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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| Lucian Boia L'Homme face au climat - L'imaginaire de la pluie et du beau temps Les Belles Lettres 2004 / 16 € - 104.8 ffr. / 210 pages ISBN : 2-251-44263-4 FORMAT : 15x23 cm
Lauteur du compte rendu : Rémi Luglia, professeur agrégé dHistoire et interrogateur en deuxième année dans une classe préparatoire commerciale, est doctorant à Sciences-Po Paris où il mène une recherche sur lhistoire de la protection de la nature en France de 1854 à nos jours à travers le mouvement associatif. Imprimer
La quatrième de couverture annonce un ouvrage différent sur le climat, ceci malgré labondance de la bibliographie scientifique, historique ou polémique sur le sujet
Cest donc sceptique que lon peut se lancer dans lintroduction
mais le ravissement intellectuel est au rendez-vous ! On ne sera pas pris ici pour un sot, ni ballotté entre des prophètes chevelus criant au malheur tous les deux ans et des adeptes naïfs de la technologie, qui prétendent quelle est omnipotente.
Lucian Boia est un grand historien, qui cherche indubitablement à expliquer les évolutions de fonds des sociétés humaines. Pour ce faire, quel meilleur vecteur que nos pensées, nos rêves, notre imaginaire ? Le climat et la météo sont des sujets privilégiés détude pour lhistoire des mentalités. Lucian Boia ne cherche pas à retrouver les évolutions climatiques (cela a déjà été fait notamment à laide de la dendrochronologie) ni à définir des phases et des ruptures historiques en relation avec les variations climatiques. Il se concentre sur la façon dont les hommes ont pensé et pensent encore le climat, lun des cadres majeurs de leur existence. Rappelons simplement pour mémoire que jusquau XIXe siècle, plus de 90 % de la population européenne est rurale et agricole et donc particulièrement sensible et attentive aux fluctuations météorologiques.
Lauteur nous démontre que, en ce qui concerne le climat, lhomme ne cesse de construire et de reconstruire ses visions du passé et de lavenir. Deux permanences des mentalités humaines prennent ici tout leur sens : la tendance à mettre laccent plutôt sur les différences que sur les ressemblances ; la volonté de tout faire entrer dans un cadre dinterprétation cohérent et variable avec les connaissances humaines.
Lucian Boia scinde les imaginaires sur le climat en trois ensembles : les théories de nature anthropologiques et psychologiques expliquant par le climat la diversité humaine ; les visions historiques qui lient climat et évolutions historiques ; le «climat-catastrophe» qui met en avant des ruptures majeures, des «fins du monde».
Une écriture claire et efficace, lécueil du vocabulaire techniciste ultra-disciplinaire évité, un style agréable viennent conforter notre premier sentiment : Lucian Boia nous livre ici un bel et remarquable ouvrage dhistoire, stimulant et bien documenté.
Pour explorer la part du climat dans les imaginaires humains, lauteur va adopter une perspective globalement chronologique. Pendant très longtemps, le climat demeure un élément explicatif majeur, voire déterminant, de la diversité humaine. Ainsi, lEmpire romain pense laltérité comme climatiquement extrême : trop chaud ou trop froid. Seul lespace sous linfluence de sa civilisation bénéficie dun climat «normal».
Cette position sera sujette ultérieurement à des critiques, notamment de la part de philosophes qui vont réduire les influences du climat sur lhomme à la portion congrue voire au néant, allant alors trop loin dans la négation. David Hume, au XVIIIe siècle, ne reconnaît que deux domaines où le climat influence lhomme : «le vin et les eaux-de-vie réchauffent le sang glacé par les climats froids et fortifient les hommes contre les rigueurs du temps ; de même, la chaleur réconfortante du soleil, dans les pays exposés à ses rayons, enflamme le sang et exalte la passion entre les sexes».
Toutefois, cest au XIXe siècle que lon assiste à la naissance de lanthropogéographie par Friedrich Ratzel : il lie intimement le milieu géographique et les communautés humaines. Son idéal nest plus le monde méditerranéen mais les climats dEurope du Nord qui ont, selon lui, façonné des races dhommes supérieures aux autres. On perçoit demblée les dérives de telles théories exclusivistes et déterministes quand elles sont saisies par des fanatiques. Lucian Boia évoque ensuite longuement les «Déluges» et autres «fins du monde». Cet imaginaire semble constitutif de toutes les civilisations et lauteur dresse à cet égard des parallèles saisissants.
Il termine par linévitable dossier du réchauffement climatique. Précisons tout de suite que son objet nest toujours pas de décrire chacune des théories en présence et danalyser leur pertinence scientifique mais de décrypter les rapports quelles entretiennent avec notre manière de penser le monde et notre action sur celui-ci. Pour lui, une nouvelle forme de «Déluge» est en germe avec cette inquiétude, le «Déluge technologique».
Lucian Boia parvient ici à démêler très heureusement nos mentalités et nous donne matière à penser le climat. Contrairement à ce que lon pourrait supposer, le progrès dans notre connaissance du climat ne tue pas notre imaginaire.
Rémi Luglia ( Mis en ligne le 09/06/2004 ) Imprimer
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