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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
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Le cheval entre distinction sociale et pratiques guerrières | | | Daniel Roche La Gloire et la puissance - Histoire de la culture équestre, XVIe-XIXe siècles, vol. II. Fayard 2011 / 30 € - 196.5 ffr. / 493 pages ISBN : 978-2-213-66607-5 FORMAT : 15,3cm x 23,4cm
Lauteur du compte rendu : Professeur certifié de lettres-histoire géographie, docteur en histoire, Frédéric Chauviré est actuellement chercheur associé au CERHIO-UMR6258 de luniversité de Rennes II et enseigne dans le secondaire. Ses travaux portent sur lart de la guerre et la cavalerie à lépoque moderne, dun point de vue tactique, anthropologique et institutionnel. Imprimer
Historien du fait social et culturel, Daniel Roche est aussi fasciné par le cheval. Il poursuit dans ce second tome son exploration de la culture équestre entre le XVIe et le XIXe siècle. A travers les ouvrages techniques et théoriques, les mémoires et les sources littéraires, il entreprend lanalyse du rôle du cheval dans laffirmation des hiérarchies sociales, dans la représentation politique et dans lart de la guerre.
Il sagit dans un premier temps de démontrer que la culture équestre demeure à travers les siècles un puissant instrument de distinction sociale, indispensable à la construction identitaire des élites, quelles soient de lAncien régime ou du XIXe siècle. De ce point de vue, effectivement, la Révolution, le passage dune société des privilèges à une société «égalitaire» ne marque pas de rupture fondamentale. Daniel Roche souligne au contraire que lélevage, lusage du cheval, les références à lart équestre constituent bien un ciment qui permet dintégrer, dans la France des notables, les nouvelles élites aux anciennes. Tout au long du XIXe siècle, la culture équestre se manifeste à travers des lieux (écuries) et des modes de sociabilités (courses), des pratiques sociales (promenades) particulièrement significatives dun mode de vie aristocratique articulé autour de la valorisation du loisir et de la consommation ostentatoire.
De fait, la nouveauté est ailleurs, dans la forme même de cette culture équestre. Celle-ci se transforme en effet, notamment sous linfluence de lAngleterre. Après léchec de Voyer dArgenson, les progrès de langlophilie équestre se font jour chez les princes de France à la fin du XVIIIe siècle. Mais cest après la Révolution que lacculturation est la plus sensible : nouveau cheval : le pur-sang ; nouvelles sociabilités : les courses hippiques, le steeple-chase.
La chasse constitue de ce point de vue un angle dapproche particulièrement révélateur. Chasser à cheval au temps des privilèges, cest sinscrire dans un ordre du monde et de la nature, exprimer sa domination sur celle-ci autant que sur la société. Mais la vénerie garde ensuite ce rôle de distinction et daffirmation de la supériorité sociale. Dans une France où la chasse nest désormais plus un privilège, chasser à cheval cest affirmer son appartenance à lélite. Là encore, même si les différences ne sont pas toutes gommées, linfluence anglaise se fait sentir, notamment dans la dimension sportive de la chasse, jusquà ladoption de la chasse au renard pourtant autrefois méprisée.
Daniel Roche pose ensuite la question de la transmission des gestes, des pratiques et des valeurs qui constituent la culture équestre, cest-à-dire la question de léducation équestre. A travers une analyse fine des ouvrages éducatifs et des traités équestres, il étudie les lieux, les formes, les valeurs de cette éducation équestre, intégrée et adaptée aux diverses stratégies éducatives de laristocratie. Celle-ci sest formalisée à la Renaissance autour du modèle du courtisan. Elle a ensuite offert une réponse à la crise des valeurs nobiliaires du XVIe siècle en délivrant un apprentissage du contrôle du corps et des comportements tout en valorisant lhéritage chevaleresque.
Du point de vue de la mise en uvre de cette éducation, on assiste, en partant du sommet de la société, à la formation du jeune Louis XIII, des premiers balbutiements jusqu'à lapprentissage des airs relevés sous la direction du fameux Pluvinel. On observe ensuite un transfert de la pédagogie novatrice initiée par Pluvinel au profit des noblesses, par lintermédiaire de lécole des pages. Au-delà des pages et des rois, il est une institution qui a particulièrement incarné la transmission des pratiques, des codes et des savoirs de la culture équestre, ce sont les académies. Venu dItalie, lacadémisme est assimilé et adapté par les élites françaises. Les académies ont ainsi fleuri non seulement à Paris (Pluvinel, La Guérinière), mais également en province grâce au relais des autorités locales. Les manèges prendront ensuite, au XIXe siècle, leur succession, formant un public plus large, celui de la jeunesse de la société des notables. A travers ces différentes institutions on perçoit que lélève apprend avant tout, notamment par la maîtrise de la «belle posture» et de la «grâce», à contrôler son corps physique et à forger son corps social. Daniel Roche rappelle en outre que la culture équestre possède une dimension intrinsèquement politique, et que lenseignement équestre est donc aussi un discours sur lart de gouverner et de contrôler la société.
Jusquà lindustrialisation de la guerre, le cheval occupe également une place éminente dans lart de la guerre, animé durant toute lépoque moderne par la dynamique de la «révolution militaire». Cest pourquoi lauteur juge, avec raison, nécessaire de questionner la place de la cavalerie dans cette «révolution» aux contours parfois controversés. Daniel Roche montre comment celle-ci bouscule la pensée militaire et les représentations socioculturelles propres à la culture équestre de la guerre. Il met surtout en évidence, au-delà des idées préconçues, comment la cavalerie sadapte et évolue malgré les tensions entre théories et réalités de la guerre. Cette évolution se mesure dabord au cur du combat, avec les transformations de la charge. Elle sexprime également autour de toutes les missions qui incombent désormais à larme équestre et au cheval, dans le contexte darmées aux effectifs sans cesse croissants et opérant sur des théâtres de plus en plus larges.
Ces nouveaux usages constituent indéniablement un défi pour lEtat et ladministration de la guerre. Ils impliquent en effet une augmentation considérable du nombre de chevaux, non seulement pour la cavalerie mais aussi pour le train et lartillerie. Autant danimaux quil faut bien sûr nourrir et équiper, mais aussi produire, importer, dresser. Autant de cavaliers quil faut recruter et instruire. Ces problématiques essentielles interrogent le cur même de la culture et de léconomie du cheval. La question de la remonte, par exemple, qui génère beaucoup de débats, met en jeu des dimensions économiques, politiques et sociales. Linstruction équestre est également un problème central. On voit dailleurs, à partir du XVIIIe siècle, saffirmer lautonomie de léquitation militaire face à «la haute école» et léquitation décuyers. Mais au-delà des pratiques guerrières, on observe que la figure même du héros équestre traverse les siècles par sa capacité à proposer un modèle intemporel de bravoure, de dévouement au prince et à lEtat.
Amoureux du cheval et passionné par lanimal autant que par ce quil révèle des sociétés qui lemploient, Daniel Roche livre ici une réflexion nécessaire, inédite et stimulante. On ne peut donc que regretter que lécriture exigeante de lauteur en rende parfois laccès quelque peu difficile pour des lecteurs non universitaires ou non spécialistes.
Frédéric Chauviré ( Mis en ligne le 24/01/2012 ) Imprimer
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