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Une histoire très bobo
Michelle Zancarini-Fournel   Les Luttes et les rêves - Une histoire populaire de la France
La Découverte - Zones 2016 /  28 € - 183.4 ffr. / 995 pages
ISBN : 978-2-35522-088-3
FORMAT : 16,5 cm × 24,2 cm

L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a publié entre autres, aux Editions du Cygne, Au cœur des mouvements anti-guerre (2015).
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De nos jours, quiconque ose sous-titrer un livre «histoire populaire de tel pays» s’expose désormais à la comparaison avec le célèbre livre d’Howard Zinn Histoire populaire de l’Empire américain qui a séduit tant de consciences de gauche à la fin des années 2000 en France, au point qu’un film en a été tiré. C’est ce que n’a pas hésité à faire Mme Zancarini-Fournel, professeur émérite à l’université Lyon-I, avec son livre : Les Luttes et les rêves. L’intention de l’ouvrage était sans doute noble, pourtant, disons le tout de suite, le compte n’y est pas.

Ce livre a certes des mérites, il est volumineux – plus de 900 pages, une vraie somme – et donc, fatalement, au fil des chapitres, il instruit : les portraits d’ouvriers révolutionnaires abondent, les anecdotes prolifèrent. A juste titre, il accorde une place de choix aux femmes, aux combats des peuples colonisés, et à la province, ce qui est sans doute une façon bien plus réaliste de découvrir le sujet que l’historiographie d’il y a quelques décennies.

Le lecteur novice apprendra beaucoup de choses sur les grèves, le syndicalisme, la répression policière, la mendicité, la prostitution, la résistance à la guerre, et, parfois, découvrira des épisodes très inattendus ; qui se souvient par exemple que Toulouse fut une ville royaliste légitimiste (donc très à droite) qui mena en 1840 une résistance farouche face à la réforme fiscale de la Monarchie de Juillet libérale ? Qui sait que la victoire du Front national aux élections municipales à Dreux en 1983 procède en partie de la manière dont les élites politiques (y compris le gouvernement socialiste) ont entretenu un climat xénophobe autour des combats de la CGT et de la CFDT dans les usines automobile de Flins et de Poissy l’année précédente, beaucoup d’ouvriers de ces usines étant domiciliés à Dreux ? L’auteure a bien raison de n’avoir pas esquivé le thème compliqué du flirt des ouvriers avec la réaction (thème instrumentalisé par les dirigeants comme lorsque Clemenceau encore en 1907 accuse les prolétaires socialistes du Midi d’être manipulés par les monarchistes), voire avec le racisme (et l’antisémitisme au XIXe siècle), qui trouve des échos dans l’actualité avec le succès électoral du Front national dans les classes laborieuses.

Oui, mais voilà : ces efforts très louables suffisent à faire un ouvrage universitaire, mais pas à justifier l’usage d’un sous-titre qui plagie Howard Zinn. Car l’esprit et le style du livre n’ont rien à voir avec le modèle auquel il fait songer. A la différence du travail de Zinn qui était habité par une compréhension profonde de la condition ouvrière, et d’une sainte rage contre les mensonges et le cynisme des classes dirigeantes, celui de Mme Zancarini-Fournel adopte, d’une page à l’autre, le ton très désagréable de la promenade touristique dans les milieux ouvriers, «l’archipel des employés de bureau», etc. On se promène d’un quartier populaire l’autre, d’une répression l’autre, sans véritable indignation. L’auteure, comme c’est souvent le cas dans le milieu universitaire, cherche souvent à tout prix à recycler ses recherches antérieures, en l’occurrence sur l’histoire des femmes, au point de ne pas hésiter (il fallait oser !) à consacrer une demi-page du livre aux … salons des grandes dames du XVIIIe siècle (qui nous expliquera en quoi il s’agissait d’un lieu de lutte populaire ?). Voilà une façon très bureaucratique de rentabiliser son temps de travail intellectuel, qui lui fait largement manquer sa cible.

Zinn était directement issu du monde ouvrier. Mme Zancarini-Fournel proclame dans son introduction son attachement au souvenir de ses grands-parents imprimeurs, mais une génération, celle de sa mère institutrice, la sépare de cet univers-là. D’un point de vue bourdieusien, ceci explique peut-être cela. Pour la période récente notamment, le livre ne touche jamais le cœur du mode de vie réel des ouvriers et des paysans dans ce qu’il a à la fois de plus poignant, de plus dérisoire, de plus révoltant et de plus invisible. Ainsi on cherchera en vain une page sur les médias, qui sont pourtant la principale école de formatage des milieux populaires depuis trente ans (le journal télévisé de 20h, les jeux et divertissements hypnotiques…). D’ailleurs le mot «ouvrier» s’efface à partir de 1982 comme s’il n’y en avait plus en France à partir de ce moment-là (l’ouvrier d’origine française, espagnole, italienne, polonaise ou portugaise disparaît ainsi du dernier chapitre du livre, comme des «unes» des journaux de notre époque, au profit de l’immigration post-coloniale, des sans abris, des luttes d’Act-Up, du combat contre la malbouffe… Et pourtant il existe encore !). Quand elle évoque l’expérience socialiste de 1981, Mme Zancarini-Fournel s’intéresse à l’abolition de la peine de mort, aux droits des immigrés, à la mesure de régularisation des carrières administratives des militaires putschistes de 1961 ordonnée par Mitterrand contre les valeurs classiques de la gauche. Mais elle ne dit pas un mot du «tournant de la rigueur» de 1983 et son impact sur les millions de familles ouvrières de France et de Navarre.

Voilà qui en dit long sur l’orientation du regard de l’historienne, et sur le biais de son approche, qui par lui-même justifierait qu’on change le sous-titre de son livre.


Frédéric Delorca
( Mis en ligne le 09/01/2017 )
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