| Annick Le Douget Crimes & justice en Bretagne Coop Breizh 2011 / 35 € - 229.25 ffr. / 208 pages ISBN : 978-2-84346-526-0 FORMAT : 23,5cm x 24,5cm Imprimer
Unanimement reconnus pour leur sérieux et leur humanisme, les livres dAnnick Le Douget, traitent de la peine de mort (Justice de sang, la peine de mort en Bretagne aux XIXe et XXe siècles), de la criminalité féminine (Femmes criminelles en Bretagne au XIXe siècle) ou de lesclavage (Juges, esclaves et négriers en Basse Bretagne). Ces travaux nont pas manqué dinspirer des écrivains (Noce maudite de la sociologue Anne Guillou,
) ou des metteurs en scène.
Son nouvel ouvrage, Crime et Justice en Bretagne, servi par une excellente iconographie, a la qualité dun ouvrage de référence. Annick Le Douget retrace lévolution de la justice sous tous ses angles dapproches : la vie judiciaire et ses acteurs, larchitecture, les grands procès, les peines au fil des siècles, etc.
Le temps du citoyen nest pas le temps administratif et lappareil judiciaire peut sembler désespérément lourd et inamovible. Fort bien documenté, louvrage montre pourtant comment; de la suppression du «barner a beoch» (juge de paix si apprécié quil méritait son nom en breton) au vent de fronde qui souffle en Bretagne, les structures de linstitution se sont adaptées au changement sociétal. Avec pertinence, lauteur met en lumière des anecdotes édifiantes qui font sens dans le mouvement de linstitution.
Qui sont ces hommes de loi au cur du système, ces magistrats de parfois 86 ans voire nonagénaire pour le doyen des avocats de France ? Comment leurs carrières sont soumises aux aléas politiques ? Comment sest faite la féminisation du barreau ? Lhistoire de la magistrature est aussi lhistoire des grandes familles, ces grandes lignées de robe, qui contribuaient «à coopter les patronages familiaux veillant à écarter la promotion individuelle sans parentés juridiques».
A leur côté, le Jury dont la démocratisation
et la féminisation ont nécessité plusieurs siècles sans pour autant satisfaire certains : «Femmes, moines, vieillards, prix Nobel ou crétins, la loi du 28 juillet 1978 a convié tout le monde aux plaisirs de juger», se lamentait le Président Versini. Mais, bien à-propos, lauteur rappelle une époque où ces jurés ont su faire entendre leur mécontentement davoir à condamner les plus miséreux pour des peccadilles - vol dune serpillière ou de trois crêpes pour un affamé (qui en avait volé 17 mais rendu 9 !) ; à la fin dun procès, cest encore un jury qui décide dorganiser
une quête pour aider lhomme trop pauvre quils viennent de juger. Annick Le Douget évoque ces nombreuses frictions entre magistrats et jurés au XIXe siècle : les notables interpellent les Présidents qui interpellent les Ministres
et au gré du temps et des pages, le lecteur suit les changements jusquà la récente évolution du maillage judiciaire.
De lautre côté du prétoire, les chroniqueurs, les photographes (jusquen 1954) et les dessinateurs judiciaires sont fidèles ; le public, qui veut que justice soit faite, attend parfois jusque devant les grilles du palais. Ces palais justement, qui portent une certaine idée de la justice, Annick Le Douget en décrypte le symbolisme : de lordre judiciaire et du droit qui sinscrivent dans le marbre, du système dordonnances perpétuant la référence à lantiquité, de la situation centrale du bâtiment, presque toujours isolée, à limage de la séparation des pouvoirs, sans oublier litinéraire des marches
Ce chapitre fort intéressant sachève sur la réflexion quimpose la conception du nouveau palais de Nantes où les repères symboliques ont été déplacés dans un jeu dombres et de lumières magnifié par Jean Nouvel.
Rappelant les grands procès et les erreurs judiciaires en Bretagne, louvrage se termine sur laprès-justice, le temps des peines, de lexpiation. Châtiments et bourreau, architecture, fonctionnement et réformes des Prisons, Annick Le Douget nocculte rien, jusquà lunivers révoltant des bagnes denfants.
Avec une belle maitrise de son sujet, par le regard quelle porte sur linstitution judiciaire et la mise en perspective de son évolution, Annick Le Douget livre un ouvrage passionnant et remarquable.
Marie-Claude Bernard ( Mis en ligne le 28/02/2012 ) Imprimer | | |