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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
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Le peuple qui a traversé le temps | | | Antoine Germa Benjamin Lellouch Evelyne Patlagean Collectif Les Juifs dans l'histoire - De la naissance du judaïsme au monde contemporain Champ Vallon - Les Classiques 2011 / 29 € - 189.95 ffr. / 918 pages ISBN : 978-2-87673-555-2 FORMAT : 12,9cm x 20cm
L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye, professeur agrégé et docteur en histoire, enseigne en Lettres et Première supérieures au lycée Mariette de Boulogne-sur-Mer. Imprimer
Vladimir Jankelevitch avait lhabitude de dire qu«avec les Juifs ce ne serait jamais pareil quavec les autres peuples». Avait-il vraiment tort ? Sans doute pas quand, jour après jour, on entend la violence des propos antisionistes, souvent autre manière dêtre antisémite au début du XXIe siècle, quand certains prennent, au-delà de labsurde, la défense du Hamas qui fait assassiner les homosexuels dune balle dans la tête dans les rues de Gaza et ensevelit les femmes sous les voiles obscurs de la soumission. Il était donc temps de faire taire la polémique et de laisser la place à lhistoire qui, en loccurrence, doit nous aider y voir plus clair sur le destin particulier du peuple juif.
À la demande du directeur de la collection ''Époque'' des éditions Champ Vallon, Joël Cornette, Antoine Germa, Benjamin Lellouch et Évelyn Patlagean ont accepté de coordonner la publication dune histoire générale des Juifs depuis les origines jusquà nos jours. Le livre impressionne dabord par son ampleur, presque mille pages, convainc par son érudition et simpose par son idée phare : montrer que lhistoire juive a été trop souvent présentée comme lhistoire dun peuple passif et victime, un peuple qui ne dominait plus son destin.
Or, les auteurs démontrent avec tout ce que la science historique appelle de rigueur, de précision et dérudition le contraire. Ils saccordent sur ce point avec Ben Gourion, qui dans un discours à la jeunesse juive de Palestine, prononcé en 1944 insistait sur le refus « [...] de soumission dun petit peuple pendant une période aussi longue en face dennemis nombreux et puissants, refus de soumission au destin historique». Le ressort principal de ce peuple fut le sentiment tenace de la singularité de sa culture structurée par un monothéisme strict. Grâce à elle, les Juifs nont pas partagé le destin dun nombre incalculable de peuples de lAntiquité : que sont devenus les Parthes, les Huns ?
«Israël a traversé le temps, tous les peuples ; il a parlé tous les langages ; et de même quil a sans cesse lié à sa propre histoire lhistoire de lhumanité, de même il na jamais séparé complètement dans ses préoccupations le religieux du profane, le moral du sacré», écrivait Edmond Fleg. Les auteurs illustrent cette réflexion par un parcours historique dont lampleur temporel donne le tournis. Il nous mène de la naissance du judaïsme à la mort dAlexandre le Grand en passant par la vie des Juifs pendant lempire romain, leur existence dans lEurope du Moyen Âge après leur dispersion au Ier siècle sans oublier le récit tragique de leur vie pendant et après la Shoah.
La grande leçon de cet ouvrage ne concerne pas spécifiquement les Juifs, mais tous ceux qui se demandent encore ce que le terme de civilisation peut avoir de pertinent. Les Juifs offrent lexemple même dune pérennité exemplaire qui ne sexplique pas par la puissance de leurs armes, mais par leur cohésion autour dun héritage quil nétait pas question de brader. La résistance de ce peuple méprisé, avili, menacé, fut possible grâce à un imaginaire fondé sur lacceptation continue de la loi, par une orthopraxie, non une orthodoxie et surtout une conscience particulière de leur singularité.
Aussi, au cur de la Seconde Guerre mondiale, il est toujours surprenant de voir ces parents abandonner leurs enfants dans des maisons de réfugiés tout autant angoissés à lidée quils puisent perdre la vie et leur identité juive. «Kein milk, kein Fleisch», disaient certains enfants juifs réfugiés en France de peur de rompre le kashrut. Scrupule dévot invraisemblable, pensent naturellement nos consciences chrétiennes ou laïques, mais en réalité acte de résistance inouï car le projet des Nazis et de leurs sbires portait autant sur lanéantissement physique que culturel du judaïsme.
La création de lÉtat dIsraël en 1947 fut la meilleure réponse que les Juifs opposèrent à ce projet. Le chapitre dAlain Dieckhoff est à ce sujet éclairant : la volonté de ressusciter lhébreu et de fonder la constitution du pays sur les valeurs de justice, de droit et dégalité sinscrivait dans cette résistance culturelle juive née au cur dune guerre qui avait planifié la destruction du peuple élu. Cet article présente aussi dans toute leur pluralité dopinions les fondateurs dIsraël, les partisans de la gauche, convaincus de la possibilité de sentendre avec les Arabes, et les partisans de la droite, certains du caractère inéluctable de laffrontement avec eux.
Doit-on reprocher aux Juifs de ne pas renoncer à leur identité en se maintenant dans cette enclave israélienne du Dar al-Islam ? Doit-on reprocher aux Juifs dentretenir coûte que coûte leur culture dans la diaspora ? Ce livre ne répond pas à cette question, mais il nous offre la possibilité de ne plus aborder le peuple juif au seul regard du contentieux territorial en Palestine et permet aux esprits ouverts et tolérants de considérer cette difficulté au-delà dune pensée clivée et polémique toujours desséchante.
Matthieu Lahaye ( Mis en ligne le 10/01/2012 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les Juifs d’Europe depuis 1945 de Bernard Wasserstein Histoire des Juifs de France de Philippe Bourdrel Dictionnaire des mondes juifs de Esther Benbassa , Jean-Christophe Attias , Collectif | | |
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