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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| Wilfried Stroh Le Latin est mort, vive le latin ! - Petite histoire d'une grande langue Les Belles Lettres - Le miroir des humanistes 2008 / 25 € - 163.75 ffr. / 301 pages ISBN : 978-2-251-34601-4 FORMAT : 14cm x 22cm
Lauteur du compte-rendu : Yannick Durbec, professeur agrégé de Lettres Classiques, Docteur ès Lettres, enseigne en Lettres Supérieures et a publié une édition des fragments poétiques de Callimaque aux Belles Lettres, ainsi que plusieurs articles dans des revues de philologie. Imprimer
Le livre de Wilfried Stroh est réjouissant. À sa lecture, nombre de pédagogues pourront prendre la mesure du bonheur denseigner et dapprendre cette langue.
Le propos de W. S. est décrire une biographie de la langue latine. La progression est chronologique. Les deux premiers chapitres évoquent successivement la naissance de la langue, puis celle de la littérature latine jusquà son apogée, le premier siècle avant J.-C., marqué par les uvres de Cicéron et de Virgile.
La notion d«expansion impérialiste» qui est employée (p.22) pour décrire la conquête du monde méditerranéen par les Romains est inadéquate, comme la montré Jean-Noël Robert dans son livre paru récemment chez le même éditeur, Rome, la gloire et la liberté. Aux sources de lidentité européenne. Si loriginalité des Romain fut bien de sapproprier la littérature grecque en faisant preuve dinventivité, en revanche, il est pour le moins étrange de lire sous la plume de W. S. que les poètes Callimaque et Théocrite nauraient pas eu «lidée de faire un usage littéraire de [leur] langue maternelle» (p.29). Leur langue maternelle était en effet le grec et cest en grec quils composèrent leurs poèmes. Le caractère apologétique manifeste des deux premiers chapitres est leur faiblesse.
Examinant la prière au dieu Mars, que rapporte Caton dans le De Agri cultura, W. S. affirme que les allitérations, que comporte ce premier texte poétique conservé de la langue latine, sont «pratiquement absentes de la poésie grecque». Ce qui est faux. Calvert Wakkins, dans son livre majeur, How to Kill a Dragon. Aspects of Indo-Europeans Poetics (p.28 et sqq.), a établi que lallitération est une caractéristique des poétiques indo-européennes. Lallitération est à ce titre un élément constitutif de la poésie grecque.
Après avoir évoqué les pères de la littérature latine, Appius Claudius, Livius Andronicus, Naevius et Ennius, W. S. présente Cicéron. Le chapitre consacré au plus grand écrivain latin est un tour de force : les quatorze pages qui lui sont dévolues valent mieux que bien des livres. Ne serait-ce que pour le récit savoureux du premier exploit du jeune orateur, la défense de Sextus Roscius. Cicéron mit fin à la prééminence grecque en matière de culture et déloquence, tout comme Virgile supplanta Homère dans le cur des Latins.
Le chapitre consacré aux poètes de lâge dAuguste comporte par contre plusieurs idées très discutables. Dire que les Métamorphoses dOvide sont le «summum du panégyrique augustéen» (p.84) revient en effet à commettre un contresens total sur cette uvre, qui témoigne précisément du refus du poète dapporter sa contribution à lidéologie augustéenne ; ce que montre par exemple Mme Jacqueline Fabre-Serris dans Mythologie et littérature à Rome.
La thèse de lauteur est exposée au chapitre sept. Elle repose sur un paradoxe apparent : par sa mort, qui surviendrait à lapogée de son expansion, le latin devint immortel. Le latin littéraire se serait figé après Cicéron et Virgile. Le principe de cette réification reposerait sur le sentiment de perfection inspiré par les uvres de ces auteurs. Seul le vocabulaire aurait ensuite évolué, les bases grammaticales auraient été maintenues en létat.
Après avoir présenté les principaux écrivains chrétiens de langue latine et plus particulièrement Jérôme et Augustin, W. S. dissipe un cliché communément répandu : la prétendue obscurité du Moyen-Âge. Le règne de Charlemagne marque le début du bilinguisme français/latin, qui perdura jusquau XVIIIe siècle. Mais cest avec Pétrarque que lépoque moderne se place résolument sous le signe de Cicéron. Cest à la lumière de lacception du mot humanitas dans le Pro Archia de Cicéron que lon attribua à Pétrarque la renaissance de la studia humanitatis et que lon en fit un programme. Pétrarque admire en effet chez Cicéron la beauté de la langue, et non pas seulement le caractère pratique de sa philosophie. En cela, il soppose à la scholastique de son temps. Si le latin entre le XIIe et le XVe s. était lapanage des philosophes et des érudits, les humanistes lont ramené dans les domaines des belles lettres.
Les chapitres qui suivent présentent le devenir du latin outre-Rhin. Lhumanisme allemand est marqué par les noms de Conrad Seltis, de J. Reuchlin et dUlrich von Hutten. Les humanistes appuyèrent dans un premier temps la Réforme de Luther, mais le fanatisme de ce dernier les heurta. Érasme, qui jouissait dune immense popularité, consacra une part importante de son uvre à lenseignement du latin. Son contemporain, Melanchthon, fut le premier à allier à la studia humanitatis lidée, déjà présente chez Ovide, que la rhétorique, et plus généralement létude des langues, police lindividu. La Réforme ayant violemment critiqué les murs relâchées des ecclésiastiques, les Jésuites, tout en reprenant le concept des lycées protestants, rejetèrent les poètes élégiaques et autres chantres de lamour, et firent du théâtre et de loralité le cur de lenseignement du latin. Au XVIIIe siècle cependant, le latin nest plus langue de lEurope cultivée. La prééminence des langues nationales sest en effet progressivement affirmée depuis le XVIe siècle. On peut avancer trois explications à ce phénomène : le préjugé selon lequel on nexprime bien ses sentiments que dans sa langue maternelle, un sens du devoir patriotique, ou encore le souci de toucher ses concitoyens moins cultivés. Le déclin du latin scolaire saccentua en Allemagne sous le règne de Guillaume II. Léducation nationale devint alors prioritaire. Les dissertations latines et le latin oral disparurent des enseignements, et ce jusquà la fin du IIIe Reich.
De nos jours, le latin universitaire a pris une autre direction : il appartient, depuis 1890, au champ disciplinaire de la philologie classique. En revanche, le latin vivant, oral, hors du cadre universitaire, est pratiqué dans le cadre de cercles, dassociations, et plusieurs journaux lui sont consacrés : Latinitas, Retiarus, Melissa, Vox Latina.
Au final, si ce livre est enthousiasmant par la verve de son auteur, qui témoigne de son intense amour de la langue latine, en revanche, les nombreuses erreurs relevées affadissent le plaisir de la lecture.
Yannick Durbec ( Mis en ligne le 07/10/2008 ) Imprimer | | |
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