la recherche dun équilibre prudent du discours entre idéalisation narcissique et critique radicale (y compris dans le monde juif et dans la nouvelle historiographie israélienne).
La distance des auteurs envers un essentialisme religieux ou nationaliste sioniste se traduit par le titre et promet un ouvrage riche et pluriel. La polysémie du mot «juif» et les relations complexes qui en lient les acceptions ont poussé les auteurs à intituler leur dictionnaire «dictionnaire des mondes juifs» : façon de souligner à la fois les variations et évolutions historiques et la multiplicité (religieuse, culturelle, etc.) du fait juif : «le judaïsme nest pas une essence et le peuple juif a une histoire» (p.7). La pédagogie vise dabord à défaire les clichés et parmi eux les associations spontanées et autres confusions qui prolifèrent. Cette volonté est louable et très fondée rationnellement : il y a des façon dêtre juif, de se sentir juif, ou de refuser de lêtre, malgré les liens initiaux et les héritages
Même sils se réfèrent à la Bible et à la Torah, à la tradition religieuse, les mondes juifs ne sont pas tous aussi religieux ni religieux de la même façon (comme les mondes musulmans ou chrétiens dailleurs), parfois ils sont transfuges (convertis ou athées), comme souvent dans la culture laïcisée ; lappartenance est alors plus de sensibilité artistique ou culturelle, dorigines transformées qui irriguent les mondes non-juifs, eux-mêmes aussi «juifs» en quelque façon depuis longtemps (que ce soient le Proche-Orient multi-confessionnel, lAfrique du Nord musulmane ou lEurope «chrétienne», «des Lumières» ou «moderne»).
Le dictionnaire est très riche dinformations en tous genres et sera consulté avec profit : ce nest pas discutable. Il faut cependant aussi parler de ce qui paraît comme des faiblesses et qui procèdent peut-être de choix pesés de communication. Elles tournent autour du point sensible, de lidentité juive aujourdhui et, disons, depuis le sionisme. Point sensible mais au cur du sujet et quil fallait donc poser nettement. Quen est-il justement des origines idéologiques et de la logique national-ethnique du sionisme, et donc de la légitimité (par rapport à lidentité religieuse ou culturelle pré-sioniste) de la fondation dun État «juif» («juif», justement, en quel sens ?)
Sur le Bund, lanti-sionisme juif (athée ou religieux), les informations restent lacunaires et trop dispersées pour que le dictionnaire contribue à luvre rationaliste de démythification qui servirait, sinon les désirs de tous les lecteurs, du moins la cause de lintelligence et dune compréhension authentique des conflits et des haines, que nos médias relaient sans mise en perspective.
Or la reprise par les auteurs de lidée dune montée de «lantisémitisme», sans explication suffisante des origines et formes variées de ce phénomène, voire du flou de la notion elle-même (expression de la variété des façons dêtre «juif» justement), apparaît comme une adaptation assez conformiste aux idées politiques dominantes. Si les auteurs indiquent parfois la solidarité de bien des communautés juives de diaspora avec Israël, notamment depuis 1967, et sils y voient une des raisons dun nouvel antisémitisme, notamment dans la jeunesse dorigine arabo-musulmane de France, ils ne se demandent pas si la solidarité inconditionnelle avec Israël (un État étranger) et la pratique de la double nationalité, du service militaire en Israël voire de la fuite de certains escrocs en Israël comme réfugiés «juifs», ne posent pas un grave problème quant au rapport de bien des Juifs et de leurs organisations «représentatives» avec lidentité nationale (dune nation républicaine ouverte, laïque non-définie par les catégories ethniques : la France !). Si être Juif, cest très souvent être solidaire dIsraël (comme «État juif») présenté comme victime (avec son armée puissante, soi-disant la plus éthique du monde), si ce discours est relayé sans cesse par des institutions communautaires (le communautarisme, mauvais en république, mais qui serait dans le cas juif bien compréhensible : un privilège dessence ?) dites représentatives et consultées gravement par lEtat, si en somme être Juif cest aussi être pro-israëlien, est-il encore possible dêtre par moments anti-israëlien ou en général anti-sioniste sans être taxé d«antisémitisme» ? Inversement, le discours des institutions «représentatives» naccrédite-t-il pas lidentification des «Juifs» par les prétendus «antisémites» à ce qui apparaît comme leur véritable État ?
Spécialiste de la mythologie victimaire, E. Benbassa aurait dû le sentir. Or ces questions, dérangeantes peut-être mais fondamentales pour notre présent, capitales sans doute pour le dialogue dans la vérité et pour la paix sociale et inter-nationale, sont esquivées. De là on arrivait à la question de la «spécificité» du «peuple juif» («Peuple» en quel sens ?) et devait être posée la question de lexistence du «peuple juif» à travers lhistoire : voir le livre récent de Schlomo Sand, Comment fut inventé le peuple juif, déconstruction remarquable des mythes identitaires judéo-israëliens, dont la censure par la presse française est révélatrice des tabous de notre temps.
Étant donné la visée humaniste du dictionnaire, ces oublis et des déséquilibres sont problématiques et, malgré lintérêt du dictionnaire, on ne peut quêtre déçu du traitement réservé à ces questions actuelles (larticle «Palestine» est dérisoire). Bien que les auteurs mentionnent le «post-sionisme» et les nouveaux historiens, cest dans un style factuel assez plat, qui empêche toute mise en perspective de leurs thèses et toute mise en relation forte de leur nouvelle vision. On dira que ce nest pas la mission dun dictionnaire et quil fallait conserver une certaine neutralité. Or il se pourrait que cette forme de neutralité soit objectivement un conservatisme déguisé pou une prudence timorée. Nest-ce pas sur des sujets aussi graves (aussi graves que de savoir si Moïse a existé), que le devoir dexpliquer doit se manifester en premier lieu, au risque de déplaire ? Spinoza nen a-t-il pas montré la voie, en effet fort courageuse ? Ces critiques nenlèvent rien aux qualités de louvrage.
Max Lehugueur ( Mis en ligne le 28/04/2009 ) Imprimer
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