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Histoire & Sciences sociales -> Biographie |
| Sophie Delmas Un franciscain à Paris au milieu du XIIIe siècle - Le maître en théologie Eustache d'Arras Cerf - Biographies 2010 / 45 € - 294.75 ffr. / 471 pages ISBN : 978-2-204-08912-8 FORMAT : 14,5cm x 23,5cm
Préface de Nicole Bériou
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire, il prépare une thèse en histoire médiévale. Imprimer
Eustache dArras nest pas un des grands penseurs du Moyen Âge. En ce riche XIIIe siècle, il fait pâle figure aux côtés des célèbres Bonaventure et Thomas dAquin. Mais cest justement là que se situe le pari qua tenté Sophie Delmas dans sa thèse de doctorat, dont ce livre est une version remaniée. Létude dune figure méconnue, voire de seconde zone, est dun grand intérêt pour lhistorien dans la mesure où elle permet dapprocher la réalité ordinaire dont les personnages exceptionnels ne sont pas représentatifs. À travers ses recherches sur Eustache dArras, Sophie Delmas enrichit la connaissance du milieu des maîtres en théologie et de la vie de lUniversité au XIIIe siècle.
Cette tâche se heurtait cependant à de nombreuses difficultés, notamment celle des sources. Certaines étaient trop rares : très peu de textes évoquent la vie dEustache, ses relations, ses actions. Il nétait donc pas possible décrire une biographie, et il faut se contenter de quelques repères et hypothèses. Dautres en revanche sont très nombreuses, mais difficiles daccès : ce sont les textes en relation directe avec lactivité dEustache comme maître universitaire. Dans les fonds des archives des bibliothèques européennes, se trouvent des centaines de pages manuscrites, datant souvent du XIIIe siècle, écrites en latin dans une écriture souvent serrée, petite et très abrégée qui transmettent tout ou partie de lactivité magistrale dEustache dArras : des sermons, des questions disputées, des commentaires. Cest sur ces données que Sophie Delmas, se livrant à un travail dexhumation dans les bibliothèques, a fondé son étude.
Il en ressort quEustache dArras, même sil est peu connu, na pas été un personnage négligeable. Originaire dArras, son entrée dans lordre franciscain et probablement ses capacités intellectuelles lui ont ensuite permis daccéder à lUniversité de Paris, dans laquelle il a enseigné comme maître en théologie en 1268-1269. Il a alors eu loccasion de côtoyer la cour capétienne, pour laquelle il a plusieurs fois prêché, et il a été envoyé en mission par Louis IX à Viterbe en 1270. Cest malheureusement à peu près tout ce qui est connu de ce personnage, dont même la date de mort nest pas certaine.
Cest donc principalement sur les quelques années universitaires que porte le livre de Sophie Delmas. Mais de ce point de vue, la période dactivité dEustache se situe à un moment particulièrement important. LUniversité est à son apogée : il a pu y croiser les plus grands maîtres de son siècle. Cest aussi un moment dintenses débats entre faculté des arts et faculté de théologie, entre séculiers et réguliers, et déjà entre Franciscains et Dominicains. LUniversité est par ailleurs au cur de tous les débats qui agitent lÉglise de son temps, depuis la question de la place des femmes jusquà celle des relations avec les orthodoxes. Or Eustache a participé, par son enseignement, à tous ces débats, et cest un des mérites de ce livre que dy introduire. En effet lauteur, pour chacune de ces questions, quelle soit théologique (ce qui concerne la Trinité, par exemple), philosophique (notamment sur lâme ou la création), ecclésiologique (la place des ordres mendiants), ou liturgique (sur la fonction des images ou des sacrements) présente de façon particulièrement claire la façon dont se pose la question à lépoque dEustache pour comprendre loriginalité de sa position. En cela ce livre constitue une introduction aux débats qui agitent la faculté de théologie.
À travers la présentation de ces questions et des réponses quy apporte Eustache dArras, se dessine ce qui constitue la thèse principale du livre, à savoir que lUniversité est traversée par une série de débats parfois virulents, dans lesquels il arrive que les invectives fusent dans «une véritable foire dempoigne» où lon «nhésitait pas à recourir à un franc-parler vigoureux» (p.343). De plus, les positions dans ces débats résulteraient plus du choix des individus que de lexpression dun groupe social ou dune école. Le cas dEustache dArras montre que tantôt il rejette les positions de Thomas dAquin, tantôt il sy rallie, et il agit de même par rapport aux maîtres franciscains qui lont précédé, si bien quil serait difficile de discerner des écoles au sein de lUniversité. En temps que maître, Eustache napparaît pas spécifiquement comme franciscain.
Le livre de Sophie Delmas, qui est toujours dune grande clarté, exhume donc une figure du XIIIe siècle, tout en enrichissant la connaissance des débats intellectuels, en faisant pénétrer le lecteur au sein de la vie de la faculté de théologie. À ce titre, il sadresse aussi bien aux spécialistes quà un plus vaste auditoire désireux de sinitier aux débats théologiques, philosophiques et sociaux de ce siècle. Sa seule limite est celle des sources, qui ne permettaient pas de construire autre chose quune biographie intellectuelle, et qui ne laissent pas toujours accéder aux enjeux des débats.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 29/06/2010 ) Imprimer | | |
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