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Histoire des démocraties inachevées | | | José Del Pozo Histoire de l'Amérique latine et des Caraïbes - De 1825 à nos jours Nouveau monde 2006 / 12 € - 78.6 ffr. / 464 pages ISBN : 2-84736-165-0 FORMAT : 12,5cm x 19,0cm
Traduction de Marc Brunelle et Roch Côté.
L'auteur du compte rendu : Philippe Retailleau est professeur agrégé dhistoire-géographie. Imprimer
Le marché éditorial des publications relatives à lAmérique latine vient de senrichir dune nouvelle histoire, en langue française, de lAmérique latine (et des Caraïbes) depuis lère des Indépendances. Outre lincomparable Cambridge History of Latin America, forte dune dizaine de volumes, les livres de qualité en anglais, en espagnol ou en français ne manquent guère : dans notre langue, on peut citer lexcellent ouvrage critique de François Chevalier, LAmérique latine, de lindépendance à nos jours (PUF, Nouvelle Clio, 1993 pour la dernière édition), ou encore les bonnes synthèses dauteurs aussi divers que Leslie Manigat, Olivier Dabène ou Pierre Vayssière. Le nouvel opus que publient les éditions Nouveau Monde vaut-il dès lors le détour ?
Son auteur, le professeur José del Pozo, enseigne lhistoire à lUniversité du Québec à Montréal (UQAM). Il a essentiellement écrit sur lhistoire de son pays dorigine, le Chili, quil quitta au lendemain du coup dEtat militaire de septembre 1973. On lui doit notamment Rebeldes, reformistas y revolucionarios. Una historia oral de la izquierda chilena en la época de la Unidad popular («Rebelles, réformistes et révolutionnaires. Une histoire orale de la gauche chilienne à lépoque de lUnité populaire»), paru à Santiago du Chili en 1992, et une Historia del vino chileno, éditée en 1998. Sa dernière publication, dont nous rendons compte ici, est la traduction quasi intégrale et actualisée de Historia de América Latina y del Caribe, 1825-2001, parue il y a quatre ans au Chili.
Le livre souvre sur la nouvelle configuration géopolitique forgée par des années de guerres pour lémancipation. De nouveaux Etats ont surgi et «balkanisé» lespace colonial ibéro-américain. Dès lors, une nouvelle étape de lhistoire de cette aire géographique passablement composite commence. Cinq chapitres structurent louvrage, chacun correspondant à une tranche chronologique délimitée pour la commodité de lexposé.
Le premier chapitre évoque un XIXe siècle pour le moins troublé, qui sétend des lendemains de la défaite de lEspagne sur le champ de bataille dAyacucho en 1824 (qui signe son retrait de la scène américaine et son confinement aux îles de Cuba et Porto Rico) jusquà 1889, année de la disparition de lEmpire du Brésil au profit dune République débarrassée certes du fardeau de lesclavage mais exposée à de nouveaux défis. Lauteur sattache ici à souligner combien lAmérique latine est encore solidement arrimée à la «société de conquête» façonnée au cours des XVe-XVIIIe siècles : les clivages socio-ethniques sont prégnants et les évolutions politiques et économiques largement tributaires des systèmes oligarchiques traditionnels. LEtat-nation sédifie dès lors de manière chaotique, en dépit des volontés modernisatrices de certaines élites.
Les chapitres 2 et 3, qui couvrent respectivement les périodes 1890-1929 et 1930-1959, sintéressent notamment aux modalités douverture au Monde des différentes contrées : afflux de migrants venus dEurope (principalement au Brésil et dans les Etats du Cône Sud -Argentine, Chili, Uruguay), accroissement des investissements dorigines européenne et états-unienne, qui favorisent une meilleure structuration des territoires et ouvrent la voie à une modernisation, facteur a priori de développement politique et économique des sociétés. Certes, les structures de pouvoir de type oligarchique nen sont pas pour autant fondamentalement remises en cause, même si elles prennent des formes renouvelées. La longue période analysée dans ces chapitres voit en outre sestomper nettement les influences européennes au profit dune certaine forme d«hégémonie américaine», dont les contours, depuis la «doctrine de Monroe», nont cessé de fluctuer.
