|
Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| |
A nos sombres héros de la mer | | | Etienne Taillemite Les Hommes qui ont fait la marine française Perrin 2008 / 22.50 € - 147.38 ffr. / 403 pages ISBN : 978-2-262-02222-8 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
L'auteur du compte-rendu : Hugues Marsat est agrégé d'histoire. Enseignant dans le secondaire, il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles. Imprimer
Cest un ton quelque peu amer quEtienne Taillemite adopte dans lintroduction de son dernier livre, Les Hommes qui ont fait la marine française. Pour ce grand spécialiste de la marine française, et tout particulièrement de ses voyages dexploration du XVIIIe siècle, il ne sagit pas tant que les Français ne constituent pas un peuple de marins en dépit de la longueur de leurs littoraux, mais plutôt que les différents gouvernants et gouvernements français nont guère entretenu de continuité dans la politique navale nationale. La marine française se serait donc construite contre vents et marées, sous limpulsion et la ténacité dindividus éparpillés dans notre histoire et aux initiatives isolées. Ce sont ces obscurs héros, ces «hommes qui ne se sont pas découragés dans les pires circonstances» (p.12) que lauteur entend rappeler à la mémoire nationale.
Absence de continuité politique oblige, lauteur a fait le choix de quarante biographies. Plus importantes que ce quun dictionnaire aurait pu offrir et de taille à peu près équivalentes, - la plus longue, celle de Darlan, dépassant les treize pages, la plus courte et la première, celle de Jean de Vienne, comptant sept pages -, chacune souvre généralement sur une mise en contexte, mais ne procède pas nécessairement à une reconstitution entière des origines et de la vie de leur sujet, ce qui semble judicieux dans le cas du cardinal de Richelieu pour ne citer que lui.
Le nom du grand cardinal lâché, est-il encore besoin de préciser que la liste dressée par Etienne Taillemite ne comprend pas que des marins ? Les rares hommes politiques qui se sont intéressés à la mer ont leur place et loccupent parfois à deux comme dans le cas des Colbert, père et fils. Certains furent cependant, marins et ministres, comme Denis Decrès, inamovible ministre de la marine de Napoléon à partir de 1801, ou Jean Tupinier et Victor-Guy Duperré, ministres des derniers rois de France. Quant à Georges Leygues, ministre de la marine quasi-permanent de 1925 à 1933, peut-être a-t-il pu assouvir à ce poste une passion dont il paraît que lautorité maternelle lui en avait fermé laccès professionnel.
Si la plupart des hommes retenus sont des marins, tous nont pas le même profil de carrière. Certes, le plus grand nombre tient du combattant et le lecteur un peu au fait des choses retrouvera sans grande surprise les marins du roi-soleil (Duquesne, Tourville, Bart, Duguay-Trouin et Du Casse) et ceux du siècle des Lumières qui eurent tous maille à partir avec la Royal Navy, les La Galissonnière, Du Chauffault, Lamotte-Picquet, Guichen, De Grasse, Suffren et leurs successeurs de la Révolution et de lEmpire : dEntrecasteaux et Latouche-Tréville. Autant dhommes talentueux qui ne purent pallier la lente descente aux enfers qui sacheva à Trafalgar. Leurs successeurs des deux siècles suivants ne sont pas oubliés en les personnes du prince de Joinville, de Rigault de Genouilly, Doudart de Lagrée, Courbet, Aube, Lacaze, Castex, Darlan et lamiral Henry Nomy, reconstructeur de la marine de la République et décédé en 1971.
Autant dire demblée que si Les Hommes qui ont fait la marine française ne dissimule pas réellement une nouvelle histoire de ladite marine, le choix de lordre chronologique aux dépens de lalphabétique permet de souligner utilement les crises et les difficultés rencontrées qui sont souvent aussi de grandes périodes durant lesquelles la France sest préoccupée de sa puissance navale et donc mondiale. Il permet aussi de mettre en exergue les grandes évolutions de la formation, depuis le simple amarinage jusquà la formation scientifique acquise sur les bancs des grandes écoles. La science fut assurément un moteur de la marine française, soit quelle motiva les expéditions de découvertes de Bougainville à Dumont dUrville et lamiral-archéologue Pâris en passant par Lapérouse et Nicolas Baudin, soit quelle servit dinstrument à la modernisation sans cesse nécessaire de la flotte. Tout comme le guerrier et lexplorateur, le ministre ou larmateur il ne faudrait pas oublier Jean Ango -, lingénieur a sa place dans ce panthéon de la marine nationale avec Borda et Dupuy de Lôme.
A côté des petits détails toujours utiles à connaître, comme le fait que Jean Bart, présenté comme le plus grand de nos corsaires, accomplit lessentiel de sa carrière dans la Royale, lun des grands mérites dEtienne Taillemite est de faire appréhender à son lecteur la technicité inévitable requise au marin mais aussi labstraction croissante rendue de plus en plus inévitable elle aussi par le progrès scientifique et la mondialisation.
Les noms choisis peuvent certes faire lobjet dune discussion, lauteur le reconnaît dans son introduction (p.13) mais ne se justifie que par une volonté de diversité, ce quil a manifestement réussi. Létonnement peut venir de lignorance du lecteur mais aussi de la présence de certains comme un portrait de Darlan en marin incompris aux erreurs dappréciation politiques - et de labsence dautres. Lexercice de la synthèse nen est pas moins réussi et des bibliographies en fin darticles viennent orienter le lecteur avide.
Sans doute Etienne Taillemite est-il enclin à défendre ses sujets, à souligner leur talent, surtout quand il sagit de le faire contre les gouvernants vilipendés au début : Louis XVI qui «contre lavis de ses conseillers, ne manquait jamais une occasion de prendre la mauvaise décision» (p.164), en loccurrence contre de Grasse, est-il bien le même qui participe pleinement à la préparation du voyage de Lapérouse ? De fait lamertume ou lironie transparaissent parfois sans se faire attendre : sous la plume de lauteur, dès la notice consacrée à Jean de Vienne, les rois de France semblent plus embarrassés quautre chose par le littoral de leur nouvelle province la Normandie.
Hugues Marsat ( Mis en ligne le 28/05/2008 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les Marins de Napoléon de Auguste Thomazi Tourville de Daniel Dessert Les Français, la terre et la mer de Alain Cabantous , André Lespagnol , Françoise Péron , Collectif | | |
|
|
|
|