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Quand l’herbe ne repoussait pas… | | | Michel Rouche Attila - La violence nomade Fayard 2009 / 26 € - 170.3 ffr. / 510 pages ISBN : 978-2-213-60777-1 FORMAT : 14,5cm x 22cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Comme le constate Michel Rouche en introduction, le nom dAttila aura finalement rayonné bien au-delà de sa puissance ou de sa postérité : si «Attila» reste synonyme de violence et de dévastation, on doit constater que le personnage, son époque, son épopée même, demeurent largement méconnus du grand public (il en sera sans doute de même dans quelques siècles pour les grands dictateurs du XXe siècle !). Est-ce la revanche posthume des Romains, qui seront finalement parvenus à vouer le «fléau de Dieu» à lexécration universelle ?
Professeur émérite à la Sorbonne, Michel Rouche est un spécialiste de lAntiquité tardive et du haut Moyen-Âge, auteur notamment dun Clovis. Avec cette biographie dAttila, il rebrousse chemin au sein de cette période étonnante qui voit lEmpire romain se disloquer, et lEurope connaître des vagues dinvasions dont les traces sont encore visibles. Si la Gaule romaine vacille déjà, le temps des Francs Saliens est encore à venir. Cette biographie ne se veut pas une réhabilitation, ni un énième procès du chef hun, mais à la fois une réflexion sur un mythe (Attila le «fléau de Dieu» donc), sur un personnage et un peuple et une culture (lauteur parle dune «civilisation hunnique»). Autant quune biographie dAttila, il sagit bien dun tableau des Huns et de lécroulement progressif de lEmpire romain dOccident.
Louvrage débute très pédagogiquement par une évocation du territoire (territoire au sens large pour un peuple nomade : disons de lespace) et de la société des Huns : le monde de la steppe et un système tribal que lauteur compare à une nébuleuse, reprenant, par le menu depuis lAntiquité, les diverses tribus nomades denvahisseurs décrites par les Anciens. Les Huns sinscrivent ainsi dans un conflit perpétuel entre un Occident sédentaire et un Orient nomade. Repoussant vers lOccident d'autres peuples barbares, ou bien les agrégeant, les Huns ne forment pas en soi une nation, mais plutôt une identité mouvante, une civilisation même, dont les origines asiatiques font débat. Du reste, la récurrence des noms germaniques dans les dynasties hunniques trahit cette stratégie dagrégation des peuplades et des talents (militaires notamment) et il faut imaginer larmée des Huns comme une sorte de confédération de tribus plus ou moins soumises. Le tableau présenté par M. Rouche est bien loin du concept de nation figé par le XIXe siècle et la dispute Renan/Fichte celui dun monde où les ethnies se façonnent encore au gré des mouvements de populations, où les allégeances varient, où les brassages de langues, de cultures (tel Aetius lui-même, sujet romain élevé parmi les Huns
) interdisent finalement de tracer une frontière trop nette entre monde romain et monde barbare. LOccident est alors aussi compliqué que lOrient.
Une évocation de lOccident romain complèteen effet ce tableau, celui dun empire en pleine mutation, qui a vu après les invasions barbares et la catastrophe dAndrinople (378) le pouvoir changer de main, avec lavènement des empereurs illyriens, puis lempire se diviser entre Orient et Occident. Le temps dAttila est celui dune Rome qui déjà nest plus dans Rome, mais à Milan puis Ravenne, et Constantinople, dun pouvoir qui nest pas unifié, mais trinitaire, partagé entre un chef religieux, le pape, un chef militaire (ce sera le patrice Aetius) et un chef politique, lempereur
sans compter les royaumes barbares fédérés et installés dans lEmpire. Une Rome qui sorientalise, adopte des coutumes exotiques (notamment la pratique des eunuques), débat sur les diverses natures du Christ et, surtout, peine à intégrer les peuples qui se pressent à ses frontières. Une Rome en pleine mue, fragile, mais qui demeure puissante.
Mais le cur de louvrage, cest bien ce «vol de laigle» dAttila qui va, durant quelque temps (autour des années de 445 à 453) incarner la plus grande menace pour lempire romain dOccident. Avec ses cavaliers huns dont la réputation dinvincibilité persiste jusquà la défaite des champs catalauniques, en 451 Attila, «marié» à la princesse romaine Honoria, joue le rôle dun terrifiant prince consort, fragilisant lédifice politique romain à coups de chevauchées et jouant le rôle du chien fou dans le jeu de quilles impérial. Analysant sa stratégie qui fait dAttila lun des précurseurs de la guerre psychologique (mais on ne suivra toutefois pas lauteur lorsquil évoque une politique «terroriste» chez Attila, le terme relevant ici de lanachronisme) ainsi que ses alliances et ses failles, M. Rouche dresse le portrait dun chef de guerre et de sa méthode, fondée sur un armement et une tactique efficace. Si le face-à-face avec Aetius, patrice et «dernier des romains» est bien le duel le plus important de louvrage, lauteur ne néglige pas le poids croissant de lEglise comme force de résistance indirecte (lépisode dOrléans notamment, avec son évêque Aignan) et sait bien replacer les combats dans le contexte général de la Gaule.
Le style est agréable, très didactique, parfois audacieux (on appréciera certains titres originaux tel «Attila, maître de lor et des femmes»
) : le professeur Rouche alterne les tableaux, les descriptions, les débats, les anecdotes et même les digressions étymologiques ou mythologiques bienvenues (on découvre, au hasard de la lecture, lorigine du mot biscotte, ou encore du mythe de Barbe-Bleue et de la rengaine «Sur Anne, ne vois tu rien venir
?»). Louvrage lui-même se présente un peu comme un bon cours, avec un tableau ethnologique et politique des barbares et des romains en première partie, avant dattaquer aux alentours de la 150ème page le vif du sujet, Attila lui-même (dont lépopée est finalement assez courte).
Lensemble peut parfois sembler touffu lorsquon aborde les conflits familiaux au sein de lEmpire ou encore la valse des dynasties barbares, mais cette biographie, dune lecture claire et fluide, remplit parfaitement sa mission : démythifier, redonner un visage et une histoire à un nom qui demeure terrible, et finalement restituer un épisode majeur de la fin de lAntiquité et de lhistoire romaine. Louvrage est, en outre, doté de nombreuses annexes : cartes, tableaux des diverses dynasties, bibliographie ainsi quune collection des sources concernant les Huns
une série de documents bienvenus pour les curieux et les enseignants. Bref, un ouvrage très accessible tout en restant savant, et qui remplit parfaitement sa mission.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 29/09/2009 ) Imprimer
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