Les chapitres 4 et 5, relatifs à la période qui sétend des années 1960 à nos jours, insistent sur la visibilité accrue de lAmérique latine à léchelle mondiale. «Révolution», principalement incarnée par le «modèle» castro-guévariste, et «Contre-Révolution», prônée par les idéologues de la Sécurité nationale, dominent alors la scène. LAmérique centrale et les Caraïbes sont des enjeux de Guerre froide. Les dictatures militaires poussent comme champignons après la pluie et la répression sabat aveuglément sur les oppositions les plus diverses. Dans le même temps, après les expériences, aux résultats contrastés, de «nationalisme économique» initiées dès les années 1930, on soriente, progressivement à partir des années 1970, vers la voie «néo-libérale» dont le Chili de Pinochet donne un avant-goût. Les années 1990 se caractérisent ensuite par le «retour» à la démocratie et la persistance des inégalités socio-économiques.
Dans son introduction, José del Pozo marque sa volonté «doffrir une synthèse, la plus claire et la plus concise possible, des principaux faits, processus et personnages» (p.7) constitutifs de lhistoire de lAmérique latine. Si la synthèse nest pas aussi claire quattendue (cela semble dû à une traduction rapide, qui accumule parfois maladresses et confusions de style), on peut en revanche saluer la qualité factuelle de cette histoire qui, de plus, ne privilégie pas outrageusement, comme cela se rencontre souvent, les «vedettes» habituelles (Brésil, Mexique, Argentine, Chili ou Cuba) et laisse au contraire toute leur place à des entités méconnues des non-spécialistes, comme le Paraguay, lUruguay ou les micro-Etats de laire caribéenne. Par ailleurs, le fait que chaque chapitre soit uniformément organisé autour des mêmes thèmes (relations internationales, évolutions politique, sociale, économique et culturelle) indique le caractère essentiellement pédagogique, voire utilitaire, de louvrage.
Lauteur aurait pu sen tenir à cela, mais il a expressément souhaité faire de cette histoire une manière dessai : il sagissait pour lui de comprendre pourquoi «lAmérique latine a mis du temps à adopter et surtout à respecter- la démocratie de masses» (p.12). Affronter une telle entreprise supposait au préalable ce qui nest pas le cas ici- de donner une définition, contextualisée, de cette «démocratie». Par ailleurs, sil avait cherché réellement à comprendre et expliquer la «démocratisation inachevée» de lAmérique latine, José del Pozo aurait dû envisager un tout autre plan
Notons, enfin, que si lauteur est conscient de «la difficulté didentifier le monde latino-américain» (p.405), il ne sest pas pour autant risqué à définir cette «Amérique latine», quon a classiquement tendance à réduire aux «pays dAmérique latine», délaissant de ce fait les communautés «latinos» situées au nord du Rio Grande, cette limite que les historiens, contrairement aux géographes, ne peuvent décidément se résoudre à franchir
En dernière analyse, on tient donc là davantage un précis (honnête) quun essai (avorté) sur lhistoire des «pays de lAmérique latine et des Caraïbes». On doit saluer la présence dun index, dune chronologie copieuse, dillustrations nombreuses et souvent originales ainsi que de quelques cartes thématiques fort bien faites. La bibliographie est à jour mais la mention de quelques revues américaines spécialisées, telle que The Hispanic American Historical Review, nous contraint à risquer une dernière remarque : la large place quaccorde lauteur aux «oubliés de lhistoire» au fil du développement aurait dû lamener à évoquer explicitement même pour les nuancer ou les contester- les acquis de la Gender history (histoire du genre) ou des Subaltern Studies (études des minorités)- dont le public na guère connaissance en France.
Utile à bien des égards, cette «nouvelle» histoire de lAmérique latine ne peut prétendre remplacer les synthèses déjà éditées.
Philippe Retailleau ( Mis en ligne le 23/08/2006 ) Imprimer
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